Vu le film Les Misérables de Jean Paul Le Channois (1958) avec Jean Gabin Bourvil Danièle Delorme Gianni Esposito Bernard Blier Serge Reggiani Béatrice Altariba Jimmy Urbain Elfriede Florin Sylvia Monfort Fernand Ledoux Louis Arbessier et 10 000 figurants de l'armée est-allemande (dans les scènes de la rue Saint-Denis)
Jean Valjean, un paysan condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir volé un pain, sort du bagne après dix-neuf années, de multiples évasions ayant prolongées sa peine initiale. Son destin bascule lorsque l'évêque de Digne, Monseigneur Myriel, lui éviter d'être de nouveau incarcéré. Dès lors, Jean Valjean va s'évertuer à ne faire que le bien autour de lui au détriment de son propre bonheur.
Un an après leur formidable tandem dans La Traversée de Paris, Jean Gabin et Bourvil se retrouvent pour un défi de taille : donner chair à l’un des monuments de la littérature française dans Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois, tourné en 1957. Cette adaptation cinématographique du roman de Victor Hugo, bien que raccourcie de près de deux heures sur demande des producteurs (peur du format fleuve oblige), conserve une majesté rare. Le film prend le parti de la fidélité : à la lettre du texte, aux figures mythiques qu’il met en scène, mais aussi à l’esprit profondément humaniste, politique et spirituel du roman. Il en résulte une fresque où chaque tableau semble soigneusement composé, comme une succession de scénettes gravées dans l’Histoire.
Le film suit le destin bouleversant de Jean Valjean, ancien forçat condamné pour avoir volé du pain, devenu homme d’affaires respecté sous une fausse identité. Pourchassé sans relâche par l’inflexible inspecteur Javert, il recueille Cosette, la fille de la pauvre Fantine, et tente de fuir un passé qui le rattrape sans cesse. La France de l'après-Révolution bruisse en arrière-plan, entre révoltes populaires, misère et espoirs avortés.
Jean Gabin est, ici, l'âme du film. À la fois bloc de pierre et creuset d’émotion, il incarne un Jean Valjean aussi imposant qu’émouvant. Son regard seul raconte toute une vie de souffrance et de rédemption. Son jeu, tout en intériorité, n’a pas besoin de grands effets : il EST Valjean. Face à lui, Bernard Blier donne à Javert une rigidité presque maladive, glaçante. Son obsession pour la loi et l'ordre le rend antipathique, mais jamais caricatural. On sent un homme broyé par son propre sens de la justice.
Et puis il y a Bourvil, exceptionnel de noirceur dans le rôle de Thénardier. On est loin ici de ses rôles comiques habituels. Il compose un personnage sordide, rusé, lâche et méchant avec un réalisme troublant. C’est peut-être l’une de ses plus grandes performances dramatiques, et une preuve éclatante de son registre étendu. À ses côtés, Silvia Monfort (Fantine), Danièle Delorme (Cosette) et Gianni Esposito (Marius) forment une distribution soignée, emblématique d’un âge d’or du cinéma français où le talent ne manquait pas.
L’un des points forts du film réside dans ses décors. Le Chanois recrée un Paris du XIXe siècle avec un amour manifeste du détail : ruelles pavées, bicoques de Montfermeil, barricades des insurgés. Tout semble peint avec le regard nostalgique d’un artisan du vrai. Il y a quelque chose d’enchanteur dans cette manière de faire revivre la capitale d’autrefois, une authenticité que les tournages en studio d’époque savaient encore produire.
Jean-Paul Le Chanois, réalisateur engagé et humaniste, imprime sa marque sur cette œuvre immense. Il ne cherche pas à moderniser Hugo, il le met en scène avec respect, gravité, et clarté. Il donne à chaque personnage le temps d’exister, une âme propre. Il ne trahit jamais la source : ni son souffle romanesque, ni son engagement politique. À travers les destins croisés des misérables, il fait résonner les grandes interrogations sur la justice, la foi, la rédemption, la paternité, et la lutte des classes.
Si certains pourront regretter les coupures imposées au scénario (près de deux heures en moins par rapport au montage initial prévu), force est de constater que Les Misérables version Le Chanois conserve une force narrative remarquable. Le succès fut d’ailleurs au rendez-vous, preuve que le public reconnaissait dans cette adaptation l’écho fidèle d’un chef-d’œuvre national.
À l’heure des adaptations libres, souvent esthétisantes ou désincarnées, ce Jean Valjean gabinien s’impose comme une incarnation puissante, humaine, presque biblique. Loin des effets de style, ce film touche par sa sincérité, sa droiture, son classicisme noble. Le cinéma français s’y est donné rendez-vous, avec ses grandes figures et sa tradition de qualité. Et ce n’est pas la faute à Voltaire, mais bien grâce à Victor Hugo, si cette œuvre demeure l’un des sommets de l’adaptation littéraire.
Un film à redécouvrir, non seulement pour la performance de Gabin, mais pour tout ce qu’il incarne : une fidélité à l’Histoire, à la littérature, et à une certaine idée du cinéma français.
NOTE : 14.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Jean-Paul Le Chanois
- Assistants-réalisation : Serge Vallin, Dagmar Bollin, Ruth Rischer, Max Friedmann, Michel Pezin
- Scénario : Jean-Paul Le Chanois, René Barjavel d'après le roman de Victor Hugo
- Adaptation : Jean-Paul Le Chanois, René Barjavel
- Dialogues : Jean-Paul Le Chanois, René Barjavel
- Décors : Serge Piménoff et Karl Schneider, assistés de Pierre Duquesne, Jacques Brizzio, Alfred Schulz
- Costumes : Marcel Escoffier assisté de Frédéric Junker, Jacqueline Guyot, Louise Schmidt
- Maquillages : Louis Bonnemaison, Yvonne Gaspérina
- Coiffures : Jules Chanteau
- Directeur de la photographie : Jacques Natteau
- Cadrages : Henri Tiquet, Alain Douarinou
- Assistants opérateurs : Max Lechevalier, Jacques Lacourie, Neil Binney
- Son : René-Christian Forget, René Sarazin, assistés de Fernand Janisse et Guy Maillet
- Montage : Emma Le Chanois et Jacqueline Aubery Du Bouley
- Musique : Georges van Parys[]
- Photographe de plateau : Roger Corbeau
- Scripte : Geneviève Cortier
- Régie : Jean Feix
- Secrétaire de production Charlotte Choquert
- Directeurs de production : Louis Duchesne, Paul Cadéac, Richard Brandt, Erich Kühne
- Sociétés de production : Pathé (France), DEFA (Allemagne), Serena Film (Italie)
- Société de distribution : Pathé (distributeur d'origine, France)
- Jean Gabin : Jean Valjean / Champmathieu
- Danièle Delorme : Fantine
- Bernard Blier : Javert père et fils
- Serge Reggiani : Enjolras
- Bourvil : Thénardier
- Giani Esposito : Marius Pontmercy
- Béatrice Altariba : Cosette
- Martine Havet : Cosette enfant
- Elfriede Florin: La Thénardier
- Silvia Monfort : Éponine Thénardier
- Jimmy Urbain : Gavroche
- Isabelle Lobbé : Azelma
- Fernand Ledoux : Mgr Bienvenu Myriel
- Lucien Baroux : Monsieur Gillenormand
- Jean Murat : le colonel baron Georges Pontmercy
- la voix de Jean Topart : le narrateur
- Madeleine Barbulée : Sœur Simplice
- Marc Eyraud : Grantaire
- Pierre Tabard : Prouvaire, un révolutionnaire
- Jacques Harden : Courfeyrac
- Gérard Darrieu : Feuilly, un révolutionnaire
- Hans Ulrich Laufer : Combeferre
- Beyert : Bahorel
- Julienne Paroli : Mme Magloire
- Jean d'Yd : le père Mabeuf
- Suzanne Nivette : Mlle Gillenormand
- Jean Ozenne : le préfet de Montreuil-sur-Mer
- René Fleur : le cardinal
- Gabrielle Fontan : la mère supérieure du couvent
- Laure Paillette : Toussainte, la servante de la rue Plumet
- Paul Villé : Basque
- Louis Arbessier : le préfet de police
- Edmond Ardisson : le brigadier
- André Dalibert : le paysan au cheval à Montfermeil
- Luc Andrieux : un ouvrier insurgé
- Henri Guégan : Laigle, un ami de l'ABC
- Gerhard Bienert : le président du tribunal d'Arras
- Harry Hindemith : un bagnard
- Bernard Musson : Bamatabois, un bourgeois
- Robert Bazil : un commissaire
- Christian Fourcade : « Petit Pierre » (Gervais ou le petit ramoneur, dans le roman)
- Émile Genevois : le cocher de l'omnibus
- Jacques Marin : le secrétaire de M. Madeleine
- Jean Favre-Martin : « La Mort »
- Paul Bonifas : le médecin de l'hôpital
- François Darbon : un médecin
- Palmyre Levasseur : Sœur Perpétue
- Mag-Avril : la servante de M. Madeleine
- Henri Coutet : un charretier
- Raymonde Vattier : une bourgeoise
- Rodolphe Marcilly : l'huissier
- Paul Faivre (non crédité) : le cocher de M. Gillenormand
- Max Doria (non crédité) : le portier
- Christian Lude (non crédité) : le commissaire du Val-de-Grâce
- Mireille Daix (non créditée)[] : Éponine Thénardier enfant
- Pierre Ferval : le comptable de la prison
- Édouard Francomme : le secrétaire de mairie
- Franck Maurice : un homme de la bande
- Pierre Moncorbier
- Jean Blancheur
- Julien Maffre
- Arlette Patrick
- Roger Pelletier
- Marcel Rouzé
- Le chœur de la Chorale populaire de Paris
- Jimmy Perrys (non crédité) : le préposé aux libérables
- Jean Sylvère (non crédité)
- Daniel André
- Christian Brocard (non crédité)
- Raymond Carl (non crédité)
- Yvonne Decade (non créditée)
- Allain Dhurtal (non crédité)
- Jean-Paul Le Chanois (non crédité)
- Robert Porte (non crédité) : Paget
- Panikel (non crédité)
- Gerhard Biard (non crédité)
- André Wasley
- Georges Atlas
- Werner Dissl (non crédité) : Brevet
- Rolf Moebius (non crédité) : l'avocat général
- Werner Segtrop (non crédité) : le défenseur au tribunal
- Nico Turoff (non crédité) : Chenildieu
- et 10 000 figurants de l'armée est-allemande (dans les scènes de la rue Saint-Denis)

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