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mercredi 6 août 2025

14.80 - MON AVIS SUR LE FILM LES MISERABLES DE JEAN PAUL LE CHANOIS (1958)


Vu le film Les Misérables de Jean Paul Le Channois (1958) avec Jean Gabin Bourvil Danièle Delorme Gianni Esposito Bernard Blier Serge Reggiani Béatrice Altariba Jimmy Urbain Elfriede Florin Sylvia Monfort Fernand Ledoux Louis Arbessier et 10 000 figurants de l'armée est-allemande (dans les scènes de la rue Saint-Denis) 


Jean Valjean, un paysan condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir volé un pain, sort du bagne après dix-neuf années, de multiples évasions ayant prolongées sa peine initiale. Son destin bascule lorsque l'évêque de Digne, Monseigneur Myriel, lui éviter d'être de nouveau incarcéré. Dès lors, Jean Valjean va s'évertuer à ne faire que le bien autour de lui au détriment de son propre bonheur. 

Un an après leur formidable tandem dans La Traversée de Paris, Jean Gabin et Bourvil se retrouvent pour un défi de taille : donner chair à l’un des monuments de la littérature française dans Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois, tourné en 1957. Cette adaptation cinématographique du roman de Victor Hugo, bien que raccourcie de près de deux heures sur demande des producteurs (peur du format fleuve oblige), conserve une majesté rare. Le film prend le parti de la fidélité : à la lettre du texte, aux figures mythiques qu’il met en scène, mais aussi à l’esprit profondément humaniste, politique et spirituel du roman. Il en résulte une fresque où chaque tableau semble soigneusement composé, comme une succession de scénettes gravées dans l’Histoire. 

Le film suit le destin bouleversant de Jean Valjean, ancien forçat condamné pour avoir volé du pain, devenu homme d’affaires respecté sous une fausse identité. Pourchassé sans relâche par l’inflexible inspecteur Javert, il recueille Cosette, la fille de la pauvre Fantine, et tente de fuir un passé qui le rattrape sans cesse. La France de l'après-Révolution bruisse en arrière-plan, entre révoltes populaires, misère et espoirs avortés. 

Jean Gabin est, ici, l'âme du film. À la fois bloc de pierre et creuset d’émotion, il incarne un Jean Valjean aussi imposant qu’émouvant. Son regard seul raconte toute une vie de souffrance et de rédemption. Son jeu, tout en intériorité, n’a pas besoin de grands effets : il EST Valjean. Face à lui, Bernard Blier donne à Javert une rigidité presque maladive, glaçante. Son obsession pour la loi et l'ordre le rend antipathique, mais jamais caricatural. On sent un homme broyé par son propre sens de la justice. 

Et puis il y a Bourvil, exceptionnel de noirceur dans le rôle de Thénardier. On est loin ici de ses rôles comiques habituels. Il compose un personnage sordide, rusé, lâche et méchant avec un réalisme troublant. C’est peut-être l’une de ses plus grandes performances dramatiques, et une preuve éclatante de son registre étendu. À ses côtés, Silvia Monfort (Fantine), Danièle Delorme (Cosette) et Gianni Esposito (Marius) forment une distribution soignée, emblématique d’un âge d’or du cinéma français où le talent ne manquait pas. 

L’un des points forts du film réside dans ses décors. Le Chanois recrée un Paris du XIXe siècle avec un amour manifeste du détail : ruelles pavées, bicoques de Montfermeil, barricades des insurgés. Tout semble peint avec le regard nostalgique d’un artisan du vrai. Il y a quelque chose d’enchanteur dans cette manière de faire revivre la capitale d’autrefois, une authenticité que les tournages en studio d’époque savaient encore produire. 

Jean-Paul Le Chanois, réalisateur engagé et humaniste, imprime sa marque sur cette œuvre immense. Il ne cherche pas à moderniser Hugo, il le met en scène avec respect, gravité, et clarté. Il donne à chaque personnage le temps d’exister, une âme propre. Il ne trahit jamais la source : ni son souffle romanesque, ni son engagement politique. À travers les destins croisés des misérables, il fait résonner les grandes interrogations sur la justice, la foi, la rédemption, la paternité, et la lutte des classes. 

Si certains pourront regretter les coupures imposées au scénario (près de deux heures en moins par rapport au montage initial prévu), force est de constater que Les Misérables version Le Chanois conserve une force narrative remarquable. Le succès fut d’ailleurs au rendez-vous, preuve que le public reconnaissait dans cette adaptation l’écho fidèle d’un chef-d’œuvre national. 

À l’heure des adaptations libres, souvent esthétisantes ou désincarnées, ce Jean Valjean gabinien s’impose comme une incarnation puissante, humaine, presque biblique. Loin des effets de style, ce film touche par sa sincérité, sa droiture, son classicisme noble. Le cinéma français s’y est donné rendez-vous, avec ses grandes figures et sa tradition de qualité. Et ce n’est pas la faute à Voltaire, mais bien grâce à Victor Hugo, si cette œuvre demeure l’un des sommets de l’adaptation littéraire. 

Un film à redécouvrir, non seulement pour la performance de Gabin, mais pour tout ce qu’il incarne : une fidélité à l’Histoire, à la littérature, et à une certaine idée du cinéma français. 

NOTE : 14.80

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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