Vu le film L’Aigle Vole au Soleil de John Ford (1957) avec John Wayne Maureen O’Hara Ward Bond Don Dailey Ken Curtis Kenneth Tobey Henry O’Neill Dorothy Jordan Barry Kelley
En 1919, Frank Wead, pilote et jeune officier de l'US Navy, a compris l'importance de développer l'aéronautique navale américaine. Il se heurte à l'incompréhension de ses supérieurs, mais, à force d'efforts, il parvient à faire valoir sa cause. Blessé dans une chute, il reste paralysé, et devient écrivain et scénariste. Après l'attaque de Pearl Harbor, Wead reprend du service et participe activement à la création d'un nouveau type de porte-avion d’escorte construit à partir de navire du commerce et approvisionnant les porte-avions pour remplacer rapidement les aéronefs endommagés ou détruits.
L’Aigle vole au soleil (The Wings of Eagles, 1957) est une œuvre à part dans la filmographie de John Ford, car elle délaisse les grandes chevauchées dans les plaines de l’Ouest pour aborder le récit d’un héros américain contemporain. Ford choisit de retracer la vie de Frank “Spig” Wead, pilote de l’aéronavale et scénariste à Hollywood, figure patriote marquée par l’héroïsme mais surtout par la souffrance. Le film n’est pas une simple glorification militaire : il est avant tout une méditation sur la fragilité humaine, la reconstruction et le prix des sacrifices.
John Wayne y trouve l’un de ses rôles les plus singuliers. Loin du cow-boy invincible, il incarne un homme brisé, diminué physiquement après un accident domestique qui le laisse paralysé. Rarement l’acteur aura été montré aussi vulnérable à l’écran. La séquence où il réapprend à marcher à l’hôpital est impressionnante : sa haute stature, d’habitude synonyme de force brute, devient ici un poids, une cage dont il doit s’extraire avec douleur et acharnement. Cette image d’un géant fragile, qui se hisse péniblement sur ses béquilles, est l’une des plus saisissantes que Ford ait jamais filmées.
Ce choix de montrer Wayne diminué permet au film de basculer dans une dimension profondément humaine. Ford, fidèle à son talent de conteur, sait mêler l’émotion et la drôlerie. Les scènes dramatiques s’entrelacent avec des touches d’humour typiques de son style, sans jamais perdre la gravité de la trajectoire de Wead. Le spectateur est alors entraîné dans un récit où les registres se succèdent avec fluidité : le drame de l’accident, les moments plus légers entre camarades, et la tension des séquences de terrain, lorsque Wead retrouve un rôle actif auprès de l’armée malgré son handicap.
La dimension intime est tout aussi importante. Le couple formé à l’écran par John Wayne et Maureen O’Hara dégage une force émotionnelle rare. Leur relation, marquée par l’amour, les épreuves et une forme de résignation, apporte au film son souffle mélancolique. Maureen O’Hara, lumineuse et digne, incarne une épouse partagée entre l’admiration et la douleur de voir son mari consumé par sa vocation militaire. Le duo fonctionne à merveille : Ford parvient à capter les silences, les regards, les instants où l’affection se mêle à la désillusion.
Derrière ce portrait d’un homme, Ford semble aussi livrer une méditation sur le temps qui passe et sur la fragilité des certitudes. L’héroïsme n’est pas éternel, et même les “aigles” finissent par être rattrapés par leurs blessures. Mais là où d’autres cinéastes auraient versé dans le pathos, Ford conserve sa maîtrise du récit. Le rythme est impeccable, la reconstitution militaire crédible mais jamais encombrante, et l’attention portée aux personnages rend chaque séquence vivante. On sent un cinéaste au sommet de son art, capable de tirer le maximum d’un sujet biographique en y insufflant son humanité.
L’une des réussites majeures du film est précisément cette capacité à concilier l’hommage aux héros américains et une approche profondément personnelle. L’histoire de Frank Wead n’est pas seulement un récit patriotique : c’est avant tout celle d’un homme qui, brisé dans sa chair, trouve dans l’écriture et dans le cinéma une nouvelle façon de servir son pays. Ford filme ce parcours avec respect, mais aussi avec une pointe de nostalgie. Le film devient alors une réflexion sur la vocation, sur ce qu’elle coûte à ceux qui la portent et à ceux qui les entourent.
L’Aigle vole au soleil n’est pas un simple film de guerre : c’est une œuvre émouvante, pleine de contrastes, où John Wayne livre une interprétation bouleversante, révélant une fragilité qu’on lui connaît rarement. Maureen O’Hara lui donne la réplique avec grâce, et ensemble, ils composent un couple à la fois touchant et tragique. Ford, maître de l’équilibre entre grandeur et intimité, réussit à transformer ce biopic en une méditation universelle sur le courage, la douleur et le passage du temps. Un film à redécouvrir, qui prouve que derrière les héros de pierre se cachent toujours des êtres de chair et de mélancolie.
NOTE : 14.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : John Ford
- Scénario : Frank Fenton et William Wister Haines (en) d'après les mémoires du commandant Frank Wead
- Musique : Jeff Alexander
- Direction artistique : Malcolm Brown et William A. Horning
- Décorateur de plateau : F. Keogh Gleason et Edwin B. Willis
- Photographie : Paul Vogel
- Montage : Gene Ruggiero
- Costumes : Walter Plunkett
- Production : Charles Schnee et James E. Newcom (producteur associé)
- Société de production : MGM
- Distribution : MGM
- John Wayne (VF : William Sabatier) : Frank W. 'Spig' Wead
- Maureen O'Hara (VF : Jacqueline Porel) : Min Wead
- Dan Dailey (VF : Michel Roux) : Carson
- Ward Bond (VF : André Valmy) : John Dodge
- Ken Curtis (VF : Michel Gudin) : John Dale Price
- Edmund Lowe (VF : Louis Arbessier) : Amiral Moffett
- Kenneth Tobey (VF : Jean Berton) : Capitaine Herbert Allen Hazard
- James Todd (VF : Henri Crémieux) : Jack Travis
- Barry Kelley (VF : Émile Duard) : Capitaine Jock Clark
- Sig Ruman : Administrateur
- Henry O'Neill (VF : Jacques Berlioz) : Capitaine Spear
- Willis Bouchey : Barton
- Dorothy Jordan : Rose Brentmann
Et, parmi les acteurs non crédités :
- William Henry : une ordonnance navale
- Louis Jean Heydt : Dr John Keye
- Stuart Holmes (VF : Jean Brochard) : Producteur
- Alberto Morin : Administrateur
- Charles Trowbridge (VF : Richard Francœur) : Crown, administrateur
- Peter Julien Ortiz

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