Vu le film Les Damnés de Luchino Visconti (1969) avec Helmut Berger Helmut Griem Dick Bogarde Charlotte Rampling Ingrid Thulin Umberto Rossini Renaud Verley René Kolldehoff Albrecht Schoenhals Florinda Bolkan
L'avènement
du nazisme en janvier 1933 inquiète l'aristocratique et
puissante famille d'industriels von Essenbeck. La nuit de l'incendie du Reichstag (27 février 1933), le
vieux baron Joachim, conservateur et opposé à Hitler, est assassiné. Le crime
est imputé à Herbert Thalmann, un membre de la famille opposé aux nazis, qui
doit fuir à l'étranger. Friedrich Bruckmann, un cadre de l'entreprise, carriériste
d'origine modeste, devient le patron des aciéries, avec le soutien de Sophie,
la veuve du fils aîné de Joachim, mort pendant la Première Guerre mondiale, dont il est l'amant.
Konstantin von Essenbeck, le second fils de Joachim, membre des SA, est vice-président. Une lutte
pour le pouvoir commence entre Friedrich et Konstantin.
Les
Damnés (1969)
de Luchino Visconti est une fresque crépusculaire d'une puissance inouïe, un
opéra baroque où la beauté plastique se fait le vecteur d’une horreur
insidieuse. Dès les premières images, le ton est donné : nous sommes face à une
tragédie familiale aux accents shakespeariens, où le pouvoir corrompt jusqu’à
la moelle, et où les luttes intestines annoncent l’agonie d’un monde en pleine
déréliction.
La
famille von Essenbeck, magnat de l’industrie sidérurgique allemande, devient le
miroir des compromissions du grand capital avec le nazisme. Inspirée de la
dynastie Krupp, cette famille se livre à un jeu de massacre où tous les coups
sont permis. Le patriarche Joachim von Essenbeck est assassiné dès le début du
film, ouvrant une lutte fratricide entre son héritier légitime et les
opportunistes prêts à tout pour s’assurer le pouvoir. Martin von Essenbeck,
enfant gâté et corrompu, devient le bras armé de cette déchéance morale, sous
l’influence perverse de Friedrich Bruckmann, ambitieux sans scrupules
interprété par Dirk Bogarde. À travers cette dynastie rongée par la décadence,
Visconti expose la collusion du pouvoir, du sexe et de la violence, dans un ballet
macabre où l’on s’entretue avec une froideur glaçante. Rien n’est épargné :
inceste, pédophilie, assassinats politiques, trahisons en cascade. Chaque
séquence, chaque mouvement de caméra dissèque la déshumanisation progressive de
ces êtres qui sombrent dans la barbarie, illustrant comment l’avidité et
l’ambition transforment l’homme en monstre.
Helmut
Berger, impérial en Martin von Essenbeck, incarne à lui seul cette métamorphose
: d’esthète ambigu, il devient une créature démoniaque, androgyne et
carnassière, un parangon de perversion qui semble personnifier l’âme damnée du
nazisme. Son interprétation est marquée par une scène culte où il apparaît
grimé en Marlene Dietrich dans L’Ange bleu, incarnant l’ambivalence
sexuelle et l’effondrement moral de son personnage. Face à lui, Dirk Bogarde,
Charlotte Rampling et Helmut Griem offrent des compositions inoubliables,
portant cette tragédie vers des sommets d’intensité.
Le
contexte historique du film est étroitement lié à la montée du nazisme en
Allemagne. Visconti ne se contente pas d’évoquer les événements : il les
insuffle dans l’âme même du récit. La Nuit des Longs Couteaux est reconstituée
avec une brutalité glaçante, où les SA, trop encombrants pour Hitler, sont
massacrés lors d’une orgie sanglante. Cette séquence, inspirée de faits réels,
est l’un des moments les plus éprouvants du film, où l’érotisme et la violence
s’entrelacent dans une danse macabre.
Le
tournage, quant à lui, fut marqué par de nombreuses tensions et anecdotes.
Visconti, perfectionniste intransigeant, poussait ses acteurs à leurs limites,
notamment Helmut Berger, avec qui il entretenait une relation tumultueuse. Dirk
Bogarde, réticent à certaines scènes, fut souvent en désaccord avec le
réalisateur mais livra une performance magistrale. La censure frappa également
le film, certaines scènes étant jugées trop choquantes, notamment celles
impliquant la pédophilie et l’inceste.
Mais
au-delà du scandale et du voyeurisme que certains ont pu lui reprocher, Les
Damnés est une réflexion magistrale sur l’irrésistible déliquescence d’une
société qui s’abandonne à la dictature. Ce basculement vers l’horreur est
résumé par une phrase glaçante : "Les élections, on doit les gagner
pour qu’il n’y en ait plus." Un avertissement qui résonne aujourd’hui
avec une acuité terrifiante.
NOTE : 17.30
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Luchino Visconti
- Scénario : Nicola Badalucco, Enrico Medioli, Luchino Visconti
- Musique : Maurice Jarre
- Musique additionnelle : Bruckner (Symphonie no 8 en ut mineur)
- Photographie : Armando Nannuzzi, Pasqualino De Santis
- Décors : Vincenzo Del Prato (it)
- Costumes : Piero Tosi
- Montage : Ruggero Mastroianni
- Production : Attilio D'Onofrio, Ever Haggiag, Alfred Levy, Giuseppe Bordogni, Pietro Notarianni
- Sociétés de production : Pegaso Cinematografica (Rome), Ital-Noleggio Cinematografico (Rome), Praesidens Film (Rome), Eichberg Film (Munich)
- Sociétés de distribution : Ital-Noleggio Cinematografico (Italie), Warner Bros.-Seven Arts (international)
- Dirk Bogarde (VF : Roland Ménard) : Friedrich Bruckmann
- Ingrid Thulin (VF : Paule Emanuele) : la baronne Sophie von Essenbeck
- Helmut Griem (VF : Bernard Dhéran) : Aschenbach
- Helmut Berger (VF : Bernard Murat) : Martin von Essenbeck
- Renaud Verley (VF : Lui-même) : Günther von Essenbeck
- Umberto Orsini (VF : Claude Giraud) : Herbert Thallmann
- Charlotte Rampling (VF : Jeanine Freson) : Elisabeth Thallmann
- René Kolldehoff (VF : Yves Brainville) : le baron Konstantin von Essenbeck
- Albrecht Schoenhals (VF : Fernand Fabre) : le baron Joachim von Essenbeck
- Florinda Bolkan : Olga
- Nora Ricci : la gouvernante
- Irina Wanka : Lisa Keller
- Karin Mittendorf : Thilde Thallman
- Valentina Ricci : Erika Thallmann
- Wolfgang Hillinger : Janek
- Ester Carloni (it) : Madeline
- Bill Vanders : le commissaire de police
- Howard Nelson Rubien (VF : Louis Arbessier) : le recteur de l'université
- Werner Hasselmann (VF : Henri Poirier) : un officier de la Gestapo
- Peter Dane : l'employé de l'aciérie
- Mark Salvage : l'inspecteur de police
- Karl-Otto Alberty, John Frederick, Richard Beach : trois officiers de la Wehrmacht
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