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vendredi 21 mars 2025

17.30 - MON AVIS SUR LE FILM LES DAMNES DE LUCHINO VISCONTI (1969)


Vu le film Les Damnés de Luchino Visconti (1969) avec Helmut Berger Helmut Griem Dick Bogarde Charlotte Rampling  Ingrid Thulin Umberto Rossini Renaud Verley René Kolldehoff Albrecht Schoenhals Florinda Bolkan

L'avènement du nazisme en janvier 1933 inquiète l'aristocratique et puissante famille d'industriels von Essenbeck. La nuit de l'incendie du Reichstag (27 février 1933), le vieux baron Joachim, conservateur et opposé à Hitler, est assassiné. Le crime est imputé à Herbert Thalmann, un membre de la famille opposé aux nazis, qui doit fuir à l'étranger. Friedrich Bruckmann, un cadre de l'entreprise, carriériste d'origine modeste, devient le patron des aciéries, avec le soutien de Sophie, la veuve du fils aîné de Joachim, mort pendant la Première Guerre mondiale, dont il est l'amant. Konstantin von Essenbeck, le second fils de Joachim, membre des SA, est vice-président. Une lutte pour le pouvoir commence entre Friedrich et Konstantin.

Les Damnés (1969) de Luchino Visconti est une fresque crépusculaire d'une puissance inouïe, un opéra baroque où la beauté plastique se fait le vecteur d’une horreur insidieuse. Dès les premières images, le ton est donné : nous sommes face à une tragédie familiale aux accents shakespeariens, où le pouvoir corrompt jusqu’à la moelle, et où les luttes intestines annoncent l’agonie d’un monde en pleine déréliction.

La famille von Essenbeck, magnat de l’industrie sidérurgique allemande, devient le miroir des compromissions du grand capital avec le nazisme. Inspirée de la dynastie Krupp, cette famille se livre à un jeu de massacre où tous les coups sont permis. Le patriarche Joachim von Essenbeck est assassiné dès le début du film, ouvrant une lutte fratricide entre son héritier légitime et les opportunistes prêts à tout pour s’assurer le pouvoir. Martin von Essenbeck, enfant gâté et corrompu, devient le bras armé de cette déchéance morale, sous l’influence perverse de Friedrich Bruckmann, ambitieux sans scrupules interprété par Dirk Bogarde. À travers cette dynastie rongée par la décadence, Visconti expose la collusion du pouvoir, du sexe et de la violence, dans un ballet macabre où l’on s’entretue avec une froideur glaçante. Rien n’est épargné : inceste, pédophilie, assassinats politiques, trahisons en cascade. Chaque séquence, chaque mouvement de caméra dissèque la déshumanisation progressive de ces êtres qui sombrent dans la barbarie, illustrant comment l’avidité et l’ambition transforment l’homme en monstre.

Helmut Berger, impérial en Martin von Essenbeck, incarne à lui seul cette métamorphose : d’esthète ambigu, il devient une créature démoniaque, androgyne et carnassière, un parangon de perversion qui semble personnifier l’âme damnée du nazisme. Son interprétation est marquée par une scène culte où il apparaît grimé en Marlene Dietrich dans L’Ange bleu, incarnant l’ambivalence sexuelle et l’effondrement moral de son personnage. Face à lui, Dirk Bogarde, Charlotte Rampling et Helmut Griem offrent des compositions inoubliables, portant cette tragédie vers des sommets d’intensité.

Le contexte historique du film est étroitement lié à la montée du nazisme en Allemagne. Visconti ne se contente pas d’évoquer les événements : il les insuffle dans l’âme même du récit. La Nuit des Longs Couteaux est reconstituée avec une brutalité glaçante, où les SA, trop encombrants pour Hitler, sont massacrés lors d’une orgie sanglante. Cette séquence, inspirée de faits réels, est l’un des moments les plus éprouvants du film, où l’érotisme et la violence s’entrelacent dans une danse macabre.

Le tournage, quant à lui, fut marqué par de nombreuses tensions et anecdotes. Visconti, perfectionniste intransigeant, poussait ses acteurs à leurs limites, notamment Helmut Berger, avec qui il entretenait une relation tumultueuse. Dirk Bogarde, réticent à certaines scènes, fut souvent en désaccord avec le réalisateur mais livra une performance magistrale. La censure frappa également le film, certaines scènes étant jugées trop choquantes, notamment celles impliquant la pédophilie et l’inceste.

Mais au-delà du scandale et du voyeurisme que certains ont pu lui reprocher, Les Damnés est une réflexion magistrale sur l’irrésistible déliquescence d’une société qui s’abandonne à la dictature. Ce basculement vers l’horreur est résumé par une phrase glaçante : "Les élections, on doit les gagner pour qu’il n’y en ait plus." Un avertissement qui résonne aujourd’hui avec une acuité terrifiante.

NOTE : 17.30

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