Vu le film Saint Ex de Pablo Aguero (2024) avec Louis Garrel Vincent Cassel Jean Stan du Parc Diane Kruger Benoit Magimel Yseult Malingo Blanche Redouloux Natalia Doco Sergej Onopko
En 1929, Antoine de Saint-Exupéry est nommé chef d'exploitation par là Compagnie générale aéropostale pour l'Argentine. Le film retrace l'épisode de sa vie où il va tenter de retrouver son ami aviateur Henri Guillaumet. Ce dernier s'est écrasé à plus de 3 000 mètres dans la cordillère des Andes, qu'il devait franchir pour transporter le courrier[3].
Avec un personnage aussi fascinant que mythique qu’Antoine de Saint-Exupéry, héros de l’Aéropostale, écrivain de légende et créateur du Petit Prince, il y avait de quoi faire un grand film. Une œuvre à la hauteur du rêve, de l’aventure et de la poésie que cet homme incarne encore dans l’imaginaire collectif. Mais Saint Ex, le film de Pablo Agüero, sorti en 2024, ressemble hélas moins à un vol plané qu’à un crash artistique.
Le film ambitionne de raconter les dernières années de Saint-Exupéry, son engagement pendant la Seconde Guerre mondiale, ses blessures (physiques et morales), sa lucidité tragique sur le monde moderne, et bien sûr, son rapport à l’écriture. Mais tout cela reste à l’état d’intention. Le scénario donne l’impression d’avoir été conçu à partir de la fiche Wikipédia de Saint-Exupéry : une succession de faits, d’allusions, de dates, mais sans souffle, sans incarnation, sans vision. Comme si la grandeur du personnage écrasait ses créateurs.
Ce qui manque cruellement ici, c’est l’élan héroïque, ce mélange de romantisme et de bravoure, si caractéristique des pionniers de l’aviation. Le film effleure à peine ce que d’autres ont su magnifier : l’aventure humaine, les paysages traversés, le vertige de l’altitude, l’inquiétude des vols sans retour, les camaraderies nées dans les hangars ou dans les cieux. Même la beauté aride du désert, lieu fondateur de l’imaginaire de Terre des hommes ou du Petit Prince, est trahie par une avalanche de plans numériques sans âme, aux textures froides et aux mouvements artificiels. Là où un simple drone aurait suffi à capturer l’immensité et la solitude, on nous inflige un ciel synthétique.
On en vient à se demander si Pablo Agüero, cinéaste talentueux par ailleurs (Eva no duerme, Akelarre), n’a pas été victime d’un projet trop grand pour lui, ou d’un budget mal réparti. L’usage outrancier de CGI vient non seulement altérer la beauté naturelle des paysages, mais trahit aussi le principe même du cinéma d’aviation, qui repose depuis toujours sur le réel, le souffle du vent, la courbe d’une aile dans la lumière. Ici, on est dans une sorte de vitrine numérique, sans chair ni émotion.
Le casting n’aide pas. Louis Garrel, dans le rôle-titre, peine à convaincre. Toujours un peu raide, un peu distant, il campe un Saint-Ex qui semble plus préoccupé par son ennui intérieur que par la grandeur de sa mission. Garrel est élégant, bien sûr, mais il manque ici de ce feu intérieur, de cette étincelle mélancolique et fière qu’on attendait d’un personnage aussi incandescent. On aurait voulu un acteur capable de porter la tension entre l’homme d’action et l’écrivain du sensible, entre l’aviateur audacieux et l’enfant rêveur qu’il est toujours resté. Garrel semble prisonnier d’un rôle trop large pour lui.
Et que dire du Petit Prince ? Il n’apparaît qu’à peine, comme une figure d’arrière-plan, évoquée sans jamais être incarnée. Pourtant, on aurait pu en faire un fil rouge, un contrepoint poétique, une manière d’entrer dans la psyché du personnage. Mais non : un clin d’œil, une citation, une voix d’enfant et puis s’en va. Là où Terrence Malick, par exemple, aurait su tisser l’image de l’enfant-astéroïde avec les doutes de l’homme-soldat, Agüero se contente de suggérer timidement.
Quant à l’aspect historique, il est à peine effleuré. Les relations tendues entre Saint-Ex et ses supérieurs militaires, son exil aux États-Unis, ses désillusions politiques, sa quête d’absolu face à un monde devenu cynique : tout cela est survolé, parfois évoqué à travers une ligne de dialogue ou un regard perdu. Or, ces éléments étaient justement l’essence dramatique du personnage, ce qui aurait permis au film de décoller. Même la scène de sa disparition, en 1944, au-dessus de la Méditerranée, est expédiée dans une séquence visuellement floue, privée de la charge émotionnelle qu’elle aurait dû porter.
Il faut rappeler que la disparition de Saint-Exupéry a longtemps nourri les fantasmes : suicide, accident, attaque ennemie ? Ce n’est qu’en 1998 qu’on retrouve sa gourmette au large de Marseille, et en 2004, des restes de son avion. Autant d’éléments qui auraient pu servir un récit fort, mais que le film préfère traiter comme une fatalité poétique sans relief.
Saint Ex est un film frustrant, parce qu’il avait tout pour être grand. Il s’agit d’un homme qui a risqué sa vie pour le courrier, pour la liberté, pour la beauté. Un homme qui a écrit, avec Vol de nuit ou Citadelle, parmi les plus belles pages de la littérature française du XXe siècle. Un homme qui, au lieu de fuir la guerre, est monté dans un P-38 pour ne jamais revenir. Un héros, un vrai. Et ce film, avec ses effets numériques fades, son absence de souffle, son interprète principal atone, ne lui rend pas justice.
Un film raté, oui — sur terre comme au ciel.
NOTE : 8.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Pablo Agüero
- Musique : N/A
- Décors : Arnaud Roth
- Costumes : Mimi Lempicka
- Photographie : Claire Mathon
- Son : Pierre Mertens
- Montage : Christophe Pinel
- Production : Julien Madon et Aimée Buidine
- Sociétés de production : Frakas Productions, A Single Man et Cheyenne Federation
- Sociétés de distribution : Studiocanal
- Pays de production :
France et
Belgique
- Louis Garrel : Antoine de Saint-Exupéry
- Vincent Cassel : Henri Guillaumet
- Diane Kruger : Noëlle Guillaumet
- Benoît Magimel : le directeur de l'Aéropostale (voix)
- Yseult : la chanteuse et danseuse du cabaret
- Melingo : Monsalvez
- Blanche Redouloux : Edda
- Sergej Onopko : Ruso
- Natalia Doco : l'opératrice radio
- Inés Dufour : la fausse blonde
- Jean-Stan Du Pac : Antoine de Saint-Exupéry, jeune

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire