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mardi 15 avril 2025

15.90 - MON AVIS SUR LE FILM LE DINER DE CONS DE FRANCIS VEBER (1998)


 Vu le film Le Diner de Cons de Francis Veber (1998) avec Jacques Villeret Thierry Lhermitte Daniel Prevost Francis Huster Alexandra Vandernoot Catherine Frot Christian Pereira Bernard Alane (voix) Edgar Givry Daniel Martin 

Pierre, éditeur, participe chaque mercredi à un `dîner de cons'. Le principe : chacun amène un `con' et celui qui a déniché le plus spectaculaire est déclaré vainqueur. Ce soir, son invité est François Pignon. Passionné de modèles réduits en allumettes, ce dernier est également un véritable porteur de guigne. 

Francis Veber adapte ici sa propre pièce, en en tirant un huis clos savoureux et cruel, où le rire fuse à chaque réplique comme un coup de scalpel. Dans le rôle de François Pignon, Jacques Villeret reprend le personnage qu’il a déjà incarné sur scène, avec cette extraordinaire capacité à provoquer l’hilarité par la candeur, l’obsession maniaque et cette inlassable gentillesse propre à désarmer les plus cyniques. Face à lui, Thierry Lhermitte campe un Pierre Brochant superbe de morgue et d’arrogance, grand bourgeois éditorial en pleine déconfiture physique et morale. Le dispositif est simple : chaque mercredi, un groupe de notables organise un "dîner de cons", où chacun amène un imbécile supposé, choisi pour son potentiel comique involontaire. On rit d’eux, on les humilie. Mais ce soir-là, le piège se referme sur l’organisateur. 

Veber a le génie du théâtre de boulevard transcendé : portes qui claquent, quiproquos en cascade, mais aussi une cruauté sociale sans fard. Ce n’est plus Feydeau, c’est une dissection des rapports humains par la bêtise, l’arrogance, la solitude. Chaque réplique, ciselée comme un aphorisme, tombe avec une justesse rythmique qui évoque presque le travail d’un musicien : "Il s'appelle Juste Leblanc." — "Ah bon ? Il n’a pas de prénom ?"… Et voilà, en un échange, un personnage est défini, un comique de situation se crée, et une atmosphère absurde s’installe. 

Mais ce qui fait toute la force du film, c’est ce mélange inconfortable entre rire et malaise. Car Pignon n’est pas seulement un "con", il est aussi profondément humain : sincère, touchant, dévoué. Il aime sa Tour Eiffel" en allumettes avec un sérieux qui frise la pathologie, mais qui le rend aussi irrésistiblement attendrissant. On rit de lui, oui, parfois avec honte, mais aussi avec lui — et c’est là que réside toute la subtilité de Villeret, clown lunaire à l’immense tendresse. Il n’improvise pas, il compose, et sa partition est magistrale. 

L’anecdote veut que le vrai "dîner de cons" ait existé, au sein du petit cercle de Michel Audiard. Une bande de vieux copains qui invitaient, pour rire, des personnalités atypiques, jugées farfelues. C’était une autre époque, un autre monde, où la moquerie se faisait sans filtre, sans Twitter, mais avec une méchanceté feutrée et souvent sociale. Veber, en scénariste aguerri, transforme ce postulat en le rendant universel : c’est nous tous qu’il interroge, spectateurs complices, sur notre rapport à l’autre, au "différent". 

Sorti en 1998, l’année où Titanic faisait chavirer la planète cinéma, Le Dîner de cons fait un carton monumental en France : plus de 9 millions d’entrées. Un exploit pour une comédie fondée sur le verbe, dans un monde déjà happé par le spectaculaire. Il faut dire que Veber, héritier d’une lignée d’auteurs de haute volée (L’Emmerdeur, La Chèvre, Les Compères), connaît son affaire : il construit un scénario comme une bombe à retardement, chaque mot en enclenchant la mèche. 

Pas de grandes tirades, ici, mais une mécanique huilée à la perfection, servie par des seconds rôles réjouissants : Daniel Prévost, en inspecteur des impôts sadique, offre un numéro hilarant ; Catherine Frot, en maitresse blessée, apporte une touche d’émotion contenue ; et Juste Leblanc l’ami pragmatique, incarne le bon sens en personne, perdu dans ce cirque d’absurdité. 

Si Le Dîner de cons fait autant rire, c’est aussi parce qu’il met en scène des monstres ordinaires. Brochant, tout éditorialiste qu’il est, se révèle petit, lâche, perdu. Pignon, avec sa voix tremblante et ses yeux d’enfant inquiet, finit par prendre le pouvoir, sans jamais s’en rendre compte. Ce n’est pas une revanche, c’est une reconquête silencieuse : celle de la sincérité sur l’ironie, de l’innocence sur le cynisme. 

Villeret, dans ce rôle, touche à l’absolu. Rarement un acteur aura su susciter à ce point une empathie mêlée de fou rire. Derrière l’apparence de l’idiot, il y a un homme blessé, à fleur de peau, qui croit encore que le monde est simple, que les gens sont bons. Le rire vient, alors, non plus pour se moquer, mais pour désamorcer une émotion qui menace de déborder. 

Aujourd’hui encore, Le Dîner de cons reste une référence. Il tourne à la télévision, entre deux classiques, et ne perd rien de sa force. Sa mise en scène sobre, presque télévisuelle, permet à la parole d’être reine. Le décor, neutre, laisse place au théâtre intérieur des personnages. Le rythme, tendu comme un arc, propulse le film dans cette catégorie rare : la comédie d’auteur, populaire et cruelle, à la fois divertissante et profondément dérangeante. 

Un film sur la connerie ? Oui, mais surtout sur la nôtre. 

NOTE : 15.90

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