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mardi 15 avril 2025

16.90 - MON AVIS SUR LE FILM LA CORDE DE ALFRED HITCHCOCK (1948)


 Vu le film La Corde de Alfred Hitchcock (1948) avec James Stewart John Dall Farley Granger Cedric Hardwicke Constance Collier Douglas Dick Edith Evanson Dick Hogan Joan Chandler 

Brandon Shaw et Philip Morgan sont deux étudiants. Dans leur appartement de New York, par un soir ordinaire, ils étranglent un de leurs camarades, David, avec un bout de corde. Ils ont accompli ce meurtre pour mettre en pratique la théorie nietzschéenne de leur professeur Rupert Cadell, qui reconnait aux êtres supérieurs le droit de tuer les êtres inférieurs. Puis, comble du cynisme, ils préparent un dîner auquel sont conviés le soir même, sur le lieu du crime, la famille de la victime, sa petite amie ainsi que Rupert Cadell. Ce dernier observe le comportement étrange des jeunes gens au cours de la soirée. Brandon est sûr de lui et persuadé que le crime restera impuni, alors que Philip est nerveux et apeuré par cette mise en scène macabre. Peu à peu, Cadell va commencer à soupçonner l'impensable. 

La Corde (Rope, 1948) est un film audacieux d’Alfred Hitchcock, remarquable non seulement par son innovation formelle, mais aussi par la provocation morale et philosophique qu’il suscite. Adapté de la pièce éponyme de Patrick Hamilton — elle-même inspirée du véritable crime commis par Nathan Leopold et Richard Loeb en 1924 — le film propose une plongée vertigineuse dans les tréfonds de l’âme humaine, entre arrogance intellectuelle, pulsion de mort et perversion du savoir. 

Tout commence un soir ordinaire dans un appartement cossu de New York. Brandon Shaw et Philip Morgan, deux étudiants à l’allure policée, étranglent froidement leur camarade David avec un simple bout de corde. Ce meurtre, loin d’être passionnel ou crapuleux, est un acte prémédité, exécuté pour tester une théorie : celle de leur ancien professeur Rupert Cadell, qui, s’inspirant de Nietzsche, prétend que certains êtres "supérieurs" peuvent légitimement transgresser les lois morales communes, y compris tuer. 

Mais les deux jeunes hommes ne s’arrêtent pas là : ils cachent le corps de David dans un coffre au centre du salon, recouvert d’une nappe, puis organisent un dîner juste au-dessus du cadavre. Sont conviés : les parents de la victime, sa fiancée, et bien sûr, Rupert Cadell lui-même. Brandon, l’architecte du crime, se montre arrogant, provocateur, presque euphorique ; Philip, plus fragile, vacille sous le poids de la culpabilité. Ce dîner morbide devient alors le théâtre d’un suspense oppressant, où la vérité rôde à chaque regard, à chaque réplique. 

Ce qui frappe d’emblée, c’est la forme du film. Tourné comme une expérience de style, La Corde donne l’illusion d’un plan-séquence ininterrompu, chaque bobine de dix minutes étant raccordée habilement à la suivante. Hitchcock joue ici avec l’espace et le temps en confinant toute l’action à l’intérieur de l’appartement, en temps réel. Le spectateur devient ainsi prisonnier de la scène, tout comme les invités, captif du mensonge et de la tension croissante. Ce procédé accentue l’asphyxie morale du récit, tout en soulignant le génie technique du cinéaste. 

Mais La Corde ne se résume pas à un exercice de style. Il s’agit aussi d’une œuvre profondément subversive, notamment par les relations ambiguës qu’elle dessine entre Brandon et Philip. Dans un Hollywood de 1948 encore gouverné par le code Hays, Hitchcock parvient à insinuer — sans jamais l’affirmer — une relation homosexuelle entre les deux jeunes hommes. Le pouvoir de Brandon sur Philip, leur intimité trouble, la gestuelle parfois suggestive, tout évoque une dynamique de couple marquée par la domination et la soumission. Ce sous-texte, d’une audace folle pour l’époque, renforce la complexité psychologique des personnages. 

Brandon, incarné par John Dall, est un véritable dandy de l’horreur : froid, élégant, suffisant, convaincu de sa supériorité. À l’inverse, Philip (Farley Granger) est fébrile, rongé par la peur, constamment sur le point de craquer. Leur duo, aussi fascinant que dérangeant, incarne une jeunesse pervertie par une lecture dévoyée du savoir. Leur crime est une œuvre, disent-ils — une affirmation qui glace le sang. C’est une jeunesse sans conscience, pour qui la vie humaine devient un prétexte intellectuel. 

James Stewart, dans un contre-emploi brillant, incarne Rupert Cadell, le professeur qui voit peu à peu les pièces du puzzle s’assembler. Son personnage est lui-même ambivalent : il a, autrefois, professé des idées dangereuses sur l’élitisme moral, sans mesurer leur portée. Quand il comprend que ses propres paroles ont été prises au pied de la lettre, le choc est immense. La scène finale, où il confronte ses anciens élèves, est d’une rare intensité : Stewart y exprime à la fois la honte, la colère, et le désespoir. C’est un moment de bascule, où l’intellectuel est rattrapé par la réalité, brutalement. 

Ce film est aussi une réflexion glaçante sur les conséquences du relativisme moral. Peut-on tout justifier au nom de la pensée ? Où s’arrête la liberté intellectuelle, et où commence la monstruosité ? À travers cette expérience dramatique, Hitchcock met en garde contre l’arrogance des idées déconnectées de l’humain. Le mal, ici, n’est pas bruyant ou monstrueux — il est poli, cultivé, bien mis. Et c’est ce qui le rend d’autant plus terrifiant. 

Enfin, pour les amateurs du célèbre caméo hitchcockien, il faut être attentif : le réalisateur ne se montre pas directement dans La Corde. Son profil apparaît subtilement sur une enseigne lumineuse visible par la fenêtre de l’appartement. Un clin d’œil discret mais significatif, comme pour rappeler que le maître est toujours là, dans l’ombre. 

 La Corde est un film rare, qui mêle virtuosité technique, tension psychologique et audace thématique. Il interroge le spectateur bien au-delà de son intrigue policière, et laisse une impression durable d’inconfort et de fascination. À travers ce crime intellectuel, Hitchcock signe une œuvre à la fois clinique et passionnée, un huis clos brillant qui continue, près de 80 ans plus tard, de déranger et de captiver. 

NOTE : 16.90

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