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lundi 21 avril 2025

14.10 - MON AVIS SUR LE FILM LIMONOV LA BALADE DE KIRILL SEREBRENNIKOV (2024)


 Vu le film Limonov La Balade de Kirill Serebrennikov (2024) avec Ben Whishaw Viktoria Miroshnichenko  Tomas Arana Corrado Invernizzi  Evgueni Mironov  Andrey Burkovsky   Sandrine Bonnaire Celine Salette Louis-Do de Lencquesaing Donald Sumpter Emmanuel Carrère 

Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, telle une traînée de soufre, est une balade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au coeur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle. 

Kirill Serebrennikov poursuit son œuvre inclassable avec Limonov, la balade, faux biopic, vrai manifeste plastique et nerveux, qui adapte avec audace le roman d’Emmanuel Carrère. Mais ici, pas de biographie linéaire ni de chronologie sage : le réalisateur russe s’empare de la vie d’Edouard Limonov comme d’un matériau brut pour composer une fresque éclatée, aussi fantasque que crépusculaire. En vérité, ce Limonov est moins un personnage qu’un miroir éclaté tendu à l’histoire russe, à la figure du poète rebelle, et peut-être même à Serebrennikov lui-même. 

Dès l’ouverture, on comprend que ce ne sera pas un biopic classique : travelling, ruptures de ton, split screens, filtres de pellicule, incrustations d’archives fictives… toute la grammaire du cinéaste est convoquée. Il ne s’agit pas de raconter, mais de faire ressentir. D’incarner l’élan d’un homme qui se rêva poète, punk, voyou, homme d’État, déchu et dévoré par sa propre mythologie. 

La première partie est électrisante. Elle nous plonge dans le New York des années 70, crasseux, pop, queer et hostile. On pense à Midnight Cowboy, bien plus qu’à Taxi Driver, même si les références au Nouvel Hollywood sont explicites. Limonov y est un déraciné exalté, gigolo en quête de légitimité artistique, romantique pathétique, subversif instinctif. Serebrennikov filme cela avec une énergie folle, oscillant entre ironie punk et tendresse lyrique. 

Ben Whishaw est prodigieux. L’acteur britannique s’approprie les accents russes sans jamais tomber dans le mimétisme forcé. Il est Limonov, dans sa pose, sa tension, sa contradiction. Tantôt ridicule, tantôt bouleversant, il insuffle au personnage une grâce dangereuse. Rarement un comédien aura autant fusionné avec une figure aussi clivante. Son prix d’interprétation semble déjà gravé. 

Le film avance par ellipses dansées, enchaînant les tableaux comme un opéra post-soviétique : Paris des années 80, les Balkans, la Russie du retour… Tout est stylisé, mais rien n’est vain. La direction artistique flirte avec le baroque, mais reste au service d’une narration qui cherche l’émotion dans la dissonance. 

Et pourtant, la dernière heure déçoit légèrement. Le film, jusqu’alors fulgurant, semble pressé d’arriver au bout. Limonov nationaliste ? Effleuré. Limonov en prison ? Évoqué. Limonov contre Poutine ? À peine suggéré. Comme si Serebrennikov — volontairement ou par prudence — refusait d’aller jusqu’au bout du vertige idéologique de son personnage. Peut-être parce que Limonov n’est pas une figure qu’on résume ou juge. Peut-être aussi par crainte de faire du cinéma politique pur dans une époque où cela peut coûter cher. 

On regrette que ce film, pourtant dense, n’ait pas osé durer 3 heures. Car les zones d’ombre de Limonov méritaient d’être pleinement explorées. Mais ce choix (ou contrainte ?) n’annule pas la réussite globale. Le film regorge d’idées, de moments suspendus, d’images marquantes : un homme se fait statufier, un amour se dissout dans une vitrine de galerie, une guerre s’écrit à la machine à écrire, un poème devient cri de guerre. 

Serebrennikov, déjà impressionnant dans Leto, confirme ici qu’il est l’un des plus brillants plasticiens du cinéma contemporain. Sa mise en scène est chorégraphique, son regard, affûté, et sa musique intérieure palpite dans chaque scène. Limonov, la balade est une odyssée intérieure, un opéra punk, une confession sans absolution. 

 
Ni hagiographie ni procès, Limonov est une énigme filmique habitée par un acteur au sommet. Une œuvre foisonnante, parfois frustrante, mais toujours vivante. Un grand film, ambitieux et inclassable, à l’image de son sujet. 

NOTE : 14.10

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