Vu le film La Nuit des Morts Vivants de George A. Romero (1968) avec Duane Jones Judith O’Dea Karl Hardman Marilyn Eastman Keith Wayne Judith Ridley Kyra Schon Charles Craig George Kozana
Barbara et son frère Johnny se rendent en Pennsylvanie pour venir se recueillir sur la tombe de leur père. Ce rite annuel irrite Johnny, qui cherche à effrayer Barbara, en lui affirmant que les morts vont venir la chercher. Barbara, énervée, s'isole, et est agressée par une personne à la démarche mécanique et au visage ravagé. Son frère la défend, mais meurt dans la lutte, la tête fracassée contre une pierre tombale. Barbara s'enfuit et se réfugie dans une ferme isolée, où elle découvre le corps mutilé d'une femme. Voulant quitter la maison, elle est confrontée à l'homme du cimetière et d'autres étranges personnages menaçants. Un routier afro-américain, Ben, la rejoint, et barricade portes et fenêtres avec des planches. Il trouve aussi une radio et un fusil de chasse. Barbara s'évanouit, et reste en état de choc à son réveil.
La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, 1968) de George A. Romero est bien plus qu’un simple film d’horreur : c’est une date fondatrice. Un coup de poing cinématographique venu des marges, tourné pour trois fois rien en noir et blanc, par un cinéaste inconnu, qui a redéfini le genre horrifique, inauguré l’ère du zombie moderne, et laissé une empreinte politique et esthétique qui résonne encore aujourd’hui. Le revoir – ou le découvrir enfin – c’est toucher du doigt une œuvre matricielle.
Car avant La Nuit des morts-vivants, les morts revenaient à la vie par magie vaudou. Après Romero, ils reviennent en hordes, sans raison, animés d’une faim pure, irrationnelle et terrifiante. Le film, fable post-apocalyptique en huis clos, ne cherche jamais à expliquer : il montre. Et cela suffit. Dans cette maison paumée de Pennsylvanie où se barricadent quelques survivants, tout se joue sur la tension, la paranoïa, l’angoisse brute.
Mais Romero n’était pas qu’un habile faiseur de frayeurs. En faisant de Duane Jones, acteur noir, son héros, à une époque où le Civil Rights Act de 1964 avait à peine effleuré les mentalités, il frappe fort. Ce n’était pas prémédité, dit-on — mais le résultat est explosif. En 1968, année de l’assassinat de Martin Luther King, un film d’horreur place un homme noir en leader rationnel, courageux… et le sacrifie dans un final glaçant où la milice blanche le prend pour un zombie. Ironie sanglante. Geste politique inconscient ou génie instinctif ? Peu importe : l’image reste gravée.
Romero ne censure rien. Son film sort sans visa, sans classification, vu par des enfants dans des salles de quartier, semant la terreur brute. À une époque où les monstres étaient encore costumés, ses zombies à lui sont des quidams, mal maquillés, mais crédibles. La terreur vient de la banalité, de la proximité. La scène où les goules festoient sur des restes humains est insoutenable – non pas tant pour ce qu’elle montre, mais pour ce qu’elle suggère. La musique grinçante, l’image granuleuse, les silences oppressants… tout concourt à un effet d’hypnose macabre.
Le jeu des acteurs, souvent amateurs, participe aussi à cette sensation de réalisme brut. Tous ne brillent pas, certes : la blonde Barbra (Judith O’Dea), figée, mutique, semble anesthésiée. Mais c’est presque une force : elle incarne cette Amérique paralysée face au chaos. Et puis il y a Ben, Duane Jones, charismatique, tragique. Sa mort n’est pas seulement injuste, elle est politique.
Chef-d’œuvre séminal, La Nuit des morts-vivants a engendré une lignée. Ses suites (notamment Dawn of the Dead, 1978) creusent la veine sociale. Le remake de 1990, par Tom Savini, s’en sort honorablement, mais n’a pas la rage primitive de l’original. Quant aux copies, elles abondent, parfois brillantes, souvent grotesques.
Romero, artisan devenu prophète, a tout inventé sans le vouloir : la survie, la contamination, les zombies comme métaphore de masse abrutie, l’angoisse claustrophobe. Son film, toujours aussi glaçant, reste d’une modernité folle. Un cauchemar sans fin. À (re)découvrir, surtout par une nuit d’orage, les volets clos, le cœur ouvert.
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George A. Romero, alors jeune réalisateur de spots publicitaires à Pittsburgh, décide avec ses amis de monter un film d’horreur pour pas cher. Budget : environ 114 000 dollars. Moyens du bord : une caméra 16mm, des acteurs amateurs, des maquillages maison (le sang est du sirop de chocolat Bosco filmé en noir et blanc pour économiser). Le film est tourné dans une ferme désaffectée. Le cimetière du début ? Un vrai, sans autorisation.
Duane Jones, professeur de littérature, est choisi pour le rôle de Ben non pas pour sa couleur de peau, mais parce que, selon Romero, « c’était le meilleur acteur qu’on ait trouvé ». Pourtant, la présence d’un homme noir dans un rôle de leader face à des blancs (qu’il contredit, gifle, commande) a bouleversé le public. La fin du film, où il est tué par des miliciens blancs, filmée presque comme une bavure policière, résonne tragiquement avec l’assassinat de Martin Luther King quelques mois plus tôt. Romero dira plus tard : "On avait le film dans la voiture, on roulait vers New York pour trouver un distributeur, et c’est à la radio qu’on a appris sa mort."
À sa sortie, La Nuit des morts-vivants ne reçoit aucun classement de la MPAA (la censure américaine) car celle-ci n’existe pas encore dans sa forme actuelle. Résultat : le film est projeté dans des séances tout public, où des enfants assistent aux scènes de cannibalisme et aux morts brutales. Roger Ebert, critique au Chicago Sun-Times, écrit un texte indigné sur l’effet du film sur les plus jeunes, parlant d’une « perte d’innocence collective ». L’événement poussera l’industrie à instaurer le système de classification qu’on connaît aujourd’hui (G, PG, R…).
Petite histoire juridique ahurissante : les producteurs oublient de renouveler le copyright en 1968. Résultat ? La Nuit des morts-vivants tombe dans le domaine public dès sa sortie. Cela explique pourquoi il est disponible partout, en VHS, DVD, téléchargements, même projeté dans des clips ou remixé en musique ! Romero ne touchera presque rien sur le film… mais gagnera sa légende.
Fait étonnant : le mot "zombie" n’est jamais prononcé dans le film. Romero parle de ghouls (goules). Il faudra attendre les suites pour qu’il assume totalement le mot. Avant lui, les zombies étaient des esclaves vaudous dans des films exotiques. Romero en fait des morts-vivants anthropophages, lents, désorganisés… mais terriblement contagieux. C’est l’acte de naissance du zombie moderne, celui qu’on retrouvera chez Fulci, Boyle, Snyder, ou dans The Walking Dead.
Aujourd’hui, La Nuit des morts-vivants est étudiée dans les facs de cinéma, de sociologie et même d’histoire. Il est considéré comme un miroir de l’Amérique post-Vietnam, un révélateur des tensions raciales et sociales, et un modèle de cinéma indépendant. Il est classé au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès américain, reconnu comme un « film culturellement, historiquement et esthétiquement significatif ».
NOTE ; 14.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : George A. Romero
- Scénario : George A. Romero et John A. Russo
- Directeur de la photographie : George A. Romero
- Musique : Scott Vladimir Licina
- Montage : George A. Romero et John A. Russo
- Maquillage : Karl Hardman
- Effets spéciaux : Regis Survinski et Tony Pantanello
- Production : Karl Hardman et Russell Streiner
- Sociétés de production : Laurel Productions et Image ten
- Budget : 114 000 dollars
- Duane Jones (VF: Med Hondo) : Ben
- Judith O'Dea (VF: Jeanine Freson) : Barbara
- Karl Hardman (VF: René Bériard) : Harry Cooper
- Marilyn Eastman : Helen Cooper
- Keith Wayne : Tom
- Judith Ridley : Judy
- Kyra Schon : Karen Cooper
- Charles Craig : le présentateur télé mort-vivant
- Bill Hinzman : le mort-vivant dans le cimetière
- Russell Streiner : Johnny
- George Kosana : le shérif McClelland

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