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vendredi 25 avril 2025

8.50 - MON AVIS SUR LE FILM ECHEC ET MORT DE MIKKEL SERUP (2024)


 Vu le film Echec et Mort de Mikkel Serup (2024) avec Mathilde Arcel Fock Charlotte Munck Anders W.Berthelsen Tommy Kenter Mathilde Eusebius Sofia Nolsoe Mikkelsen 

Après avoir été licencié, Ulrik Torp se retrouve en stage là où tout a commencé pour lui, le journal Dagbladet. À la veille des élections européennes, son rédacteur en chef, lui demande de couvrir le meurtre d'une employée du Ministère de l'Intérieur. Lentement mais sûrement, l'affaire conduit Torp dans les filets d'une conspiration politique qui menace les fondements mêmes de la société danoise. 

Échec et Mort (Mord i valgkampen), réalisé par Mickæel Serup, s’inscrit dans la grande tradition du thriller politique nordique, à la frontière du drame personnel et de l’enquête sociétale, et il le fait avec un froid tranchant. Le film, encore peu connu à l'international, est pourtant un coup de poing cinématographique, une œuvre engagée, anxiogène, qui mêle suspense haletant et crise démocratique dans un climat contemporain plus que jamais préoccupant. 

Le héros, journaliste d’investigation aguerri mais désabusé, se découvre en phase terminale d’une tumeur cérébrale. Cette sentence intime vient redoubler le choc d’un autre mal, plus insidieux : celui qui ronge la démocratie. Alors qu’une élection capitale se profile au Danemark, avec en tête un parti d’extrême droite populiste, notre journaliste, Lars Elkjær, soupçonne que ce dernier aurait truqué les sondages, voire orchestré une fausse tentative de fraude pour asseoir sa future légitimité. Le spectateur est alors happé dans un double compte à rebours, celui de la vie du protagoniste, et celui d’une démocratie sous respirateur artificiel. 

Le film excelle dans l’art de l’étouffement : tout est feutré, glacé, silencieux. L’ambiance rappelle les œuvres de Pakula ou Costa-Gavras, mais dans une version scandinave, où la rigueur formelle cache une colère sourde. Le visage émacié de l’acteur principal, Jakob Cedergren, est une véritable carte topographique de la souffrance — souffrance physique, souffrance éthique. Son combat devient celui du spectateur : est-ce que chercher la vérité a encore un sens lorsqu’on est mourant ? Et lorsqu’un pays semble anesthésié par la peur et le repli ? 

Serup opte pour une réalisation austère, proche du documentaire par moments. Les plans fixes, les éclairages blafards, les bureaux déshumanisés… tout participe à une atmosphère d’intranquillité permanente. La caméra semble toujours observer derrière une vitre, comme si elle-même ne savait plus si elle avait encore le droit de regarder. 

Le rythme, lent et méthodique, est assumé : il fait monter une tension psychologique qui devient insupportable à mesure que Lars s’approche d’une vérité dont on doute même de la possibilité. Le scénario, habile, évite les facilités. Il n’y a ni héros glorifié ni révélation libératrice. C’est l’effritement progressif d’un homme et d’un système. 

Ce qui rend Échec et Mort si glaçant, c’est que son hypothèse de départ, aussi paranoïaque semble-t-elle, est parfaitement crédible : dans des démocraties modernes, les stratégies de communication, les algorithmes et les fake news peuvent tordre la réalité. Le film ne crie pas à la conspiration, il montre juste qu’elle est possible — ce qui est bien plus terrifiant. 

Il pose une question lourde : et si une démocratie truquait elle-même un faux scandale pour mieux resserrer les rangs de ses électeurs ? Autrement dit : et si l'extrême droite n’avait plus besoin de renverser le système, mais simplement d’en hacker la perception ? La douleur du personnage principal devient alors une métaphore du corps social malade, contaminé par le doute, la peur et l’abandon des repères démocratiques. 

Le film est inspiré de rumeurs réelles circulant autour de certaines élections européennes, notamment sur des manipulations numériques ou des scandales fabriqués. 

Le scénario a mis quatre ans à être finalisé, tant les questions juridiques étaient sensibles. Le parti fictif du film ressemble fort à certains mouvements réels, sans les nommer. 

Jakob Cedergren a suivi une préparation physique intense pour incarner un homme rongé de l’intérieur : perte de poids, épuisement volontaire, consultations avec des malades en soins palliatifs. 

Lors de sa présentation au festival de Göteborg, un débat enflammé a suivi la projection, entre juristes et politiciens, sur les limites de la fiction politique. 

Échec et Mort est un film mature, dérangeant, salutaire. Il bouscule nos certitudes démocratiques tout en dressant un portrait bouleversant d’un homme qui, face à la mort, tente une dernière fois de croire au sens de la vérité. À la fois thriller paranoïaque et drame humain, il pose une question essentielle : à quel moment une démocratie cesse-t-elle d’en être une ? Une œuvre qui glace le sang, précisément parce qu’elle est réaliste. 

NOTE : 8.50



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