Vu le film Poil de Carotte de Julien Duvivier (1932) avec Harry Baur Robert Lynen Simone Aubry Catherine Fonteney Christiane Dor Maxime Fromiot Colette Segall Marthe Marty Louis Gauthier Henry Krauss Charlotte Barbier-Krauss Fabien Haziza
La vie malheureuse du jeune François Lepic, dit Poil de Carotte, malmené entre une mère haineuse et malfaisante à son égard, un père taciturne et las qui se croit mal aimé de son fils, un frère et une sœur cupides et hypocrites. Seule Annette, une jeune domestique, prend son parti et fait comprendre à son père qu'il est malheureux.
Poil de Carotte (1932) de Julien Duvivier est l’une des œuvres les plus déchirantes et justes du cinéma français. Adaptation du roman semi-autobiographique de Jules Renard, le film explore avec une lucidité cruelle les blessures de l’enfance négligée. Duvivier, déjà auteur d’une version muette en 1925, revisite ici son sujet avec la puissance du son, et une mise en scène encore plus ciselée, où chaque plan semble murmurer la douleur de l’oubli.
François Lepic, surnommé Poil de Carotte pour sa chevelure rousse, est un enfant mal-aimé, ignoré, humilié. Au sein d’une famille rongée par l’amertume et l’indifférence, il incarne la solitude pure, celle qui ne s’exprime pas en cris mais en regards, en silences lourds, en gestes avortés. Sa mère, campée avec une dureté glaçante par Catherine Fonteney, incarne la figure de l’amour maternel perverti : sèche, autoritaire, acide. Une Thénardier domestique, sans rires ni caricature. Le père, interprété par l’immense Harry Baur, est une présence spectrale. Loin d’être le refuge, il est l’ombre d’un adulte, passif, muré dans son monde, incapable de voir le malheur qui gangrène son fils.
Robert Lynen, dans le rôle-titre, est bouleversant. À seulement 12 ans, il offre une interprétation d’une justesse confondante. Son regard, parfois vide, parfois chargé de révolte, est celui d’un enfant usé avant l’âge. L’une des scènes les plus fortes du film – Poil de Carotte seul, face à la tentation du suicide – nous hante bien après la projection. C’est cette subtilité d’émotion, ce mélange de rage muette et de désir d’amour, qui rend sa performance inoubliable.
La mise en scène de Duvivier, loin de tout pathos facile, est d’une sobriété exemplaire. Les décors rustiques, le cadre étroit de la maison familiale, les couloirs sombres, les escaliers trop grands pour l’enfant : tout devient le théâtre d’un enfermement affectif. Le son, encore récent dans le cinéma français de l’époque, est utilisé ici avec parcimonie, accentuant les silences, les non-dits, les silences assassins. Ce n’est pas un film bavard, c’est un film pesant, à l’atmosphère presque suffocante.
Un élément touchant : Jules Renard lui-même avait confié que l’écriture de Poil de Carotte fut une manière de survivre à son enfance. Duvivier, en transposant cette souffrance à l’écran, en fait un acte de mémoire. On notera que le jeune Robert Lynen, étoile filante du cinéma français, connaîtra un destin tragique : résistant pendant la guerre, il sera arrêté par la Gestapo et fusillé à 20 ans. Ce drame ajoute une couche supplémentaire d’émotion à son interprétation, comme si, déjà, une gravité hors du commun pesait sur ses épaules.
Duvivier, maître du mélodrame mais aussi des atmosphères, filme ici l’enfance non pas comme une période d’innocence, mais comme un territoire de lutte et de blessures. Il n’y a pas de mièvrerie dans Poil de Carotte, seulement une vérité nue, parfois insoutenable. C’est cette vérité qui, aujourd’hui encore, fait la force du film. Rien n’a vieilli : ni le propos, ni l’émotion, ni la beauté sombre de ses images.
Poil de Carotte n’est pas seulement une œuvre sur la maltraitance psychologique, c’est un miroir tendu à tous ceux qui ont, un jour, souffert du silence des adultes. C’est un film nécessaire, qui parle autant aux enfants qu’aux parents, un cri étouffé devenu classique. Un chef-d'œuvre à jamais gravé dans l’histoire du cinéma français.
NOTE : 16.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Julien Duvivier
- Scénario : Julien Duvivier, d'après le roman de Jules Renard
- Décors : Aguettand et Carré
- Photographie : Armand Thirard et Emile J. Monniot
- Montage : Marthe Poncin
- Musique : Alexandre Tansman, direction Roger Désormière
- Pays :
France - Société de production : Vandal et Delac
- Robert Lynen : François Lepic, dit Poil de Carotte
- Harry Baur : M. Lepic
- Catherine Fonteney : Mme Lepic
- Christiane Dor : Annette
- Colette Segall : Mathilde
- Simone Aubry : Ernestine
- Louis Gauthier : le parrain
- Max Fromiot : Félix
- Colette Borelli : une enfant
- Jean Borelli : un enfant
- Claude Borelli : un enfant

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