Vu le film Daddio de Christy Hall (2023) avec Sean Penn Dakota Johnson Marko A.Gonzales
Une femme monte dans un taxi à l'aéroport de New York et raconte peu à peu au chauffeur les décisions malheureuses qu'elle a prises et qui l'ont amenée à avoir une liaison avec un homme marié. Le chauffeur lui révèle également de plus en plus de choses sur sa vie.
Le pitch avait de quoi faire froncer les sourcils : un huis clos dans un taxi new-yorkais entre un chauffeur (Sean Penn) et une passagère fraîchement débarquée à JFK (Dakota Johnson). Cela évoquait vaguement un énième thriller urbain, une fable sociale sur les chauffeurs de taxi en galère, voire un drame un peu convenu sur la solitude des grandes villes. Rien de tout cela ici, et c’est tant mieux. Daddio, premier long-métrage de Christy Hall — dramaturge au verbe affûté —, déjoue toutes les attentes pour offrir une bulle de cinéma suspendue, douce, étrange, pleine de tact et de malice.
L’histoire ? Elle tient en quelques lignes : une jeune femme monte dans un taxi à l’aéroport. Elle veut rentrer chez elle, à Manhattan. Il est tard, le trafic est fluide, la ville vibre doucement à travers les vitres. Le chauffeur commence à parler, elle répond à peine. Il insiste. On sent chez lui un mélange d’ironie, de fatigue, de curiosité, un rien de provocation. Elle, c’est la retenue incarnée, comme si chaque mot pouvait la trahir. Et puis, insensiblement, le silence se fissure. Une conversation naît. Elle va durer tout le trajet, et bouleverser les deux.
Ce n’est ni une joute, ni une confession facile. Ce sont deux inconnus qui se rencontrent à mi-chemin de leurs existences cabossées. Le taxi devient un sanctuaire, un théâtre mobile où l’on parle de sexe, de regrets, de pères absents, de choix qu’on ne peut plus défaire, de solitude — celle qui vous colle à la peau même quand on est connecté à tout. Le film aurait pu verser dans la logorrhée ou la fausse profondeur. Mais la mise en scène, tout en retenue, et l’écriture ciselée évitent cet écueil.
Et puis, il y a eux. Sean Penn, qu’on n’attendait pas dans ce registre-là, livre une performance toute en nuances : bourru mais jamais caricatural, drôle sans être lourd, grave sans appuyer. Il crée un personnage de mec lambda, abîmé mais digne, un peu has been mais terriblement humain. Face à lui, Dakota Johnson continue de s’imposer comme une actrice au charme magnétique, qui sait faire passer mille émotions dans un battement de cil.
Le film est presque entièrement tourné à huis clos, ce qui représente une vraie gageure technique. Et pourtant, jamais l’ennui ne guette. Les lumières changeantes de la ville, les plans serrés ou fuyants, le montage subtil — tout contribue à donner une respiration au récit. Le taxi, paradoxalement, devient vaste, presque infini. Il contient des fragments d’humanité entiers.
Anecdote étonnante : le tournage s’est déroulé dans un vrai taxi new-yorkais monté sur un plateau mobile avec projection de la ville en arrière-plan, façon Rear Window 2.0. Cette illusion permet une forme de réalisme mouvant, presque hypnotique. Christy Hall, qui a longtemps écrit pour le théâtre, confie qu’elle a pensé ce film comme "une pièce en mouvement", et cela se sent : le texte est au centre, mais il respire, jamais figé.
Daddio est un film de mots, oui, mais surtout un film de regards, de silences, d’attentions. Un film qui croit en la magie d’une rencontre fugace, de ces croisements qu’on oublie trop vite mais qui laissent parfois des traces profondes. C’est aussi, d’une certaine façon, une lettre d’amour à New York, la vraie, celle qui palpite entre les feux rouges et les confidences nocturnes.
Ce n’est pas un film révolutionnaire, ce n’est pas un film bruyant. C’est un petit miracle de cinéma intimiste, qui tient en équilibre sur un fil tendu entre deux solitudes. Et pendant 90 minutes, on reste suspendu. Et on en redemande.
NOTE : 14.30
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Christy Hall (en)
- Musique : Dickon Hinchliffe
- Costumes : Mirren Gordon-Crozier
- Photographie : Phedon Papamichael
- Montage : Lisa Zeno Churgin
- Production : Ro Donnelly, Terry Dougas, Christy Hall, Dakota Johnson, Paris Kassidokostas-Latsis et Emma Tillinger Koskoff
- Producteurs délégués : Jean-Luc De Fanti, Chris Donnelly, John Ira Palmer, Kostas Tsoukalas et Max Work
- Sociétés de production : Rhea Films, First Love Films, TeaTime Pictures, Hercules Film Fund, Raindrop Valley et Projected Picture Works
- Société(s) de distribution : Metropolitan (France)
- Dakota Johnson (VF : Delphine Rivière) : Girlie
- Sean Penn (VF : Emmanuel Karsen) : Clark
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