Vu le Film Sous le Ciel de Paris de Julien Duvivier (1951) avec François Périer (voix) Sylvie Brigitte Auber Daniel Ivernel Christiane Lénier Jean Brochard Georgius Paul Frankeur Raymone Georgette Anys Maurice Chevit Paul Mercey Serge Grave Jean Bretonnière
Sous le ciel de Paris, durant une journée, grands et petits événements se produisent dans la vie de quelques personnes dont les destins vont s'entremêler. Une pauvre vieille demoiselle, après avoir cherché, en vain, toute la journée de quoi nourrir ses chats qui affamés l’attaquent, reçoit la récompense inespérée d’une mère qui, grâce à elle, a retrouvé le soir sa petite fille égarée depuis le matin. Une jeune fille, rêvant au grand amour, refuse celui de son ami d’enfance pour finir sous les coups de couteau d’un sculpteur sadique. Ce dernier est abattu par un policier qui a accidentellement blessé un ouvrier qui rentrait chez lui après l'heureuse issue d'un mouvement de grève. Le blessé est sauvé grâce à la première opération à cœur ouvert pratiquée par un jeune chirurgien qui vient d'être recalé à son examen d'internat…
Julien Duvivier, cinéaste de la noirceur ordonnée, des destins tordus et des chutes fatales, livre avec Sous le ciel de Paris un film choral bouleversant, à la fois hymne à la ville lumière et miroir de ses ombres. Il ne s'agit pas ici d’une simple carte postale en noir et blanc, mais d’un Paris vibrant, tragique, peuplé d’âmes errantes, de rêves écrasés, d’élans contrariés, d’amours fauchées. Paris y est filmé comme une entité vivante, palpitante, parcourue de souffles humains qui s'entrecroisent — certains s’éteignent, d'autres s'accrochent.
On pourrait croire à un rêve de Zola adapté par Hugo et mis en scène par Jules Renard. Duvivier entrelace les trajectoires avec la rigueur d’un horloger et la fatalité d’un poète désabusé. L’ouvrier blessé par une balle perdue, la jeune fille assassinée par un sculpteur psychopathe, la vieille dame affamée entourée de chats devenus presque féroces, la mère retrouvant sa fille grâce à cette même vieille demoiselle… Rien ne relève du hasard : tout se noue, tout se répond, dans un Paris où chaque pont, chaque plaque de rue, chaque bistrot devient témoin muet du destin.
Le film débute à l’aube et s’achève à la tombée du jour, suivant le fil d’une journée ordinaire, et pourtant sidérante. La caméra de Duvivier s’infiltre dans les ruelles, longe les quais, survole les toits. Le noir et blanc sublime chaque pierre, chaque ride, chaque reflet de la Seine. C’est un Paris d’après-guerre encore blessé, encore tremblant, mais où la vie tente de reprendre le dessus, souvent broyée dans l’élan.
La chanson éponyme, Sous le ciel de Paris, chantée à la fin du film (et rendue célèbre plus tard par Piaf ou Montand), agit comme un contrepoint cruel à la réalité des événements. Elle promet que le bonheur se cueille au détour d'une rue… mais le spectateur, lui, vient d’assister à une succession de destins fauchés. Ironie douce-amère : la joie n’est qu’un trompe-l’œil, un refrain que Paris entonne pour masquer ses larmes.
Le montage est d’une fluidité remarquable pour l’époque. On sent chez Duvivier une volonté de lier les existences sans jamais forcer le trait, sans didactisme. Il anticipe quelque part le cinéma de Claude Lelouch, qui aimera aussi ces croisements du hasard et ces éclats d’émotion dans les rencontres fugaces.
Le récit glisse avec une précision horlogère d’un personnage à l’autre : une vieille demoiselle esseulée qui n’a plus rien pour nourrir ses chats — et que ceux-ci finissent par attaquer ; une mère qui retrouve sa petite fille grâce à elle ; un ouvrier blessé par erreur par un policier ; une jeune fille naïve poignardée par un sculpteur sadique ; et, au sommet, un chirurgien recalé qui réalise pourtant une opération à cœur ouvert… Dans ce tissu de fatalités, certains s’en sortent, d’autres non.
C’est là que les comédiens prennent toute leur place, dans ce concert dissonant d’émotions.
Sylvie, d’abord, est bouleversante. Cette immense actrice, au regard aussi profond que fatigué, incarne la vieille demoiselle avec une vérité sidérante. Son corps frêle, son accent parisien effacé, ses gestes doux mais perdus : tout en elle traduit la solitude, la dignité résignée, la misère invisible. Elle est, sans nul doute, le cœur battant du film. Duvivier lui offre un rôle discret mais immense, qu’elle habite avec une économie de moyens bouleversante.
Brigitte Auber, dans le rôle de la jeune amoureuse égarée, est d’une fraîcheur qui n’en rend que plus cruelle la suite de son destin. Elle incarne l’innocence rêvant d’absolu, de passion, de fuite. Mais son personnage, trop pur pour ce monde, croise le regard sombre du sculpteur fou et bascule dans la violence. Auber trouve ici un de ses premiers grands rôles avant La Main au collet d’Hitchcock.
Jean Brochard, pilier discret du cinéma français d’époque, incarne quant à lui un policier empreint d’humanité, dépassé par la complexité de la situation. Sa sobriété joue en faveur du film : il est cette figure paternelle, presque usée par les années de service, à mi-chemin entre autorité et empathie.
Tout ce petit monde évolue sous la caméra souple de Duvivier, qui filme Paris comme un organisme vivant. Le noir et blanc n’est pas seulement esthétique : il révèle la rugosité du bitume, le gris de l’âme, les reflets troubles de la Seine. Chaque plan est habité, chaque coupe est pensée.
La chanson éponyme, Sous le ciel de Paris, écrite pour le film, vient clore l’œuvre dans une ironie douce-amère. Elle promet des miracles au détour d’un carrefour — mais le spectateur sait désormais que derrière la ritournelle se cachent des tragédies.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Julien Duvivier
- Scénario : Julien Duvivier
- Dialogues : René Lefèvre
- Auteur du commentaire : Henri Jeanson
- Assistants réalisateur : Georges Régnier et Pierre Heuline
- Photographie : Nicolas Hayer
- Photographe de plateau : Roger Corbeau
- Son : Jean Roberton
- Musique : Jean Wiener (Éditions Choudens)
- Direction d’orchestre : Ernest Guillou
- Chansons :
- Sous le ciel de Paris, interprétée par Jean Bretonnière, paroles de Jean Dréjac et musique d’Hubert Giraud
- Cœur de Paris, interprétée par André Claveau, paroles de René Rouzaud et musique de Jean Wiener
- Décors : René Moulaert assisté d'Yves Olivier
- Costumes : Christian Dior
- Maquillages : Serge Groffe
- Accessoires : Jean Dumousseau
- Montage : André Gaudier
- Scripte : Denise Morlot
- Régie : Georges Testard
- Pays de production :
France - Producteurs : Pierre O'Connell, Arys Nissotti
- Directeur de production : Louis de Masure
- Sociétés de production : Regina Films (Paris) - Filmsonor (Paris)
- Distributeur : Filmsonor SA
- Tournage : Paris Studio Cinéma (Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine)
- Tournage extérieur : Paris
- Langue de tournage : français
- Format : noir et blanc — 1.33:1 — son monophonique (Western Electric Sound System) — 35 mm
- Laboratoires : LTC (Saint-Cloud, Hauts-de-Seine)
- Effets spéciaux : LAX
- François Périer (voix off) : le narrateur
- Brigitte Auber : Denise Lambert, « Mon amie Denise », 20 ans
- Sylvie : Mlle Perrier
- Daniel Ivernel : Georges Forestier, interne à l'Hôtel-Dieu
- Jean Brochard : Jules Hermenault, ouvrier en grève
- Christiane Lénier : Marie-Thérèse, l'amoureuse de Georges
- Raymond Hermantier : Mathias, le sculpteur tourmenté
- Marie-France : la petite Colette Malingret
- Paul Frankeur : Milou, le bistrotier
- Georgius : Malingret, le maraîcher, le père de Colette
- Georgette Anys : Mme Malingret, la mère de Colette
- Raymone : Marguerite Hermenault, la femme de Jules
- Jean Bretonnière : le chanteur
- Edmond Ardisson : un camelot
- René Blancard : le professeur Bertelin
- Robert Moor : un examinateur
- Jacques Tarride : un journaliste
- Maurice Chevit : le guitariste
- Paul Mercey : un agent de police
- Pierre Destailles : Michel
- Marcelle Praince : Mme de Balthazar
- Jacques Clancy : Armand Mestre, ami d'enfance amoureux de Denise
- Robert Favart : Maximilien, le bel infirme
- Jane Morlet : la contrôleuse des vieillards
- René Génin : le cocher
- Nadine Basile : la stoppeuse
- Colette Régis : l'infirmière-chef
- Catherine Fonteney : la dame des Invalides
- Yvette Étiévant : le modèle de Mathias
- Serge Grave : un fils Hermenault
- Albert Plantier : un fils Hermenault
- Micheline Rolla : Mme Edmée
- Maryse Paillet : Mme Milou
- André Valmy : le docteur Lucien Evrard, ami de Georges
- Rivers-Cadet : Étienne Lambolle, « Bouboule », ouvrier, pêcheur
- Michel Rob : Pirate, le gamin gouailleur
- René-Louis Lafforgue : l'artiste-peintre
- Charles Vissières : le vieil homme
- Daniel Mendaille : un examinateur
- Jean Brunel : un examinateur
- Marcel Loche : un examinateur
- Michel Nastorg : un examinateur
- Jean Ozenne : le monsieur distingué
- Serge Nadaud : le bijoutier
- Guy Favières : le malade
- Wanny : Mado, la prostituée
- Henri Coutet : le délégué syndical
- Raymond Pélissier : un inspecteur
- Albert Malbert : le rémouleur
- Louis Florencie : le prêtre
- Yette Lucas : une cliente chez Malingret
- Fernand Blot : le boucher
- André Wasley : le tonnelier
- Henri Marchand : un journaliste
- Fulbert Janin : le peintre
- Nicolas Vogel : un ouvrier gréviste
- Marcelle Féry : la vendeuse de la loterie
- Dora Doll : la cliente du rémouleur (non créditée)
- Jean Clarieux
- Jean Sylvain
- Alex Allin
- Jean Berton
- Paul Bisciglia
- Robert Blome
- Lyne Carrel
- Yvonne Dany
- Guy Denancy
- Lucien Guervil
- Jean-Louis Le Goff
- Guy Mairesse
- René Marjac
- Ève Morlot
- Alain Stume
- Victor Tabournot
- Roger Vieuille
- Sacha Briquet : non crédité
- Guy Delorme : non crédité

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