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dimanche 20 avril 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM SOUS LE CIEL DE PARIS DE JULIEN DUVIVIER (1951)


 Vu le Film Sous le Ciel de Paris de Julien Duvivier (1951) avec François Périer (voix) Sylvie Brigitte Auber Daniel Ivernel Christiane Lénier Jean Brochard Georgius Paul Frankeur Raymone Georgette Anys Maurice Chevit Paul Mercey Serge Grave Jean Bretonnière 

Sous le ciel de Paris, durant une journée, grands et petits événements se produisent dans la vie de quelques personnes dont les destins vont s'entremêler. Une pauvre vieille demoiselle, après avoir cherché, en vain, toute la journée de quoi nourrir ses chats qui affamés l’attaquent, reçoit la récompense inespérée d’une mère qui, grâce à elle, a retrouvé le soir sa petite fille égarée depuis le matin. Une jeune fille, rêvant au grand amour, refuse celui de son ami d’enfance pour finir sous les coups de couteau d’un sculpteur sadique. Ce dernier est abattu par un policier qui a accidentellement blessé un ouvrier qui rentrait chez lui après l'heureuse issue d'un mouvement de grève. Le blessé est sauvé grâce à la première opération à cœur ouvert pratiquée par un jeune chirurgien qui vient d'être recalé à son examen d'internat…  

Julien Duvivier, cinéaste de la noirceur ordonnée, des destins tordus et des chutes fatales, livre avec Sous le ciel de Paris un film choral bouleversant, à la fois hymne à la ville lumière et miroir de ses ombres. Il ne s'agit pas ici d’une simple carte postale en noir et blanc, mais d’un Paris vibrant, tragique, peuplé d’âmes errantes, de rêves écrasés, d’élans contrariés, d’amours fauchées. Paris y est filmé comme une entité vivante, palpitante, parcourue de souffles humains qui s'entrecroisent — certains s’éteignent, d'autres s'accrochent. 

On pourrait croire à un rêve de Zola adapté par Hugo et mis en scène par Jules Renard. Duvivier entrelace les trajectoires avec la rigueur d’un horloger et la fatalité d’un poète désabusé. L’ouvrier blessé par une balle perdue, la jeune fille assassinée par un sculpteur psychopathe, la vieille dame affamée entourée de chats devenus presque féroces, la mère retrouvant sa fille grâce à cette même vieille demoiselle… Rien ne relève du hasard : tout se noue, tout se répond, dans un Paris où chaque pont, chaque plaque de rue, chaque bistrot devient témoin muet du destin. 

Le film débute à l’aube et s’achève à la tombée du jour, suivant le fil d’une journée ordinaire, et pourtant sidérante. La caméra de Duvivier s’infiltre dans les ruelles, longe les quais, survole les toits. Le noir et blanc sublime chaque pierre, chaque ride, chaque reflet de la Seine. C’est un Paris d’après-guerre encore blessé, encore tremblant, mais où la vie tente de reprendre le dessus, souvent broyée dans l’élan. 

La chanson éponyme, Sous le ciel de Paris, chantée à la fin du film (et rendue célèbre plus tard par Piaf ou Montand), agit comme un contrepoint cruel à la réalité des événements. Elle promet que le bonheur se cueille au détour d'une rue… mais le spectateur, lui, vient d’assister à une succession de destins fauchés. Ironie douce-amère : la joie n’est qu’un trompe-l’œil, un refrain que Paris entonne pour masquer ses larmes. 

Le montage est d’une fluidité remarquable pour l’époque. On sent chez Duvivier une volonté de lier les existences sans jamais forcer le trait, sans didactisme. Il anticipe quelque part le cinéma de Claude Lelouch, qui aimera aussi ces croisements du hasard et ces éclats d’émotion dans les rencontres fugaces. 

Le récit glisse avec une précision horlogère d’un personnage à l’autre : une vieille demoiselle esseulée qui n’a plus rien pour nourrir ses chats — et que ceux-ci finissent par attaquer ; une mère qui retrouve sa petite fille grâce à elle ; un ouvrier blessé par erreur par un policier ; une jeune fille naïve poignardée par un sculpteur sadique ; et, au sommet, un chirurgien recalé qui réalise pourtant une opération à cœur ouvert… Dans ce tissu de fatalités, certains s’en sortent, d’autres non. 

C’est là que les comédiens prennent toute leur place, dans ce concert dissonant d’émotions. 

Sylvie, d’abord, est bouleversante. Cette immense actrice, au regard aussi profond que fatigué, incarne la vieille demoiselle avec une vérité sidérante. Son corps frêle, son accent parisien effacé, ses gestes doux mais perdus : tout en elle traduit la solitude, la dignité résignée, la misère invisible. Elle est, sans nul doute, le cœur battant du film. Duvivier lui offre un rôle discret mais immense, qu’elle habite avec une économie de moyens bouleversante. 

Brigitte Auber, dans le rôle de la jeune amoureuse égarée, est d’une fraîcheur qui n’en rend que plus cruelle la suite de son destin. Elle incarne l’innocence rêvant d’absolu, de passion, de fuite. Mais son personnage, trop pur pour ce monde, croise le regard sombre du sculpteur fou et bascule dans la violence. Auber trouve ici un de ses premiers grands rôles avant La Main au collet d’Hitchcock. 

Jean Brochard, pilier discret du cinéma français d’époque, incarne quant à lui un policier empreint d’humanité, dépassé par la complexité de la situation. Sa sobriété joue en faveur du film : il est cette figure paternelle, presque usée par les années de service, à mi-chemin entre autorité et empathie. 

Tout ce petit monde évolue sous la caméra souple de Duvivier, qui filme Paris comme un organisme vivant. Le noir et blanc n’est pas seulement esthétique : il révèle la rugosité du bitume, le gris de l’âme, les reflets troubles de la Seine. Chaque plan est habité, chaque coupe est pensée. 

La chanson éponyme, Sous le ciel de Paris, écrite pour le film, vient clore l’œuvre dans une ironie douce-amère. Elle promet des miracles au détour d’un carrefour — mais le spectateur sait désormais que derrière la ritournelle se cachent des tragédies. 

NOTE : 16.20

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