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vendredi 25 avril 2025

14.80 - MON AVIS SUR LE FILM LES PORTES DE LA NUIT DE MARCEL CARNE (1946)

 


Vu le film Les Portes de la Nuit de Marcel Carné (1946) avec Yves Montand Pierre Brasseur Nathalie Natiier Jean Vilar Serge Reggiani Jacques Perrin Raymond Bussières Julien Carette Gabrielle Fontant Mady Berry 

Février 1945 à Paris, pendant l'hiver qui suit la Libération. Diego, un ancien résistant, retrouve dans le quartier de Barbès-Rochechouart un camarade de combat, Raymond Lécuyer, qu'il croyait mort. Cette même nuit, `le Destin', un clochard, lui prédit qu'il va rencontrer la plus belle femme du monde. 

Les Portes de la nuit (1946) de Marcel Carné, sur un scénario de Jacques Prévert, est sans doute l’un des plus beaux films « ratés » de l’histoire du cinéma français, ou du moins un chef-d’œuvre incompris à sa sortie. Il clôt avec gravité et panache le cycle du réalisme poétique, cette veine lyrique et sociale typiquement française, dont Carné et Prévert furent les plus brillants orfèvres. Ce film marque aussi une rupture, un basculement douloureux : après la guerre, l’époque n’était plus à la rêverie mélancolique mais à la reconstruction, au silence, voire à l’oubli. Or Les Portes de la nuit, en convoquant l’ombre encore fraîche de l’Occupation, ne laissait pas cette porte-là se refermer. 

Le film se déroule dans un Paris nocturne, spectral, où les personnages semblent errer dans une réalité suspendue. Le métro aérien, les terrains vagues du nord de la capitale, les couloirs d’immeubles… tout participe à créer une atmosphère de rêve brisé. Et pour cause : Les Portes de la nuit se situe dans ce moment très particulier de la Libération, entre euphorie et rancune, entre espoir et règlements de comptes. La nuit, c’est l’Occupation encore vivace, et l’aurore n’est qu’une promesse lointaine. 

Le personnage du Destin, clochard prophétique et railleur interprété par Jean Vilar, agit comme une figure allégorique shakespearienne : il observe, commente, tire peut-être les ficelles. À travers lui, Carné injecte une dose de merveilleux noir dans un réalisme déjà empreint de symboles. La tragédie devient ballet, une danse fatale où chacun paie pour ses actes passés. La collaboration y est abordée sans fard : dénonciations, enrichissement personnel, trahisons familiales. Le tout incarné par la famille Sénéchal, archétype de la petitesse humaine, avec un Saturnin Fabre odieux à souhait et un jeune Serge Reggiani glaçant. 

Initialement prévu pour Jean Gabin et Marlène Dietrich, le casting dut être revu. Gabin refusa, Dietrich suivit, et Carné se retrouva avec Yves Montand — inconnu alors au cinéma — et Nathalie Nattier, modèle plus qu’actrice. Cela affaiblit sans doute l’impact immédiat du film, d’autant que la France de 1946 n’était pas prête à voir ses plaies remuées avec autant d’élégance cruelle. L’échec critique et commercial fut cuisant. On accusa Carné d’avoir perdu la main, et ce film fut longtemps vu comme l’écho terne d’un génie passé. 

Et pourtant. Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer… les jeunes turcs des Cahiers du cinéma revinrent sur cette œuvre injustement méprisée. Ils virent dans Les Portes de la nuit une œuvre de transition, puissante et moderne, posant les bases d’un cinéma de la mémoire, de la parole et du doute. Une mise en scène audacieuse, une lumière expressionniste, un sens du dialogue poétique inégalé, une utilisation musicale (la chanson Les feuilles mortes naît ici, chantée par Montand !) qui fait date : c’est tout cela, Les Portes de la nuit. 

Film de la fin des illusions, Les Portes de la nuit est peut-être moins une conclusion qu’un passage de témoin entre deux âges du cinéma français. Poétique, amer, hanté, traversé de fulgurances visuelles et littéraires, il reste un objet fascinant, dont l’ombre portée plane encore sur nombre d’œuvres contemporaines. Un film qui, à l’image de ses personnages, revient de loin. 

NOTE : 14.80

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