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dimanche 27 avril 2025

13.10 - MON AVIS SUR LE FILM ANTOINE ET ANTOINETTE DE JACQUES BECKER (1946)

 


Vu le film Antoine et Antoinette de Jacques Becker (1946) avec Roger Pigaut Noel Roquevert Claire Maffei Annette Poivre Jacques Meyran Pierre Trabaud Yette Lucas Brigitte Auber Paulette Jan Gaston Modot Pierre Barge 

Premier rôle au cinéma de Brigitte Auber, rôle de figuration comme invitée à la Noce comme Louis de Funès d’ailleurs 

Le film commence un samedi soir alors qu'Antoine (Roger Pigaut), ouvrier dans une imprimerie et Antoinette (Claire Mafféi), employée au Prisunic des Champs-Élysées, s'apprêtent à quitter leur travail pour rejoindre leur domicile. Antoinette est séduisante et subit les assiduités d'un épicier peu scrupuleux (Noël Roquevert). Le couple, en proie aux difficultés de la vie matérielle, en cet après-guerre, se dispute pour des broutilles et se réconcilie sur l'oreiller. Antoine découvre que le billet de loterie acheté par Antoinette est gagnant, il pourra enfin réaliser son rêve et acheter un side-car. S'ensuivent quelques rebondissements, billet perdu et retrouvé, correction infligée à l'épicier, promenade en barque sur le lac du bois de Boulogne, match de football au Parc des Princes, et le couple, finalement installé sur son side-car, s'éloigne sur la route. 

Antoine et Antoinette (1947) s’inscrit dans cette veine de réalisme poétique tardif teinté d’humanisme qui caractérise les premières grandes œuvres de Jacques Becker. Il s’agit d’une comédie romantique en apparence légère, mais où perce déjà une certaine lucidité sur les conditions de vie du Paris populaire d’après-guerre. Le film raconte l’histoire d’un jeune couple modeste, Antoine (Roger Pigaut), ouvrier dans une imprimerie, et Antoinette (Claire Maffei), vendeuse dans un grand magasin, qui mènent une vie simple et joyeuse, nourrie d’un amour sincère mais aussi bousculée par les tracas quotidiens, les voisins, les rivalités, les jalousies ordinaires, et les fins de mois difficiles. 

L’élément déclencheur du récit est un billet de loterie gagné... mais égaré. Ce faux miracle puis cette vraie angoisse deviennent un levier scénaristique simple et redoutablement efficace. Le spectateur suit, presque en temps réel, les espoirs qui s’envolent, la confiance qui vacille, puis la tendresse qui revient. L’histoire aurait pu basculer dans le vaudeville ou la satire sociale appuyée, mais Becker préfère une mise en scène toute en nuance, attentive aux gestes et aux mots du quotidien, sans surplomb. Le film est coécrit avec Annette Wademant, et l’on y retrouve ce mélange d’élégance et de naturel qui traversera Édouard et Caroline ou Rendez-vous de juillet. 

Au-delà de la romance, Antoine et Antoinette capte l’esprit d’un temps : celui d’une France encore marquée par les privations, les pénuries, mais aussi les élans de reconstruction. Les personnages ne rêvent pas d’un monde nouveau mais d’un peu plus de confort, d’un frigo, d’un studio, d’un avenir paisible. Le billet de loterie, objet central du récit, devient le symbole d’un espoir matérialiste certes, mais compréhensible. Dans ce désir d’ascension sociale par le hasard se lit déjà une tension propre aux Trente Glorieuses naissantes : l’attente d’un miracle qui compenserait les injustices structurelles. Sous ses airs de comédie légère, le film propose donc un regard assez peu optimiste sur la société. Le capitalisme y est latent, insidieux, intégré au décor comme une évidence ; on ne le critique pas frontalement, mais on en sent la pression diffuse. 

L’intérêt du film réside aussi dans sa fidélité documentaire. On y voit des rues de Paris, les halls d’immeuble, les commerces, les bals populaires et les trottoirs des Champs-Élysées filmés avec une vérité saisissante. Rien de figé ni de misérabiliste, mais un Paris vivant, encore un peu d’avant-guerre, déjà moderne. Ces images prises sur le vif ont aujourd’hui une valeur patrimoniale précieuse. La direction d’acteurs est fine, et si les visages ne sont pas tous connus du grand public, ils incarnent avec sincérité des personnages pleins d’humanité. Claire Mafféi, notamment, est lumineuse dans son rôle de femme libre, dynamique, aimante, mais pas soumise. Leur couple est crédible, loin des clichés. 

Jacques Becker a tenu à tourner Antoine et Antoinette en grande partie en décors réels, refusant les studios dans la mesure du possible. Cela contribue à l’authenticité du film. Certains extérieurs furent filmés dans le 15e arrondissement de Paris, autour de la rue Lecourbe. Becker, influencé par son ami Jean Renoir, voulait que la caméra soit au service des gens, de la rue, de la vérité du moment. Il dira plus tard que ce film fut son premier vrai geste personnel au cinéma. 

Antoine et Antoinette est une comédie douce-amère, au charme certain, qui se laisse regarder avec plaisir tout en offrant une réflexion implicite sur la précarité et le mirage du bonheur par l’argent. Si l’amour tient lieu de refuge, c’est aussi parce qu’il n’y a pas grand-chose d’autre de garanti. Cette œuvre modeste dans son dispositif s’avère riche par ce qu’elle donne à penser. Entre réalisme social, humour tendre, et esquisse d’un désenchantement moderne, elle constitue un jalon important dans la filmographie de Jacques Becker — et dans le cinéma français de l'après-guerre. 

NOTE : 13.10

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