Vu le film L’Astragale de Brigitte Sy (2015) avec Leila Bekthi Reda Kateb Damien Bonnard Esther Garrel Louis Garrel India Hair Jean Benoit Ugueux Jocelyne Desverchère
Albertine Damien, âgée de 19 ans, s'enfuit en pleine nuit de la prison de Doullens où elle purge une peine de 7 ans, pour un braquage qui a mal tourné. Dans sa cavale, elle se casse l'os du talon, l'astragale, et rampe sur le bord de la route pour chercher de l'aide. Elle est recueillie par Julien, un repris de justice qui l'embarque sur sa moto et la soigne. Le coup de foudre est immédiat entre les deux hors-la-loi.
L’Astragale de Brigitte Sy (2015) ressuscite la figure d’Albertine Sarrazin, écrivaine fulgurante, marginale, libertaire, morte à 29 ans d’une banale opération mal tournée. Son roman éponyme, publié en 1965, est un cri d’amour et de rage, écrit entre deux peines de prison. En elle, brûlait la même flamme que chez Genet, mais au féminin, avec la sensualité en prime. Un destin fracassé, un style qui claque, une vie vécue dans la vitesse et l’insolence. “Quand j’aurai des remords, je vous préviendrai”, disait-elle à ses juges. Une réplique qui vaut manifeste.
Brigitte Sy, elle-même cinéaste aux marges, proche des récits intimes et féminins (Les mains libres), s’attaque ici à un matériau incandescent. En filmant en noir et blanc, elle cherche à convoquer l'époque, la rugosité des années 50, mais avec une nervosité contemporaine dans le découpage. Ellipses, montages serrés, ruptures de ton : un rythme syncopé, parfois trop. On sent la volonté d’embrasser l’urgence d’un amour interdit, clandestin, écorché vif. Mais le film reste plus pudique que son sujet. Là où Sarrazin griffait, le film caresse. Une adaptation qui évoque plus qu’elle ne tranche, qui suit les pas de son héroïne sans toujours saisir ses vertiges intérieurs.
Leïla Bekhti, troublante, donne à Anne la fragilité tendue d’un fauve blessé. Reda Kateb, dans la peau de Julien, est une figure presque trop évanescente mais dont la présence magnétise. Leur couple ne prend corps que par fragments, comme s’il leur était refusé d’exister pleinement. Telles deux étoiles dans la nuit, oui — séparées par des routes, des prisons, la fatalité.
Et comment ne pas évoquer l’ombre du premier film, celui de Guy Casaril (1968), où Marlène Jobert prêtait ses traits à Anne, dans une adaptation plus linéaire, plus académique, mais aussi marquée par son époque, à la fois naïve et romantique. Peu s’en souviennent aujourd’hui, mais il fut l’un des premiers à porter à l’écran cette littérature des bas-fonds, de l’urgence.
L’Astragale version 2015 est une œuvre sincère, respectueuse, mais peut-être trop sage. Elle échoue parfois à transmettre la fureur incandescente de son autrice. Elle reste toutefois un beau tremplin pour (re)découvrir Albertine Sarrazin, son écriture fulgurante, sa trajectoire météorique, et cette vie qui lui brûla les doigts. On sort du film avec l’envie de la lire — et c’est peut-être là sa plus grande réussite.
NOTE : 8.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Brigitte Sy
- Scénario : Serge Le Péron et Brigitte Sy, d'après L'Astragale d'Albertine Sarrazin
- Photographie : Frédéric Serve
- Couleur : noir et blanc
- Montage : Julie Dupré
- Costumes : Françoise Arnaud
- Décors : Françoise Arnaud
- Producteur : Paulo Branco
- Production : Alfama Films et France 3 Cinéma
- Distribution : Alfama Films
- Leïla Bekhti : Albertine Damien
- Reda Kateb : Julien
- Esther Garrel : Marie
- India Hair : Suzy
- Jean-Benoît Ugeux : Marcel
- Jocelyne Desverchère : Nini
- Louis Garrel : Jacky
- Jean-Charles Dumay : Roger
- Delphine Chuillot : Catherine
- Brigitte Sy : Rita
- Yann Gael : Étienne, le danseur dans la boîte de nuit
- Guillaume Briat : le patron du café Pigalle
- Christian Bouillette : la voix off du juge
- Béatrice de Staël : une prostituée au commissariat
- François Négret : un homme
- Billie Blain : Coco[2

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire