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vendredi 18 avril 2025

16.50 - AVIS SUR LE FILM PiEGE MORTEL DE SIDNEY LUMET (1982)


 Vu le film Piège Mortel de Sidney Lumet (1982) avec Michael Caine Christopher Reeves Dyan Cannon Irene Worth Al Le Breton Jayne Heller Henry Jones Joe Silver Tony Di Benedetto 

Sidney Bruhl, auteur jadis reconnu de pièces de théâtre, vient de connaître un nouvel échec critique et public avec sa dernière pièce. Cherchant à tout prix à renouer avec le succès, il remarque le manuscrit que lui a fait parvenir Clifford Anderson, l'un de ses étudiants à un séminaire d'écriture. Sidney Bruhl voit là l'occasion de revenir sur le devant de la scène, à condition de faire croire que le texte est de lui. Mais pour cela, il lui faut se débarrasser de Clifford Anderson. 

Adapté de la pièce à succès d’Ira Levin (Rosemary’s Baby, Les Femmes de Stepford), Piège mortel est un petit bijou de théâtre filmé, une mécanique de précision qui joue sur les nerfs, les rires et les attentes du spectateur. Dans cette comédie noire à suspense, Sidney Lumet orchestre avec brio un huis clos labyrinthique où le théâtre, le meurtre et la manipulation deviennent les ressorts d’une intrigue aux multiples tiroirs, qui ne cesse de se retourner sur elle-même. 

L’histoire ? Un auteur de pièces policières à succès (Michael Caine), en panne d’inspiration et confronté à l’échec, découvre le manuscrit prometteur d’un jeune dramaturge (Christopher Reeves). L’idée germe rapidement : et s’il le tuait pour s’approprier son œuvre ? De cette prémisse, toute en tension et en duplicité, découle une série de coups de théâtre qui embrasse les codes du genre tout en les moquant avec une délicieuse malice. 

La mise en abyme y est constante, malicieuse : chaque scène pourrait être un extrait de pièce, chaque geste un acte préconçu. Le film joue avec le spectateur autant que les personnages jouent entre eux. Et l’intelligence de Lumet, qui n’a jamais craint de sauter d’un genre à l’autre, réside ici dans sa capacité à épouser l’essence théâtrale du texte tout en lui offrant un souffle cinématographique : angles appuyés, jeux de miroirs, effets de cadrage, et même quelques effets de caméra facétieux qui brisent le quatrième mur avec une complicité délicieusement canaille. 

Michael Caine, au sommet de son art cabotin, promène un sourire carnassier dans les couloirs de sa maison ultra-élisabéthaine, où chaque objet peut devenir une arme. Son personnage, mélange de cynisme blasé et d’arrogance blessée, offre un terrain de jeu idéal pour son registre ironique, déjà entamé dans Sleuth (1972) et que l’on retrouvera affûté plus tard dans Noises Off ! ou même Les Muppets à Manhattan. Face à lui, Christopher Reeves, loin de la cape de Superman, campe un jeune loup rusé, ambigu, dont la sexualité et les motivations s’entrelacent jusqu’à créer le malaise. Sa prestation, toute en retenue glaciale et sensualité trouble, est à saluer — d’autant qu’elle avait surpris à l’époque, tant le public le cantonnait à ses rôles de héros. 

Et puis il y a Dyan Cannon, volcanique, hystérique à souhait, caricature assumée de l’épouse new-âge et mondaine, qui crie, grimace, se roule par terre : un vrai plaisir coupable. Ce triangle vénéneux se désarticule et se recompose au fil des scènes, entre alliances fuyantes et trahisons spectaculaires. 

Piège mortel, en plus d’être un exercice de style redoutable, est aussi un commentaire sur la création artistique, la peur de vieillir, l’angoisse de la page blanche et la lutte vaine pour la reconnaissance. Sous le masque du thriller macabre et théâtral, on sent pointer des obsessions bien plus sombres, et qui font écho à d’autres œuvres de Lumet, notamment Network (1976), dont il retrouve ici le goût pour le sarcasme et la dénonciation d’un monde régi par l’image et le succès à tout prix. 

  • Le film sort en 1982, et s’inscrit dans une époque où le théâtre filmé connaît un certain renouveau au cinéma (Amadeus, Le Limier, etc.). Deathtrap reste d’ailleurs l’un des plus gros succès de Broadway dans les années 1970 avec plus de 1 800 représentations. 

  • L’un des rebondissements du film (la relation homosexuelle entre les deux hommes) avait suscité un certain trouble à la sortie, notamment chez les fans de Reeves, surpris de voir leur héros jouer une scène de baiser entre hommes — chose encore très rare à l’époque dans une production hollywoodienne « grand public ». 

  • La maison où se déroule l’action est quasiment un personnage à part entière : remplie d’armes, d’armures, de chaînes et de pièges, elle évoque les vieux récits gothiques tout en préfigurant le Cluedo cinématographique à venir. 

  • C’est également un film qui a conforté Lumet dans son rôle de passe-muraille du cinéma : après avoir touché au drame judiciaire (Douze hommes en colère), au polar urbain (Serpico), au film de procès (Le Verdict), à la satire télévisuelle (Network), il prouvait une nouvelle fois qu’il pouvait s’emparer d’un matériau mineur et en faire un objet de cinéma majeur. 

Piège mortel est une farce noire et brillante, un théâtre cruel en miroir déformant, un jeu du chat et de la souris jubilatoire entre acteurs, metteur en scène et spectateurs. À (re)voir, pour le plaisir du texte et du sous-texte. 

NOTE : 16.50

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