Vu le film Spectateurs de Arnaud Desplechin (2024) avec Micha Lescot Mathieu Almaric Milo Machado Graner Louis Birman Dominique Paini Françoise Lebrun Clément Hervieu-Léger Sandra Laugier Sam Chemoul Kent Jones Salif Cissé Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ?
Pourquoi y allons-nous depuis plus de 100 ans ?
Je voulais célébrer les salles de cinéma, leurs magies.
Aussi, j’ai suivi le chemin du jeune Paul Dédalus, comme le roman d’apprentissage d’un spectateur. Nous avons mêlé souvenirs, fiction, enquêtes…
Un torrent d’images qui nous emporte.
Avec Spectateurs, Arnaud Desplechin signe l’un de ses films les plus personnels et les plus chaleureux. Après avoir exploré l’âme humaine sous toutes ses coutures, le cinéaste se penche ici sur son amour du cinéma en lui donnant une forme aussi intime qu’universelle. Le fil conducteur ? Paul Dédalus, son personnage fétiche, miroir de lui-même, qu’il suit à travers trois âges clés de son existence : à 6 ans (Louis Birman), 14 ans (Milo Machado-Graner) et 22 ans (Sam Chemoul), avant que Mathieu Amalric, son double attitré, ne prenne la relève à l’âge adulte. Ce récit de formation, délicatement éclaté, est moins une narration linéaire qu’une remontée sensorielle dans la mémoire : celle des premières fois au cinéma, des émerveillements, des terreurs enfantines, des passions adolescentes.
Le film est une explosion d’images : extraits célèbres de films, travellings dans des salles obscures, gros plans sur les visages fascinés, bercés par la lumière vacillante des projecteurs. Mais ce n’est pas une simple leçon d’histoire cinéphilique ; Spectateurs est une déclaration d’amour vivante, incarnée, au cinéma comme lieu de vie, d’émotion partagée. Le cinéma n’est pas consommé sur un écran domestique ; il est vécu, en salle, avec les autres. Desplechin insiste sur ce détail : il célèbre l’acte collectif d’aller au cinéma, l’expérience irremplaçable de l’obscurité, de l’attente, de la communion silencieuse.
Dans ce mouvement de mémoire et d'émotions, Milo Machado-Graner, déjà remarquable dans Anatomie d'une chute, trouve ici un rôle à la mesure de son talent : son Paul adolescent est à la fois tendre, maladroit, exalté, et il capte parfaitement l’éveil d’une sensibilité artistique. Louis Birman et Sam Chemoul complètent cette traversée du temps avec justesse et fraîcheur. Quant à Françoise Lebrun, figure mythique du Maman et la Putain, sa présence apporte au film une poignante touche de nostalgie, presque une bénédiction discrète sur toute l’entreprise de Desplechin.
On pourrait craindre que le film ne tombe dans l’exercice nombriliste ; il n’en est rien. Si Desplechin puise dans son propre passé, il touche, par la sincérité de sa démarche, à quelque chose de collectif : chacun peut reconnaître dans ces fragments d’extase cinéphile un écho de ses propres émerveillements. Par ailleurs, la mise en scène, tout en étant libre et foisonnante, garde une grande fluidité. La caméra épouse les élans du souvenir, avec ce mélange si particulier d’élégance et de fièvre qui fait le style Desplechin.
Spectateurs est aussi un film sur le passage du temps, sur la perte de l’innocence et la fidélité aux passions premières. Ce n’est pas un film muséal ou nostalgique, mais un film vibrant, qui regarde le passé comme un trésor vivant et non comme une relique. La musique, le montage rythmé, les jeux de lumière participent à cette atmosphère presque magique où les films du passé deviennent des souvenirs personnels et vice-versa.
Spectateurs est une lettre d’amour au cinéma, pleine de gratitude et de vitalité. C’est aussi une réflexion sensible sur ce qui fonde une vocation, sur ce qui nous forge en tant qu’être sensibles. Un très beau film, bien filmé, généreux, à voir absolument en salle – là où la magie prend tout son sens.
NOTE : 13.40
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