Vu le film Mais qui a Tué Harry ? de Alfred Hitchcock (1956) avec John Forsythe Shirley MacLaine Edmund Gwenn Mildred Natwick Mildred Dunnock Jerry Mathers Royal Dano Parker Fennelly Philip Truex (le mort)
Un vieux chasseur découvre un homme récemment mort,
allongé dans l'herbe dans la colline. Il pense l'avoir tué en tirant un coup de
carabine sur un lapin. Mais peu après, un petit garçon arrive aussi sur les
lieux et remarque le cadavre ; il part alerter sa mère. Plusieurs habitants
du village sont les uns après les autres confrontés au défunt. On apprend que
l'homme se prénomme Harry. Les problèmes sont de savoir qui est la personne
responsable de sa mort et ce qui doit être fait du corps. En tout cas, personne
n'est bouleversé par la mort de Harry, dont le corps est enterré et déterré à
plusieurs reprises.
Mais qui a tué Harry ?
(The Trouble with Harry, 1955), réalisé par Alfred Hitchcock, est une
œuvre singulière dans la filmographie du maître du suspense. Contrairement aux
thrillers psychologiques tendus pour lesquels Hitchcock est le plus célèbre, ce
film prend une direction inattendue : celle de la comédie noire, imprégnée d'un
humour très "british", bien que le film soit américain. Cet aspect en
fait une rareté, souvent oubliée dans l'ombre des classiques d'Hitchcock, mais
qui mérite pleinement d'être redécouverte pour son originalité et sa malice.
L'intrigue, comme son titre l'indique, tourne autour
d'un mystérieux cadavre, celui d'Harry, trouvé dans les bois d'une petite ville
du Vermont. L'ironie est que la mort de Harry ne semble inquiéter personne ; au
contraire, plusieurs personnages se retrouvent impliqués dans l'affaire, non
pas par panique ou désir de justice, mais par un enchaînement d'actes absurdes
et comiques, où chacun pense avoir tué Harry. Le film prend alors des allures
de jeu de Cluedo géant, où chaque personnage devient suspect, non seulement de
la mort de Harry, mais aussi de manipulations posthumes du cadavre, le
déplaçant, le cachant, et même le dépouillant sans vraiment de raison
apparente.
Ce qui rend le film brillant, c’est cette manière
ludique qu’a Hitchcock de brouiller les pistes. Il s'amuse avec les attentes du
spectateur en semant de fausses pistes, des révélations anodines, et en créant
un ton décalé face à ce qui pourrait être un drame macabre. Le traitement de la
mort devient ici une sorte de ballet macabre et léger, où la situation perd
rapidement toute gravité. Hitchcock joue constamment avec le paradoxe entre la
gravité apparente d'un meurtre et la désinvolture des réactions des personnages,
créant un décalage délicieux.
La mise en scène est caractéristique de la
finesse d'Hitchcock. Le décor, une petite ville paisible nichée dans une
campagne pittoresque, contraste volontairement avec le sujet lugubre.
L’utilisation des couleurs, notamment le rouge vif des feuilles d’automne et la
lumière chaude de la campagne, donne un aspect presque féérique à l’histoire.
Cet environnement bucolique accentue l’absurde des situations, rendant encore
plus amusante la manière dont les personnages interagissent avec le corps de
Harry. Le parc, la forêt, et les intérieurs de cette vaste demeure deviennent
autant de scènes où Hitchcock orchestre ses quiproquos avec une précision
chirurgicale, jouant sur l'ellipse, l’hors-champ, et les dialogues savoureux.
L’humour « british » du film est omniprésent.
Bien que tourné aux États-Unis et avec des acteurs américains, le film dégage
une subtilité comique propre aux comédies anglaises. Le flegme des personnages
face à l'absurde, leur manière de traiter la mort comme une légère contrariété,
ainsi que les dialogues teintés d'ironie et de nonchalance, tout cela rappelle
l’humour pince-sans-rire typique de la Grande-Bretagne. Hitchcock, né à
Londres, imprègne le film de cette atmosphère tout en la fusionnant avec un cadre
américain, créant ainsi un mélange de cultures singulier.
La distribution est excellente, avec des
performances d'une justesse rare. Shirley MacLaine, dans son tout
premier rôle au cinéma, crève l’écran. Elle incarne Jennifer, une jeune veuve
joyeusement désinvolte face à la mort de son mari, Harry. Sa fraîcheur et son
charme naturel ajoutent une légèreté au film, tout en rendant son personnage
incroyablement attachant. John Forsythe, quant à lui, joue Sam, un
peintre nonchalant qui se trouve mêlé à l'affaire presque par accident,
ajoutant à la galerie de personnages décalés et excentriques.
L'humour noir et absurde de Mais qui a tué Harry ?
en fait une comédie singulière dans l'œuvre d'Hitchcock. Le réalisateur y
démontre qu'il maîtrise non seulement le suspense et la tension, mais aussi
l'art de la comédie sophistiquée. Si le film a pu dérouter certains spectateurs
à l'époque, il est aujourd'hui reconnu comme une œuvre à part entière, où
Hitchcock prouve qu'il peut s'amuser avec les codes du thriller tout en
détournant les conventions du genre. C'est un film brillant et amusant, une
pièce rare du cinéma d’Hitchcock, qui mérite d’être revisité pour son audace et
son humour finement tissé.
NOTE : 13.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Alfred Hitchcock, assisté de Howard Joslin et de Bernard McEveety (non crédité)
- Scénario : John Michael Hayes, d'après le roman de Jack Trevor Story, The Trouble With Harry, Boardman & Company, Londres, 1949, 192 p.
- Photographie : Robert Burks
- Cadreur : Leonard J. South
- Montage : Alma Macrorie
- Musique : Bernard Herrmann
- Chanson : Flaggin' the train to Tuscaloosa, paroles de Mack David et musique de Raymond Scott
- Direction artistique : Hal Pereira et John Goodman
- Décors : Sam Comer et Emile Kuri
- Costumes : Edith Head
- Maquillage : Wally Westmore
- Son : Harold Lewis et Winston Leverett
- Effets spéciaux : John P. Fulton
- Générique : Saul Steinberg
- Producteurs : Alfred Hitchcock
- Producteur associé : Herbert Coleman
- Sociétés de production : Alfred J. Hitchcock Productions, Inc.
- Sociétés de distribution : Paramount Pictures (1955), Universal Pictures (VHS, DVD, Blu-Ray, TV)
- Budget : 1 200 000 $
- Edmund Gwenn (VF : Raymond Rognoni) : Albert Wiles (dit « le capitaine »), un marin à la retraite
- John Forsythe (VF : Roland Ménard) : Sam Marlowe, un artiste peintre moderne
- Shirley MacLaine (VF : Nelly Benedetti) : Jennifer Rogers, la mère d'Arnie
- Mildred Natwick (VF : Lita Recio) : Ivy Gravely, une quadragénaire célibataire
- Mildred Dunnock (VF : Marie Francey) : « Wiggie » Wiggs, l'épicière-postière du village
- Jerry Mathers : Arnie Rogers, le petit garçon de Jennifer
- Royal Dano (VF : Jean-Claude Michel) : Calvin Wiggs, le shérif adjoint
- Parker Fennelly : le millionnaire
- Barry Macollum : le clochard
- Dwight Marfield : Dr Greenbow, le médecin inattentif
- Ernest Curt Bach : Ellis, le chauffeur du millionnaire (non crédité)
- Philip Truex : Harry Worp, le mort (non crédité)
- Leslie Woolf : le critique d'art du Musée d'art moderne (non crédité)
- Alfred Hitchcock (caméo) : l'homme qui passe devant l'exposition de Sam (non crédité)
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