Vu le film Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos (2024) avec Emma Stone Jesse Plemons Margaret Qualey Hunter Schafer Joe Alwyn Willem Dafoe Hong Chau Mamoudou Athie Yorgos Setfanakos Susan Elle Krystal Alayne Chambers
Robert
Fletcher est un homme dont tous les détails de la vie sont entièrement
contrôlés par son patron Raymond. Ses repas, les vêtements qu'il doit porter
chaque jour, la décoration chez lui et même le fait qu'il n'ait pas le droit
d'avoir d'enfants avec sa femme sont tous des ordres qui viennent de Raymond.
Un jour, Raymond ordonne à Robert de provoquer un accident avec sa voiture et
de tuer un homme connu uniquement sous ses initiales "R.M.F." et qui
a pleinement accepté de se faire tuer.
Après
avoir échoué à sa mission, Robert rend visite à Raymond et lui avoue qu'il
n'est pas capable de commettre un tel acte. Ce dernier lui rappelle sèchement
que cela doit être fait. Robert reste sur sa position : Raymond lui dit
alors qu'il est libre, et le renvoie chez lui.
Yorgos Lanthimos est un réalisateur grec qui
s'est forgé une réputation pour ses films singuliers, où le bizarre côtoie le
quotidien avec un sens aigu du décalage. Avec "Kinds of Kindness", il
pousse encore plus loin ses expérimentations esthétiques et narratives, créant
une œuvre baroque, étrange et dérangeante, tout en maîtrisant à la perfection
sa mise en scène. Il livre ainsi un film qui divise mais ne laisse personne
indifférent.
Le premier élément marquant dans "Kinds of Kindness" est l'esthétique
visuelle. Lanthimos est connu pour son sens du cadre et de la composition, et
ici, il adopte une mise en scène baroque. Les décors sont souvent surchargés de
détails, avec une richesse visuelle qui s’apparente à une peinture rococo, mais
revisités de manière moderne. Chaque plan est étudié, chargé d’une symbolique
qui interroge. Lanthimos n'a pas peur d'utiliser des angles de caméra
insolites, des travellings fluides et des mouvements de caméra abrupts pour
intensifier la sensation de malaise.
L'étrangeté
est omniprésente dans "Kinds of Kindness". Lanthimos distille une
ambiance qui met le spectateur en porte-à-faux, comme s'il assistait à un rêve
éveillé où rien n'est ce qu'il semble être. Les dialogues sont souvent décalés,
minimalistes, parfois délibérément absurdes, créant un effet d’aliénation. Les
personnages semblent enfermés dans leurs propres réalités, incapables de se
comprendre ou de se rejoindre. Cette étrangeté s'accompagne aussi de moments de
violence soudaine ou de comportements déroutants qui dérangent autant qu'ils
fascinent.
Sous cette apparence baroque et étrange, Lanthimos semble vouloir interroger la
nature même de la bonté et de la bienveillance, comme le suggère le titre. Mais
la bonté, ici, n'est jamais simple ou évidente. Elle est teintée d'une
ambiguïté morale, parfois presque cruelle. Le réalisateur pousse le spectateur
à remettre en question ses propres notions de bien et de mal. L’humanité, telle
qu’elle est présentée dans le film, est complexe, souvent contradictoire. La
gentillesse peut devenir un acte de contrôle, de manipulation, ou même de
destruction, comme si Lanthimos voulait nous rappeler que nos motivations ne
sont jamais purement altruistes.
Malgré
l’apparente anarchie qui règne dans le film, avec ses situations déroutantes et
ses personnages hors de contrôle, Lanthimos reste le maître d’orchestre. Sa
mise en scène est rigoureuse, minutieusement pensée. Chaque détail semble
calculé pour provoquer une réaction précise chez le spectateur. L'alternance
entre moments de contemplation, éclats de violence et séquences absurdes
contribue à maintenir une tension palpable tout au long du film. Cela démontre
une maîtrise rare de la narration et du rythme, même si certains pourront
reprocher au film une certaine froideur émotionnelle.
Dans
Kinds of Kindness, Yorgos Lanthimos exploite pleinement la capacité de
ses acteurs à naviguer entre le naturel et l'absurde, en leur offrant une
liberté rarement vue dans le cinéma conventionnel. Comme souvent dans son
travail, les performances oscillent entre le grotesque et le minimalisme, et ce
contraste donne au film une énergie déstabilisante mais puissante.
Les
acteurs principaux sont poussés à explorer des émotions extrêmes, tout en
gardant cette froideur typique des personnages de Lanthimos. Ils doivent
souvent interpréter des dialogues délibérément plats, voire absurdes, qui
créent un décalage entre leurs actions et leurs paroles. Cette distanciation
émotionnelle est un choix risqué, mais elle fonctionne à merveille dans
l’univers que Lanthimos façonne. C'est un jeu qui pourrait paraître désincarné
si l'on cherche du réalisme émotionnel, mais qui révèle des nuances fascinantes
pour ceux qui embrassent l'absurdité du film.
Emma
Stone, collaboratrice régulière de Yorgos Lanthimos, brille une fois de plus
dans Kinds of Kindness. Sa performance incarne à la perfection la
dualité recherchée par le réalisateur : une apparente douceur, presque
angélique, qui cache des motivations ambivalentes et des blessures profondes.
Stone maîtrise l'art de l'intériorité, passant subtilement de moments de
vulnérabilité à des éclats de froideur calculée. Elle est capable de jouer sur
plusieurs registres à la fois, ce qui rend son personnage fascinant et
insaisissable. Son jeu est tout en retenue, mais chaque regard et chaque geste
révèlent une complexité émotionnelle qui accroît la tension du film.
Jesse Plemons est parfait dans le rôle du personnage apparemment ordinaire,
presque terne, mais qui dissimule des fêlures profondes et un malaise
intérieur. Avec son allure débonnaire et son jeu souvent minimaliste, il
incarne à merveille un individu pris dans des dilemmes moraux qu'il ne comprend
pas totalement. Plemons a cette capacité unique à rendre intrigante la
banalité, et sous la direction de Lanthimos, il joue avec une sobriété qui
contraste avec l'étrangeté ambiante. Il est l'ancre rationnelle dans un univers
baroque, tout en étant lui-même pris dans des actions qui révèlent l’absurdité
de la condition humaine.
Willem
Dafoe apporte à Kinds of Kindness son charisme magnétique et sa capacité
à incarner des personnages inquiétants, voire perturbateurs. Il oscille entre
sagesse et folie, naviguant entre moments de calme et explosions de violence
émotionnelle. Dafoe excelle dans les rôles ambigus, où la frontière entre bien
et mal devient floue, et c'est exactement ce que Lanthimos exploite ici. Sa
présence à l’écran est électrique, et il incarne souvent un personnage qui
catalyse les conflits internes des autres protagonistes. Avec son visage marqué
et son jeu intense, Dafoe réussit à faire planer une ombre sur chaque scène
dans laquelle il apparaît, ajoutant une tension palpable au film.
Kinds
of Kindness
est, comme son titre l’indique, une réflexion sur les diverses formes de la
bonté humaine, mais traité avec la touche cynique et souvent dérangeante de
Yorgos Lanthimos. Le réalisateur déconstruit la notion traditionnelle de la
bienveillance pour en montrer les aspects ambigus, parfois toxiques. Le film
explore comment la bonté peut être déformée par des motivations égoïstes, le
pouvoir et l'aliénation psychologique.
La
bonté, chez Lanthimos, n'est jamais purement bienveillante ; elle est souvent
teintée d'intentions cachées, que ce soit pour manipuler, pour contrôler ou
pour apaiser des culpabilités personnelles. Le film interroge les relations
humaines à travers des actes de gentillesse qui finissent par devenir aliénants
ou destructeurs. Les personnages semblent constamment piégés dans une quête de
rédemption ou de validation, tout en étant incapables de réellement se
comprendre ou de s’épanouir émotionnellement.
- Réalisation : Yórgos Lánthimos
- Scénario : Efthýmis Filíppou et Yórgos Lánthimos
- Musique : Jerskin Fendrix (en)
- Décors : Anthony Gasparro
- Costumes : Jennifer Johnson
- Photographie : Robbie Ryan
- Son : Johnnie Burn3
- Montage : Yorgos Mavropsaridis (en)
- Production : Ed Guiney, Yórgos Lánthimos, Andrew Lowe et Kasia Malipan
- Production déléguée : Daniel Battsek, Louise Lovegrove et Ollie Madden
- Sociétés de production : Element Pictures, Film4 et Searchlight Pictures
- Société de distribution : Searchlight Pictures (États-Unis, France, Québec)
- Budget : 15 millions de dollars
- Emma Stone :
- Rita (« La mort de R.M.F. »)
- Liz (« R.M.F. vole »)
- Emily (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Jesse Plemons (VF : Damien Ferrette) :
- Robert (« La mort de R.M.F. »)
- Daniel (« R.M.F. vole »)
- Andrew (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Willem Dafoe :
- Raymond (« La mort de R.M.F. »)
- George (« R.M.F. vole »)
- Omi (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Margaret Qualley :
- Vivian (« La mort de R.M.F. »)
- Martha (« R.M.F. vole »)
- Ruth et Rebecca, les jumelles (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Hong Chau :
- Sarah (« La mort de R.M.F. »)
- Sharon (« R.M.F. vole »)
- Aka (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Joe Alwyn :
- l’homme évaluant les objets (« La mort de R.M.F. »)
- Jerry (« R.M.F. vole »)
- Joseph (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Mamoudou Athie :
- Will (« La mort de R.M.F. »)
- Neil (« R.M.F. vole »)
- l’infirmier de la morgue (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Hunter Schafer : Anna (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Yorgos Stefanakos : R.M.F.
- Merah Benoit (VF : Coralie Thuilier) : la fille d'Emily (« R.M.F. mange un sandwich »)
- Jerskin Fendrix (en) : le pianiste du Cheval (« La mort de R.M.F. »)
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