Vu le film Un Homme de Trop de Costa Gavras (1967) avec Bruno Cremer Claude Brasseur Michel Piccoli Charles Vanel Jean Claude Brialy Jacques Perrin Gérard Blain Michel Creton Julie Dassin François Périer Claude Brosset Pierre Clémenti Patrick Préjean Maurice Garrel
En 1943, au prix d'une
opération risquée, un groupe de résistants d'un maquis des Cévennes réussit
à libérer de leur prison douze condamnés à mort. Une fois en lieu sûr, il
s'avère que, parmi les évadés, il y a un homme de trop. Tandis que les
Allemands sont sur leurs traces, les chefs du maquis se demandent ce qu'il faut
faire de cet inconnu.
Avant de devenir le maître incontesté
du thriller politique avec des films comme Z et L’Aveu,
Costa-Gavras signait en 1967 Un Homme de Trop, une œuvre moins connue
mais déjà fascinante par sa manière de scruter les zones d'ombre de l'Histoire.
Adapté du roman de Pierre Chabrol, le film plonge dans l'univers des maquisards
pendant l'Occupation, explorant les dilemmes moraux et les conflits
idéologiques qui traversaient la Résistance. C’est une découverte étonnante
dans la filmographie de Gavras, où l’on retrouve déjà les germes de ses
obsessions futures : la trahison, l'honneur, la vengeance et la complexité
politique.
Le récit suit un groupe de résistants
ayant libéré une douzaine de prisonniers des griffes des nazis. Parmi eux, un
homme de trop, un inconnu dont on ignore l'identité et les intentions. Dès
lors, le doute s’installe : est-il un compagnon de lutte ou un traître infiltré
? Costa-Gavras utilise ce mystère pour installer un suspense oppressant qui ne
faiblit jamais, jusqu’à la révélation finale. Le titre prend alors tout son
sens, suggérant à la fois une menace et une culpabilité collective.
Le film se déroule presque
intégralement dans les maquis, au cœur des montagnes, un décor à la fois
majestueux et oppressant. Gavras utilise cet environnement sauvage pour
accentuer l’impression de piège qui se referme lentement autour des résistants.
On ressent leur isolement, leur vulnérabilité face à un ennemi invisible.
Chaque sentier, chaque buisson peut cacher un danger. Cette atmosphère
claustrophobique transforme les maquis en une prison à ciel ouvert, renforçant
l'idée que la liberté, pour laquelle ils se battent, est toujours hors de
portée.
Ce cadre sert également à explorer la
complexité morale de la Résistance. Loin de l'image héroïque et monolithique
souvent véhiculée, Un Homme de Trop montre un groupe hétérogène, où se
côtoient des hommes de convictions politiques différentes – communistes,
anarchistes, gaullistes – unis par une cause commune mais profondément divisés
sur les méthodes à employer. Gavras ne cherche pas à enjoliver la réalité : il
montre les doutes, les trahisons potentielles, les exécutions nécessaires pour
la sécurité du groupe. La question de la fin justifiant les moyens plane en
permanence, rendant les choix des personnages d'autant plus déchirants.
Le suspense naît de cette méfiance
omniprésente. On sent le groupe sur le fil du rasoir, à la merci d'une parole
maladroite ou d'un geste suspect. Chaque personnage pourrait être le traître.
Costa-Gavras filme leurs interactions avec une intensité remarquable, jouant
sur les silences et les regards fuyants. Il utilise des gros plans qui
capturent la peur et le doute, créant une tension palpable qui traverse tout le
film.
Ce réalisme psychologique est porté par
une distribution impressionnante. Bruno Cremer impérial en chef de maquisard,
incarne l'autorité charismatique mais usée par le poids de ses responsabilités.
Charles Vanel dégage une force tranquille teintée de mélancolie, tandis que
Michel Piccoli apporte une ambivalence troublante à son personnage. Mais c’est
Jacques Perrin qui marque les esprits en jeune idéaliste dont les illusions se
brisent face à la dure réalité de la guerre. Ce casting impeccable donne vie à
des personnages complexes, loin des stéréotypes de héros résistants.
Un Homme de Trop
annonce déjà les thématiques chères à Gavras : la lutte politique, le poids de
la trahison, l'ambiguïté morale des actes violents. Mais il est aussi
remarquable par son traitement nuancé de l’héroïsme, refusant la glorification
facile pour montrer la Résistance dans toute sa complexité. En cela, le film
rappelle l'approche de Jean-Pierre Melville dans L'Armée des Ombres,
bien qu'il s'en distingue par un style plus réaliste et un suspense presque
paranoïaque.
Costa-Gavras ne juge jamais ses
personnages, laissant au spectateur le soin de naviguer dans cette zone grise
où les concepts d'honneur et de trahison se mêlent inexorablement. Ce choix
rend le film d'autant plus puissant, car il nous confronte à notre propre
perception de la justice et du sacrifice.
Un Homme de Trop
est une œuvre rare, qui mérite d'être redécouverte tant pour sa maîtrise
narrative que pour son exploration des dilemmes moraux de la Résistance. C’est
aussi un jalon important dans la carrière de Costa-Gavras, un réalisateur qui
n’aura de cesse de questionner le pouvoir et ses compromissions. Un film
nécessaire, aussi complexe et fascinant que l'Histoire qu'il raconte.
NOTE : 14.80
FICHE TECHNIQUE
- Bruno Cremer : Cazal
- Jean-Claude Brialy : Jean
- Gérard Blain : Thomas
- Michel Piccoli : l'homme de trop
- Jacques Perrin : Kerk
- Claude Brasseur : Groubec
- Charles Vanel : Passevin
- Michel Creton : Solin
- Julie Dassin : Jeanne
- François Périer : Moujon
- Claude Brosset : Ouf
- Pierre Clémenti : Lucian, le milicien
- Paolo Fratini : Philippe
- Nino Segurini : Paco
- Patrick Préjean : Lecocq
- Albert Rémy : Émile
- Michèle Bardollet : Micheline
- Monique Chaumette : Madame Moujon
- Maurice Garrel : Forrez
- Marc Porel : Octave
- Mario David : le chauffeur du car
- Michel Modo : le juif torturé
- Guy Mairesse : Tricard
- Jacqueline Staup : la religieuse
- Dominique Viriot : Julien
- Serge Sauvion : Félix
- Edmond Ardisson : le caissier
- Gérard Darrieu : le camionneur
- Philippe Forquet : Topart
- Med Hondo : Florent
- Sady Rebbot : Hardy
- René Lefèvre : le colonel Guers
- Jean-Louis Le Goff : le directeur des PTT
- Françoise Pavy : Suzanne
- René Alone : le médecin
- André Dalibert : le brigadier de gendarmerie
- Michel Duplaix : le mouchard
- Billy Kearns : Hoffer
- Jean-François Gobbi : Salve
- Michel Gonzalès : Martin
- Roger Marion : Titus
- Moni Rey : la mère du milicien Lucian
- Roger Pera : Roy
- Gérard Sarafian : Balec