Vu le film La Diagonale du Fou de Richard Dembo (1984) avec Michel Piccoli Alexander Arbatt Jean Hughes Anglade Liv Ullman Leslie Caron Daniel Olbrychski Michel Aumont Wojcieh Pszoniak Hubert Saint Macary Pierre Michael Serge Avédikian Jacques Boudet
Pavius Fromm est un jeune génie des échecs, impétueux et provocateur. Lituanien, il a fui son pays et la mainmise soviétique, et réside en Occident. Pour la finale du championnat du monde d'échecs en Suisse, il doit affronter un compatriote bien plus âgé, Liebskind, qui a, lui, le soutien du régime.
Réussir un thriller à partir d’une simple partie d’échecs, il fallait oser. Le faire au niveau mondial, avec un enjeu politique, psychologique et humain digne des plus grands duels de cinéma, c'est l'exploit — oui, le mot n’est pas trop fort — que signe Richard Dembo dans La Diagonale du Fou. Cinéaste rare, presque fantôme, seulement trois films en vingt ans… mais un premier film qui fait l’effet d’un coup de maître et décroche l’Oscar du Meilleur Film Étranger. Certains diront, un peu perfides, que le fait d’avoir créé la Quinzaine des Réalisateurs lui a ouvert quelques portes. Honnêtement : non. Ce film gagne parce qu’il est brillant, tendu comme un arc et parfaitement habité par deux acteurs immenses. La preuve que parfois, au cinéma, la pure qualité suffit encore à mettre tout le monde d’accord.
Pendant près de deux heures, Dembo orchestre un ballet de tensions où chaque regard devient une menace, chaque mouvement de pièce un coup de poing psychologique. Sur l’échiquier comme dans la vie, tout se joue à un souffle près. Et ce souffle, c’est celui de deux monstres : Pavius From, le jeune lituanien joué par Alexandre Arbatt, fougueux, violent, sûr de lui, presque électrique ; et Akiva Liebskind, incarné par un Michel Piccoli impérial, immense, qui fait planer sur chaque scène le poids du génie et celui de l’usure du temps. Car ce Liebskind-là le sait : son règne vacille. Ce petit jeune l’agace, le bouscule, le dérange dans ses certitudes. Et pire encore : il lui fait peur.
Dembo filme ce choc comme un affrontement mythologique. Les échecs deviennent un ring, un champ de bataille, un huis clos mental où l’on se dit que la folie n’est jamais très loin. La folie douce, la folie destructrice, la folie des équipes prêtes à tout pour faire vaciller l’adversaire, la folie du public aussi — car oui, même les spectateurs s’embrasent, prennent parti, vibrent, s’invectivent. Les pions ne sont plus de simples figurines : ce sont les témoins muets d’une guerre qui n’a pas besoin d’armes pour être violente.
Et c’est là toute la grande réussite du film. Dembo ne raconte pas une partie d’échecs : il raconte ce que les échecs révèlent. L’orgueil, la peur, l’ironie cruelle du génie vieillissant, la rage de celui qui veut prendre la relève, les stratégies humaines qui dépassent les stratégies du jeu. Le scénario multiplie les fausses pistes, les tensions, les ruptures de rythme sans jamais perdre le spectateur — au contraire, on est happé, collé à chaque face-à-face comme si c’était un duel au sommet entre des samouraïs silencieux.
La mise en scène est précise, presque chirurgicale. Dembo sait capter l’essentiel : un visage qui se crispe, une main qui tremble, un silence qui devient une bombe à retardement. Chaque détail compte — comme aux échecs. Le montage, millimétré, fait monter la pression pièce après pièce, coup après coup, jusqu’à l’explosion finale, sans jamais trahir l’intelligence du propos. On admire aussi la manière dont le film s’ouvre vers la géopolitique, la crise intérieure de chacun, la manière dont les équipes manipulent ce duel comme s’il s’agissait d’une guerre froide miniature.
Qui va craquer ? Qui va gagner ? Et la réponse, dans un sourire, c’est que le spectateur est le véritable vainqueur. Car il assiste à un thriller tendu, élégant, profond, où les pions eux-mêmes semblent retenir leur souffle. Rarement un film aura donné à sentir à ce point la beauté d’un duel intellectuel, la brutalité froide des échecs, et la grandeur tragique de deux destins qui s’entrechoquent.
Bref : un film passionnant, subtil, parfaitement interprété, et qui mérite amplement sa place au panthéon. Un vrai coup de maître, et un triomphe pour un réalisateur trop rare. Et comme aux échecs, on pourrait dire : échec et mat dès le premier film.
NOTE : 15.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Richard Dembo
- Scénario : R. Dembo
- consultant échecs : Nicolas Giffard[] (il est notamment le créateur des parties vues à l'écran)
- Photo : Raoul Coutard
- Décors : Ivan Maussion
- Musique : Gabriel Yared
- Montage : Agnès Guillemot
- Michel Piccoli : Akiva Liebskind
- Alexandre Arbatt : Pavius Fromm
- Liv Ullmann : Marina Fromm
- Leslie Caron : Henia Liebskind
- Daniel Olbrychski : Tac-Tac, Ami de Liebskind
- Michel Aumont : Kerossian, Ami de Liebskind
- Wojciech Pszoniak : Felton
- Jean-Hugues Anglade : Miller
- Hubert Saint-Macary : Foldes
- Pierre Michael : Yachvili
- Serge Avédikian : Fadenko
- Pierre Vial : Anton Heller
- Bernhard Wicki : Puhl
- Jacques Boudet : Stuffli
- Benoît Régent : Barabal
- Sylvie Granotier : Dombert

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