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lundi 15 décembre 2025

17.10 - MON AVIS SUR LE FILM A L'EST D'EDEN DE ELIA KAZAN (1955)


 Vu le Film A L’Est d’Eden de Elia Kazan (1955) avec James Dean Raymond Massey Julie Harriss Burl Ives Richard Davalos Jo Van Fleet Albert Dekker Lois Smith Harold Gordon Nick Dennis 

Année 1917. Aidé par ses deux fils, Cal et Aaron, Adam Trask exploite ses terres à Salinas Valley. Les deux enfants croient que leur mère est morte, alors qu’elle a fui à la naissance des jumeaux. Cal, fils incompris, est convaincu que son père ne l’aime pas et qu’il n’est lui-même que l’incarnation du mal (qu’il voit en sa mère). Un jour, il apprend que sa génitrice vit dans la ville voisine, et qu’elle y tient un bar « louche », en fait une maison close. 

À l’Est d’Eden d’Elia Kazan n’est pas seulement un grand film : c’est une blessure ouverte qui ne s’est jamais refermée, un mythe fondateur du cinéma moderne et, surtout, l’acte de naissance d’une icône éternelle nommée James Dean. Kazan, cinéaste des âmes fracturées, y trouve un matériau idéal : la famille comme champ de bataille, l’amour comme récompense impossible, et la filiation comme malédiction biblique. Adapté librement de Steinbeck, le film se concentre sur l’essentiel : le conflit père/fils, la rivalité fraternelle, le besoin d’être aimé jusqu’à l’obsession. 

Cal et Aaron, faux jumeaux mais vrais opposés, ne se ressemblent pas — et c’est tant mieux. Le cinéma n’est pas un livret de famille, c’est un art de contrastes. Aaron, incarné par Richard Davalos, est le fils sage, lisse, presque transparent, celui qui rassure un père rigide et puritain. Face à lui, Cal, c’est James Dean, c’est-à-dire un volcan sous une chemise trop étroite, un regard capable de changer le climat d’une scène, un corps félin toujours au bord de la rupture. Même immobile, il bouillonne. Même silencieux, il crie. 

Kazan,coulait pour ce film Brando, Clift et même Newman, choisit ici un inconnu. Et il a raison. À défaut de géants déjà installés, il crée une légende. Dean n’interprète pas Cal, il est Cal. Il apporte son histoire personnelle, ses blessures, son manque maternel, sa rage douce. Ce n’est plus du jeu, c’est de l’exposition à vif. Un simple changement de regard, et vous avez des frissons. Un geste maladroit, et le cœur se serre. Il n’essaie jamais de séduire : il supplie d’être aimé. 

La mise en scène de Kazan est d’une précision admirable. Il filme les corps comme des terrains minés, les silences comme des aveux, les petits patelins comme des prisons à ciel ouvert où l’ennui ronge la jeunesse. L’Amérique de 1917 devient un décor mental : sèche, rigide, étouffante. Le scénario avance avec la force d’une tragédie antique, sans jamais souligner, sans jamais appuyer. Tout passe par les acteurs. 

Et quels acteurs. Raymond Massey, en père inflexible, est bouleversant. Droit comme une morale, froid comme un jugement, il finit par se fissurer. La scène où Cal est près de son lit de mort est un coup de poignard émotionnel : un fils qui a tout tenté pour mériter un amour qui ne vient pas. On verse une larme, oui, et on n’a pas honte. Julie Harris, en Abra, apporte une sensibilité nerveuse, une intelligence affective rare, oscillant entre les deux frères comme une conscience troublée. 

Puis il y a cette ouverture mythique, que vous décrivez si justement. 1955. La rue ensoleillée, bruissante de vie. James Dean assis sur le trottoir. Une ombre passe, des talons claquent. Il lève la tête, se déplie, la suit, les mains dans les poches. Tout est là. La jeunesse, le désir, l’errance, la promesse. Cette silhouette encore inconnue, déjà éternelle. À cet instant précis, le cinéma tombe amoureux. Et nous avec. 

À l’Est d’Eden est un film brillant sur la famille, sur l’impossibilité d’être à la hauteur, sur la solitude des jeunes dans des mondes trop étroits pour leurs rêves. C’est un film qui ne vieillit pas, parce qu’il parle de ce qui ne passe jamais : le besoin d’amour. James Dean y est immense — pas assez longtemps, hélas — mais suffisamment pour faire battre, depuis des décennies, le cœur des jeunes filles et des jeunes garçons. Début percutant, fin déchirante, et entre les deux, la naissance d’un mythe. On ne regarde pas À l’Est d’Eden : on s’y attache pour la vie.

NOTE : 17.10

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