Vu le Film La Guerre des Gosses de Jacques Daroy (1936) avec Serge Grave Marcel Mouloudji Jean Murat Claude May Saturnin Fabre Raymond Rognoni Charles Aznavour Jacques Tavoli André Mouloudji Vera Pharès Clairette Fournier Gabriel Farguette Lucien Callemand
Depuis toujours, deux petits villages du Midi voient leur population enfantine se livrer à une guerre sans fin, alors que l'institutrice et le maire s'aiment.
Ces derniers parviennent à faire signer la paix, mais les adultes réunis au cours d'un banquet de réconciliation n'ont pas la sagesse des enfants.
Avant que Petit Gibus ne fasse entrer La Guerre des Boutons dans le panthéon des films de récré en 1962, il y avait déjà eu une première bataille filmée : La Guerre des Gosses de Jacques Daroy, sorti en 1936, et qui adaptait déjà le roman culte de Louis Pergaud. On a souvent tendance à l’oublier, mais le film de Yves Robert n’est, au fond, qu’un brillant remake d’un film qui, lui, portait encore l’odeur du celluloïd d’avant-guerre et l’insouciance des enfants filmés comme on les voyait à l’époque : libres, turbulents… mais pas trop quand les adultes arrivaient.
Ce qui frappe d’abord dans La Guerre des Gosses, c’est cette fraîcheur spontanée des gamins, le même esprit frondeur et solaire que dans le film de Robert, avec la chaleur du Midi, les courses dans les chemins poussiéreux et, bien sûr, les fameux boutons qui disparaissent mystérieusement des habits. Sauf qu’ici, les adultes n’ont rien des figures tendres des sixties : ce sont des adultes d’avant-guerre, moralisateurs, un peu sévères, l’autorité dans toute sa raideur, toujours prêts à brandir une punition comme un drapeau. Et c’est ce contraste qui donne au film cette saveur très années 30, où l’enfance est joyeuse, mais surveillée du coin de l’œil.
Le scénario reprend fidèlement la guerre entre deux bandes rivales, comme un petit théâtre social en miniature où l’on règle des comptes à coups de ficelles et de pantalons dénudés. Tigibus (interprété par le très jeune Gabriel Farguette) est ici beaucoup moins au centre de l’intrigue que ne le deviendront ses héritiers. Il n’a pas encore le statut de légende de cour de récré : il traverse l’histoire en silhouette, comme un petit frère de cinéma que l’on aperçoit sans qu’il prenne tout l’espace.
Mais ce sont surtout les gosses eux-mêmes qui donnent au film son énergie. On reconnaît deux futurs héros des Disparus de Saint Agil : Serge Grave, déjà leader naturel avec cette autorité tranquille qui deviendra sa signature, et Mouloudji, complice, vif, toujours un demi-sourire prêt à exploser. Les voir tous les deux si jeunes, encore au bord de leur future carrière, donne au film un charme supplémentaire. Et si on ouvre bien les yeux : oui, on y aperçoit un certain Charles Aznavour, en miniature, avant qu’il ne devienne la voix de tout un siècle.
La mise en scène de Jacques Daroy, simple mais efficace, capte avec beaucoup de naturel les jeux, les cris et les petites trahisons de l’enfance. Pas d’effets inutiles : juste une caméra qui suit, qui observe, qui laisse vivre ces bataillons miniatures. On sent dans sa direction d’acteurs une réelle affection pour ces gamins qui jouent presque comme ils respirent, et cette spontanéité donne au film sa personnalité. Le rythme, très années 30, prend son temps mais ne s’endort jamais : chaque scène nourrit un petit morceau de cette bataille d’honneur où les adultes deviennent presque les antagonistes secondaires, bien malgré eux.
La Guerre des Gosses conserve encore aujourd’hui un charme authentique, celui d’un cinéma français qui savait filmer l’enfance sans la surjouer, avec cette innocence prête à éclater et ce sens de la camaraderie qui fait sourire. Le film de Yves Robert deviendra un classique, mais celui de Daroy pose déjà toutes les bases : les rivalités enfantines, l’esprit de troupe, les boutons sacrifiés au nom de la guerilla miniature, et ce mélange de tendresse et de discipline d’un autre temps. Un film qui rappelle que, dans l’histoire du cinéma français, les guerres les plus mémorables ne sont pas toujours celles des adultes.
Souvent oublié, mais jamais indigne, La Guerre des Gosses mérite qu’on y retourne, ne serait-ce que pour revoir ces futurs grands — Graves, Mouloudji, Aznavour — avant qu’ils ne deviennent des monuments, et pour replonger dans cette lumière intemporelle où les enfants mènent la guerre avec une gravité très sérieuse… sauf quand leurs boutons en font les frais.
NOTE : 13.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Jacques Daroy
- Scénario : Jacques Maury, d'après le roman de Louis Pergaud
- Musique : Wal-Berg
- Photographie : Charles Bauer
- Montage : Jean Decan
- Son : Paul Duvergé
- Production : Georges Legrand[]
- Sociétés de production[2] : Forrester-Parant Productions
- Jean Murat : Jean Delcourt
- Claude May : Aline Sorbier
- Saturnin Fabre : Simon
- Raymond Rognoni : le père de Lebrac
- Serge Grave : Lebrac
- Jacques Tavoli : Aztec
- Marcel Mouloudji : la Crique
- André Mouloudji : un gosse
- Véra Pharès : Marie Tintin
- Clairette Fournier : Tavie
- Charles Aznavour : un gosse
- Bouzauquet : Gaspard
- Gabriel Farguette : Tigibus
- Lucien Callamand : le père de Gibus
- Gabriel Farguette
- Nicolas Amato : un paysan
- Jean Buquet : un gosse

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