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mardi 16 décembre 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM LE CLAIR DE TERRE DE GUY GILLES (1970)


 Vu le Film Le Clair de Terre de Guy Gilles (1970) avec Patrick Jouanné Micheline Presle Annie Girardot Edwige Feuillère Roger Hanin Jacques Zanetti Marthe Villalonga Jacque François Elina Labourdette Lucienne Boyer Carole Lange 

Pierre, un jeune homme qui vit à Paris avec son père, part en Tunisie, son pays natal, à la recherche de sa petite enfance, de souvenirs lointains, dont celui de sa mère depuis longtemps décédée. Là-bas, il fait la connaissance d'une ancienne institutrice, Mme Larivière, qui a bien connu sa mère. 

Un film qui remue des souvenirs en moi. 

Le Clair de Terre n’est pas un film au sens narratif du terme. C’est un état, une dérive, un poème filmé où Guy Gilles marche derrière Patrick Jouanné comme on suit quelqu’un qu’on aime sans oser l’appeler. Pierre Brumeu n’est pas un héros, il est un passage. Et Paris devient le corps même de ce passage. 

Pierre (Patrick Jouanné) traverse la ville comme on traverse une nuit trop longue. Le Paris qu’il habite n’est ni monumental ni glorieux : c’est un Paris de rues secondaires, de bars enfumés, de regards fatigués, de désirs sans identité fixe. Du Marais encore interlope à Pigalle, des trottoirs nocturnes aux boîtes du Paris gay, garçons et filles, prostitués, clients, amis, solitudes se croisent sans jamais se fixer. Guy Gilles filme ce monde sans exotisme, sans sociologie, sans morale. Il filme avec amour, ce qui est infiniment plus rare. 

Pierre passe, s’attarde parfois, disparaît souvent. Il cherche moins le plaisir que l’oubli momentané de lui-même. Les relations sexuelles, parfois tarifées, ne sont jamais montrées frontalement. Gilles suggère par une ellipse, un raccord manquant, une porte qui se ferme trop tôt. Ce cinéma-là respecte les corps : il sait que montrer serait déjà trahir. 

Du Jardin du Palais-Royal aux nuits artificielles, Pierre est partout et nulle part. Il appartient à ces lieux mais ne s’y ancre jamais. Il est libre — et cette liberté est douloureuse. Guy Gilles ne l’explique pas, il la regarde. 

Mais Le Clair de Terre n’est pas seulement un film de dérive urbaine. C’est un film d’origine manquante. La mère absente, l’enfance tunisienne, la Méditerranée évoquée plus que montrée forment un noyau vide. Le bruit de la mer traverse le film comme une mémoire sonore, une rumeur lointaine. La Méditerranée n’est pas un refuge : c’est un souvenir inaccessible. Le silence qui l’accompagne est d’une beauté vertigineuse. 

Face à Pierre, les personnages apparaissent comme des figures de mémoire, jamais comme des rôles fonctionnels. Roger Hanin, en père (M. Brumeu), est massif, opaque, silencieux. Il n’explique rien, il pèse. Il incarne une origine lourde, jamais réconciliée. C’est peut-être contre ce poids que Pierre marche sans cesse. 

Autour de lui, les femmes sont des visages du temps. 
Micheline Presle, en antiquaire, est une merveille de justesse : elle incarne le passé accumulé, l’objet survivant, la mémoire qui se vend et se transmet. Elle regarde Pierre comme on regarde quelqu’un qui ne restera pas. 
Edwige Feuillère (Simone Larivière) apporte une élégance fatiguée, une autorité douce, presque crépusculaire. Elle sait, mais ne retient pas. 
Annie Girardot (Maria), bouleversante comme toujours, est une présence humaine, fraternelle, blessée — jamais une “star”, toujours une femme réelle. 
Marthe Villalonga (Gaby Garcia), Jacques Portet (Maurice Garcia), Élina Labourdette (la femme guide), Jeannette Batti, Denise Noël : tous sont des fragments de monde, des éclats de vie sociale, affective, sexuelle, filmés sans hiérarchie. 

Jacques François, en Elstir l’éditeur, est capital. Il représente la parole, la culture, la mise en forme intellectuelle du monde. Face à lui, Pierre reste dans le corps, dans le silence. Elstir parle, structure, nomme. Pierre écoute, puis s’en va. Il ne peut pas rester là où l’on explique. 

Et puis il y a Lucienne Boyer. 
Sa présence est le cœur secret du film. Quand elle chante Paris dans les rues de Paris, ce n’est ni un numéro, ni une nostalgie facile. C’est une archive vivante, une ville devenue chanson, déjà passée, déjà perdue. À cet instant, Le Clair de Terre cesse d’être seulement le film de Pierre : il devient celui de tous les exilés intérieurs. 

Mais tout cela ne prend son sens que par le regard de Guy Gilles sur Patrick Jouanné. 
Gilles filme Pierre comme son ombre amoureuse. Toujours légèrement en retrait. Toujours conscient qu’il ne pourra jamais le rejoindre complètement. Il ne filme pas un acteur, il filme quelqu’un qu’il aime — et qu’il sait déjà en train de s’éloigner. 

Pierre est sublimé, oui, mais jamais idéalisé. Il est beau, mais absent, fragile, parfois vide. Gilles accepte cette distance. Le Clair de Terre n’est pas un film sur le couple, mais sur l’impossibilité du couple quand l’un aime plus que l’autre — et transforme cet amour en images. 

Le montage est fait de respirations, de creux, de silences. Chaque coupe semble dire : « je ne sais pas comment te parler ». C’est un cinéma de pudeur absolue, un cinéma qui préfère l’ellipse à l’aveu, le retrait à l’emphase. 

Film presque sans argent, Le Clair de Terre est d’une richesse émotionnelle inouïe. Il transforme Paris, les corps, les voix célèbres et anonymes en matière fragile, prête à disparaître. S’il n’a pas marché à sa sortie, c’est parce qu’il ne donne rien de confortable. Il n’explique pas, il n’enrobe pas, il n’illustre pas. Il aime, simplement, et accepte que cela ne suffise pas. 

Aujourd’hui, il apparaît pour ce qu’il est réellement : 
un journal amoureux filmé à hauteur d’homme, 
un poème sur l’exil, le désir et la perte, 
et l’un des plus beaux gestes d’amour du cinéma français. 

Quand on aime, on ne compte pas. 

ce « à suivre… » a une dimension presque existentielle sur le générique , il y aura pas de suite hélas , C’est aussi un aveu d’impuissance du cinéma. 
Le film a tenté de retenir Pierre, de l’accompagner, de le comprendre. 
Mais il sait qu’il échoue — alors il laisse la porte ouverte. 

Guy Gilles refuse la clôture. 
Refuse de dire « fin ». 
Refuse de posséder une dernière image de Pierre ou de Patrick ... 

 NOTE : 16.20

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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