Vu le Film Le Tombeau des Lucioles de Isao Takahata des Studios Ghibli (1988)
L'histoire débute au cours du printemps 1945, au Japon, durant la Seconde Guerre mondiale.
Seita est un adolescent de quatorze ans et sa jeune sœur, Setsuko, en a quatre. Leur père est un officier supérieur de la marine impériale japonaise, enrôlé dans les forces navales depuis plusieurs années. Ils vivent donc avec leur mère dans la ville de Kōbe. Lorsque les forces armées américaines mènent une attaque à la bombe incendiaire sur cette ville portuaire, la famille est obligée de fuir. Seita et Setsuko, séparés de leur mère, fuient vers la mer et assistent de loin aux bombardements de la ville. Bloquée par le gigantesque incendie provoqué dans la cité, la mère ne peut s'enfuir à temps. Très grièvement brûlée et affaiblie par sa maladie cardiaque, elle succombe à ses blessures le lendemain.
Alerte maximale : boîtes de mouchoirs obligatoires. Si vous sortez de Le Tombeau des Lucioles les yeux secs comme le désert du Gobi, c’est simple : soit vous êtes en céramique, soit les lucioles ont décidé de tomber pour quelqu’un d’autre. Bien avant la vague moderne des mangas en long métrage, l’animation japonaise avait déjà ses maîtres, des vrais, des artisans capables de délivrer à coup sûr de petits bijoux d’humanité au cœur du chaos. Et Takahata, à l’instar de Miyazaki, c’est l’anti-Disney : pas de fées scintillantes ni de happy-end au sucre glace. Chez lui, on ne rêve pas : on réfléchit, on ressent, et parfois on se prend un coup de massue émotionnelle en plein cœur.
L’histoire, tout le monde la connaît ou devrait la connaître : Seita et sa petite sœur Setsuko, deux enfants ordinairement extraordinaires, tentent de survivre aux bombardements américains de 1945. Or survivre, malgré leur courage et leur amour fraternel, devient encore plus compliqué quand le refuge proposé se révèle abriter une espèce de Tante version Thénardier, indifférente à tout ce qui ne touche pas son propre confort. Les adultes qui devraient protéger deviennent complices du drame, rappelant tristement que les vrais monstres ne sont pas toujours dans les avions.
Takahata ne cherche jamais à édulcorer la réalité. Son récit avance avec une sincérité quasi documentaire : la faim, les pénuries, la peur, la solitude… tout pèse, tout se ressent. Et pourtant, chaque image possède une grâce fragile, celle des lucioles qui éclairent les ténèbres un bref instant avant de s’éteindre. L’animation, magistrale, fluide et sensible, donne l’impression de voir de vrais êtres humains se mouvoir, penser, souffrir. La photographie, admirable de délicatesse, mêle douceur picturale et visions d’apocalypse. Tout paraît vrai, tangible – au point que l’on oublie parfois que ce drame est dessiné.
Les deux « acteurs » – car oui, Seita et Setsuko jouent véritablement – nous attrapent dès la première scène et ne nous lâchent plus. Seita, avec son courage maladroit mais admirable, porte le poids du monde trop tôt ; Setsuko, bouleversante de douceur et d’innocence, incarne tout ce que la guerre détruit sans vergogne. Leur relation, faite de complicité, de rires fugaces et de silences lourds, donne au film une puissance émotionnelle que de nombreux drames en prises de vues réelles n’atteignent jamais. La mise en scène accompagne ce duo sans jamais chercher l’effet facile : Takahata filme la guerre du point de vue de l’enfance, et c’est précisément ce qui rend chaque scène encore plus déchirante.
Le scénario, adapté du roman semi-autobiographique d’Akiyuki Nosaka, avance avec une simplicité terrible. Rien n’est inutile, rien n’est superflu : chaque geste de Seita, chaque larme de Setsuko rend le dénouement d’autant plus inévitable et brutal. La musique, discrète mais poignante, se fond parfaitement dans le thème, apportant une douceur qui contraste avec l’horreur environnante.
Je tiens à le dire sans détour : jamais un film ne m’aura autant bouleversé. Rien que de repenser à certaines scènes – la mer, les rires, les lucioles, la boîte de bonbons – me donne encore les larmes aux yeux. Le Tombeau des Lucioles est une œuvre tragique, sincère, profonde, qui marque à vie quiconque ose s’y confronter. Une expérience émotionnelle qui pèse sur les épaules des personnages autant que sur les nôtres.
Grandiose de bout en bout, animé avec une maîtrise exceptionnelle, construit avec une intelligence rare, le film ne cherche ni à juger ni à moraliser. Il montre. Il expose. Il laisse la réalité frapper. Et il nous rappelle, peut-être mieux que n’importe quel autre film de guerre, que les enfants ne devraient jamais être les victimes des conflits que les adultes provoquent.
Un chef-d’œuvre, un vrai, de ceux qui restent dans la mémoire longtemps après que la dernière luciole ait disparu.
NOTE : 17.20
FICHE TECHNIQUE


