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vendredi 5 décembre 2025

17.20 - LE TOMBEAU DES LUCIOLES DE ISAO TAKAHATA (1988)

 


Vu le Film Le Tombeau des Lucioles de Isao Takahata des Studios Ghibli (1988)

L'histoire débute au cours du printemps 1945, au Japon, durant la Seconde Guerre mondiale. 

Seita est un adolescent de quatorze ans et sa jeune sœur, Setsuko, en a quatre. Leur père est un officier supérieur de la marine impériale japonaise, enrôlé dans les forces navales depuis plusieurs années. Ils vivent donc avec leur mère dans la ville de Kōbe. Lorsque les forces armées américaines mènent une attaque à la bombe incendiaire sur cette ville portuaire, la famille est obligée de fuir. Seita et Setsuko, séparés de leur mère, fuient vers la mer et assistent de loin aux bombardements de la ville. Bloquée par le gigantesque incendie provoqué dans la cité, la mère ne peut s'enfuir à temps. Très grièvement brûlée et affaiblie par sa maladie cardiaque, elle succombe à ses blessures le lendemain. 

Alerte maximale : boîtes de mouchoirs obligatoires. Si vous sortez de Le Tombeau des Lucioles les yeux secs comme le désert du Gobi, c’est simple : soit vous êtes en céramique, soit les lucioles ont décidé de tomber pour quelqu’un d’autre. Bien avant la vague moderne des mangas en long métrage, l’animation japonaise avait déjà ses maîtres, des vrais, des artisans capables de délivrer à coup sûr de petits bijoux d’humanité au cœur du chaos. Et Takahata, à l’instar de Miyazaki, c’est l’anti-Disney : pas de fées scintillantes ni de happy-end au sucre glace. Chez lui, on ne rêve pas : on réfléchit, on ressent, et parfois on se prend un coup de massue émotionnelle en plein cœur. 

L’histoire, tout le monde la connaît ou devrait la connaître : Seita et sa petite sœur Setsuko, deux enfants ordinairement extraordinaires, tentent de survivre aux bombardements américains de 1945. Or survivre, malgré leur courage et leur amour fraternel, devient encore plus compliqué quand le refuge proposé se révèle abriter une espèce de Tante version Thénardier, indifférente à tout ce qui ne touche pas son propre confort. Les adultes qui devraient protéger deviennent complices du drame, rappelant tristement que les vrais monstres ne sont pas toujours dans les avions. 

Takahata ne cherche jamais à édulcorer la réalité. Son récit avance avec une sincérité quasi documentaire : la faim, les pénuries, la peur, la solitude… tout pèse, tout se ressent. Et pourtant, chaque image possède une grâce fragile, celle des lucioles qui éclairent les ténèbres un bref instant avant de s’éteindre. L’animation, magistrale, fluide et sensible, donne l’impression de voir de vrais êtres humains se mouvoir, penser, souffrir. La photographie, admirable de délicatesse, mêle douceur picturale et visions d’apocalypse. Tout paraît vrai, tangible – au point que l’on oublie parfois que ce drame est dessiné. 

Les deux « acteurs » – car oui, Seita et Setsuko jouent véritablement – nous attrapent dès la première scène et ne nous lâchent plus. Seita, avec son courage maladroit mais admirable, porte le poids du monde trop tôt ; Setsuko, bouleversante de douceur et d’innocence, incarne tout ce que la guerre détruit sans vergogne. Leur relation, faite de complicité, de rires fugaces et de silences lourds, donne au film une puissance émotionnelle que de nombreux drames en prises de vues réelles n’atteignent jamais. La mise en scène accompagne ce duo sans jamais chercher l’effet facile : Takahata filme la guerre du point de vue de l’enfance, et c’est précisément ce qui rend chaque scène encore plus déchirante. 

Le scénario, adapté du roman semi-autobiographique d’Akiyuki Nosaka, avance avec une simplicité terrible. Rien n’est inutile, rien n’est superflu : chaque geste de Seita, chaque larme de Setsuko rend le dénouement d’autant plus inévitable et brutal. La musique, discrète mais poignante, se fond parfaitement dans le thème, apportant une douceur qui contraste avec l’horreur environnante. 

Je tiens à le dire sans détour : jamais un film ne m’aura autant bouleversé. Rien que de repenser à certaines scènes – la mer, les rires, les lucioles, la boîte de bonbons – me donne encore les larmes aux yeux. Le Tombeau des Lucioles est une œuvre tragique, sincère, profonde, qui marque à vie quiconque ose s’y confronter. Une expérience émotionnelle qui pèse sur les épaules des personnages autant que sur les nôtres. 

Grandiose de bout en bout, animé avec une maîtrise exceptionnelle, construit avec une intelligence rare, le film ne cherche ni à juger ni à moraliser. Il montre. Il expose. Il laisse la réalité frapper. Et il nous rappelle, peut-être mieux que n’importe quel autre film de guerre, que les enfants ne devraient jamais être les victimes des conflits que les adultes provoquent. 

Un chef-d’œuvre, un vrai, de ceux qui restent dans la mémoire longtemps après que la dernière luciole ait disparu. 

NOTE : 17.20

FICHE TECHNIQUE


7.40 - MON AVIS SUR LE FILM L'HOMME VOILE DE MAROUN BAGDADI (1987)

 


Vu le Film L’Homme Voilé de Maroun Bagdadi (1987) avec Bernard Giraudeau Michel Piccoli Laure Marsac Michel Albertini Sandrine Dumas Fouad Naim Sonia Ichti 

Un médecin humanitaire, Pierre, s'est rendu à Beyrouth, au Liban, lors de la guerre civile libanaise. Il y est resté pendant trois ans avant de revenir à Paris pour retrouver sa fille, Claire. Celle-ci idolâtre son père, qu'elle voit comme un héros, mais ignore et découvre qu'il a pris activement part à la guerre en tuant. Claire, qui s'est rapprochée de la diaspora libanaise à Paris, fait la rencontre forcée de Kamal. Or Kassar a mis un contrat sur sa tête et Pierre est celui qui doit exécuter son contrat. Car Kamal est le chef qui avait organisé le massacre d'un village dans les montagnes au Liban, où des orphelins soignés par Pierre avaient trouvé refuge et où la famille de Kassar se trouvait avant sa destruction. 

L’Homme voilé, c’est un peu ce moment où le cinéma franco-libanais tente de se faufiler entre thriller politique, portrait intime et chronique de la diaspora, mais trébuche régulièrement sur ses propres ambitions. Maroun Bagdadi, ancien documentariste passé à la fiction avec la ferme intention de raconter un Liban meurtri, s’attaque ici à une histoire de liquidation de comptes post-guerre, mais sous l’angle d’un Français qui découvre un monde qui n’est pas le sien. Et dans les années 80, qui appelait-on pour courir partout, vivre des tourments existentiels et se faire manipuler par un ponte libanais ? Évidemment : Bernard Giraudeau, notre marathonien du cinéma hexagonal. 

Il incarne Pierre, jeune médecin français envoyé au Liban pour tenter de retrouver la trace d’un ancien ami disparu dans les décombres de la guerre civile. Arrivé là-bas, il plonge dans un univers où les règles sont écrites en pointillé, les alliances sont mouvantes, et les sourires sont parfois plus tranchants que des éclats d’obus. Côté casting libanais, Bagdadi convoque un Michel Piccoli métamorphosé en notable libanais – ce qui peut aujourd’hui faire sourire, mais rappelons qu’à l’époque, les acteurs locaux étaient souvent relégués à tenir les murs ou à distribuer des regards entendus en arrière-plan. Piccoli fait ce qu’il sait faire : imposer une présence, même si on sent que le rôle lui va comme un costume cintré un peu trop raide. 

Le film avance par fragments, souvent brillants, parfois totalement inutiles. Bagdadi sait créer une atmosphère : ruelles écrasées de chaleur, regards qui se détournent trop vite, tension qui flotte comme une poussière de guerre jamais retombée. Il faut lui reconnaître un vrai sens du cadre, une manière lente mais assurée de poser une ambiance, presque sensorielle. Mais cette atmosphère se heurte à un scénario qui hésite entre suspense politique, quête identitaire et romance vaguement torride. Et dans cette hésitation permanente, le film s’essouffle. 

Certaines scènes nuisent franchement au rythme, en particulier ces scènes de nudité intégrale de la fille héros, gratuites au point de sentir la sueur de la décision de producteur des années 80 : “allez, un peu de peau, ça fait toujours vendre”. Qu’une jeune actrice  probablement mineure  se retrouve ainsi dans les bras de Kamal relève parfois plus du fantasme scénaristique que d’une nécessité narrative. Résultat : ça casse le ton, ça casse le rythme, bref… ça casse un peu tout. 

Le thriller, quant à lui, patine. Il y a une idée, un potentiel, un vrai désir de montrer les cicatrices du Liban à travers les yeux d’un étranger – mais de nombreuses scènes semblent déposées là sans justification, comme si Bagdadi n’avait pas voulu choisir entre documentaire et fiction. L’histoire avance en dents de scie, et cette construction hachée fait perdre de l’impact à ce qui aurait pu être un récit puissant sur l’exil, la culpabilité et le besoin obstiné de vérité. 

Quant au titreL’Homme voilé, il reste un mystère. On peut en faire une lecture symbolique, métaphorique, poétique si l’on veut… mais à l’écran, difficile d’en tirer quelque chose de clair. On ressort du film en se disant que Bagdadi avait tout en main pour signer un grand film, mais qu’il s’est perdu entre plusieurs directions, sans oser en choisir une seule. 

Reste une œuvre bancale, parfois très belle, parfois frustrante, portée par un Giraudeau solide malgré les errances du récit, un Piccoli qui fait du Piccoli, et une mise en scène atmosphérique qui aurait mérité un scénario plus resserré. Un film qui attire par son sujet et son audace, mais qui laisse une impression de potentiel inachevé – un peu comme un voile qu’on soulève, mais qui laisse tout de même trop de zones d’ombre. 

NOTE : 7.40

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

12.10 - MON AVIS SUR LE FILM TRON ARES DE JOAQUIM RONNING (2025)

  


Vu le Film Tron Arès de Joaquim Ronning (2025) avec Jared Leto Greta Lee Evabn Peters Jodie Turner Smith Hasan Minahj Jeff Bridges Arturo Castro Gillian Anderson Cameron Monaghan 

En 2025, Eve et Tess Kim sont les nouveaux PDG d’ENCOM après le départ de Sam Flynn pour des "raisons personnelles". Les sœurs cherchent à développer des aides humanitaires et entretiennent une rivalité avec Dillinger Systems, fondé par Ed Dillinger et qui est actuellement gérée par son petit-fils Julian Dillinger, qui cherche à développer des armes militairesCependant, après la mort de Tess des suites d'un cancer, Dillinger Systems prend de l’avance tandis qu’Eve songe démissionner de ENCOM. 

Honnêtementj’y allais à reculons. Le précédent épisode nous avait tellement laissé un arrière-goût amer que je regrettais presque le temps béni  Jeff Bridges cabotinait dans la Grid en 1982, pionnier d’un imaginaire numérique qui faisait rêver toute une générationTron: Legacy avait évidemment sa sublime bande-son signée Daft Punk, mais côté narration, c’était un peu comme tenter de décrypter une mise à jour Windows en plein milieu de la nuit : on comprenait les grandes lignesmais pas forcément les tenants et aboutissants de la saga. Bref, je n’étais pas prêt à replonger. 

Et puis voilà Tron: Aressorti un peu de nulle part — Disney semblant tenir à maintenir en vie cette franchise coûte que coûtecomme un serveur qu’on refuse d’éteindre même s’il clignote rouge depuis dix ans. Mais à ma grande surprise, je dois l’avouer : j’ai passé un excellent moment. Oui, moi. Oui, devant un troisième Tron. 

Le premier choc vient du visuel, et pour une fois, il est dans le bon sens. Pas d'overdose de couleurs fades ni de ces effets spéciaux low cost qui semblent générés dans un sous-sol humide de studio. Joachim Rønning réussit à créer un univers numérique stylisé mais lisibleélégant chaque cadre respire enfin. Un monde futuriste qui ne donne pas l’impression d’être un écran de veille mal compressé. 

Ensuite, miracle absolu : Jared Leto n’est pas énervantC’est même un plus indéniable. Il incarne Ares, programme conçu pour interagir avec le monde réel, avec une retenue qu’on ne lui connaissait plus. Ce n’est pas une performance révolutionnairemais elle est parfaitement en phase avec le film, et pour une production Tronc’est déjà une victoire. 

Le scénariojustement, assume pleinement son pitch : les programmes peuvent désormais venir dans notre mondeForcémentc’est un peu tiré par les cheveuxmais la franchise n’a jamais vraiment visé le réalisme scientifique. Ce qui comptec’est que cette idée permet enfin de sortir la saga de sa boucle narrative numérique et d'offrir une vraie tension dramatique, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux personnages humains qui dynamisent l’ensembleL’histoire ne révolutionne pas la SF, mais elle se tient, et elle donne un minimum de profondeur à une mythologie qui, il faut le dire, en avait bien besoin. 

La mise en scène de Rønning est efficaceparfois même inspirée, surtout dans son utilisation de la lumière et du rythme. On sent qu’il a voulu éviter le clinquant et la surcharge, privilégiant une lecture claire de l’action et un vrai sens de la composition visuelleC’est propre, solide, et parfois même élégant. 

Côté casting, mention spéciale aux rôles secondaires, qui apportent de l’humanité et de l’humour sans tomber dans la caricature. Le film parvient aussi, par petites touches, à reconnecter avec l’héritage de Kevin Flynn sans en faire une révérence lourde ou forcéeC’est un hommage discretmais bienvenu. 

Et puisévidemment, la musique de Nine Inch Nails vient sublimer tout ça. Pas de clone de Daft Punk, pas de tentative d’imitation hasardeusemais une atmosphère plus sombre, plus industrielle, qui colle parfaitement à l’ambition du film. C’est peut-être l’un des éléments qui donnent à Tron: Ares une véritable identité propre. 

Alors oui, je suis le premier surpris : ce troisième épisodeque personne n’attendait vraiments’avère être une très belle réussite dans son registre. Ce n’est pas un chef-d’œuvre de science-fiction, ce n’est pas un film qui va révolutionner l’industriemais c’est un divertissement sincère, bien construittechniquement maîtrisé, et surtout : agréable. Ce qui, pour Tronrelève presque de la résurrection. 

Et rien que pour çaTron: Ares mérite largement son passage sur grand écran. 

 NOTE : 12.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION