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lundi 26 octobre 2015

CRITIQUE DE L'HOMME IRRATIONEL de WOODY ALLEN par Critique Chonchon

"L'homme irrationnel".
Professeur de philosophie, Abe Lucas (Joaquin Phoenix) est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre. Il a le sentiment que quoi qu’il ait entrepris - militantisme politique ou enseignement - n’a servi à rien.
Peu de temps après son arrivée dans l’université d’une petite ville, Abe entame deux liaisons. D’abord, avec Rita Richards (Parker Posey, excellente), collègue en manque de compagnie qui compte sur lui pour lui faire oublier son mariage désastreux.
Ensuite, avec Jill Pollard (Emma Stone), sa meilleure étudiante, qui devient aussi sa meilleure amie. Si Jill est amoureuse de son petit copain Roy (Jamie Blackley), elle trouve irrésistibles le tempérament torturé et fantasque d’Abe, comme son passé exotique.
Et tandis que les troubles psychologiques de ce dernier s’intensifient, Jill est de plus en plus fascinée par lui. Mais quand elle commence à lui témoigner ses sentiments, il la rejette. C’est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu’Abe et Jill surprennent la conversation d’un étranger et s’y intéressent tout particulièrement. Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d’événements qui les marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.
Le coeur du film se trouve dans la relation complexe et ambiguë que Abe commence à entretenir avec une de ses étudiantes, Jill, interprétée par Emma Stone et qui, aveuglé par son romantisme, va tenter de sauver son professeur du pessimisme infini dans lequel il s'est noyé. Tout le talent de Woody Allen consiste ici à montrer au spectateur le côté factice de cette complexité, en ramenant Abe et Jill à leur désarmant simplisme, jusqu'à faire un éloge du meurtre totalement à contre-courant.
Chose rare qu'il faut mentionner, Woody Allen revendique s'inspirer du cinéaste Ingmar Bergmann, comme pour "Crimes & Délits" et "Match Point", la philosophie pouvant être un nouveau moteur de son cinéma après la psychanalyse. Pour l'image il fait de nouveau appel à l'immense Darius Khondji, comme pour "Minuit à Paris" et "Magic in the Moonlight". Enfin, pour la musique, un brillant retour au "son jazzy" avec "Ramsay Lewis Trio" qu'il alterne brillamment avec Jean-Sébastien Bach. Enfin, Woody Allen se replie sur un film plus "thriller" que "comédie romantique".
Le réalisateur, et c'est loin d'être déplaisant, s'amuse aussi bien de ses deux principaux rôles que des deux acteurs qui les incarnes : Joaquin Phoenix joue de nouveau nouveau un dépressif résigné, à l'instar des personnages qu'il a pu incarner précédemment dans "Two Lovers", "The Master" ou "Her". Il semble s'amuser de sa bedaine qu'il filme à plaisir de face, de profil, allongée, comme si la faille physique annonçait ses failles psychologiques. Quant à Emma Stone - une actrice qui ne cesse de "monter" depuis 20 ans grâce à "La couleur des sentiments" de Tate Taylor, "The amazing Spider-Man" de Marc Webb, de "Magic in the Moonlight" de Woody Allen soi-même, et de "Birdman" de Alejandro Gonzalez Innaritu - il lui assigne le rôle d'une étudiante facile à séduire, à coups de viles flatteries et d'un passé "mystérieux et douloureux". Ne mégotons pas : là, Woody Allen, avec son détachement, sait nous faire rire. Mettre dans la bouche de Abe et de Jill des références philosophiques difficiles, alors qu'ils ne sont animés que par un jeu de séduction digne de lycéens en terminale, c'est assez salé.
Pour contre-balancer cet humour moqueur assez jouissif, Woody Allen se replie sur les deux autres rôles importants très bien investis par Parker Posey (immense active chez Hal Hartley, Richard Linklater, Julian Schnabel, John Waters, Noah Baumach, Gregg Araki) à qui on n'a pas à expliquer le second degré, jouant délicieusement un romantisme qui n'est souvent qu'une libido de belle femme entre deux âges, quand le très prometteur Jamie Blackley (24 ans seulement), sincèrement amoureux de Jill, comprenant dès sa genèse l'histoire qui se trame, et dans lequel avec une subtile discrétion se dissimule probablement Woody Allen. Ce rôle de Roy est délicat, car pour effacé qu'il est, il reste le plus réaliste. J'ose espérer qu'après ses prestations réussies dans "You want to kill him ?" de Andrew Douglas, "And while we were hère" de Kat Cairo, et "We are the Freaks" de Justin Edgar, même si son physique n'est pas "à la mode" à Hollywood (comprenez pas assez testostéroné), il fera une belle carrière. Il est malicieux.
Même s'il en reprend la petite musique, "L'homme irrationnel" n'est pas à la hauteur de "Le rêve de Cassandre", c'est évident. Pour autant, l'espèce de jeu de miroirs (Abe/Roy & Jill/Rita) que propose Woody Allen, avec un humour grinçant, est assez jubilatoire, surtout quand le film, à mi-parcours, tourne de l'étude de moeurs à la fable noirâtre.
Sans doute n'est-ce pas ici un "grand" Woody Allen, mais cette fantaisie, cette malice, ce recul sur ses personnages et ses acteurs... c'est tellement amusant, qu'on ne peut que céder au charme de ce délicieux petit bonhomme de près de 80 ans, toujours aussi incisif, qui va jusqu'à convoquer le génial Joseph L. Mankiewicz dans une double voix-off pour embobiner son monde.

Critique de L'Homme Irrationel de Woody Allen par Critique Chonchon

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