Pages

jeudi 29 octobre 2015

Critique de ELSER, Un homme ordinaire de Oliver Hirschbiegel par Critique Chonchon

"Elser, un héros ordinaire".
Allemagne, 8 Novembre 1939. Adolf Hitler prononce une allocution devant les dirigeants du parti nazi dans la brasserie Bürgerbräu à Munich. Une bombe explose, mais Hitler ainsi que Joseph Goebbels, Heinrich Himmler, Martin Bormann et d’autres ont quitté les lieux treize minutes plus tôt. L’attentat est un échec.
Rattrapé à la frontière suisse alors qu’il tentait de s’enfuir, laissant derrière lui Elsa (Katharina Schüttler), son grand amour, Georg Elser (Christian Friedel) est arrêté puis transféré à Munich pour être interrogé. Pour les Nazis, il s’agit d’un complot et on le soupçonne d’être un pion entre les mains d’une puissance étrangère.
Il est alors torturé par Arthur Nebe (Burghart Kraussner), supervisé par Heinrich Müller (Johann von Bülow) de dernier devant absolument obtenir les aveux d'un complot, et donc les noms de ses complices, de la bouche de Georg Elser, pour en rendre compte à Adolf Hitler.
Rien ne prédestinait Georg Elser, modeste menuisier, à commettre cet acte insensé ; mais son indignation face à la brutalité croissante du régime aura réveillé en lui un héros ordinaire…
Avant d’adapter la vie de Georg Elser sur grand écran, le réalisateur Oliver Hirschbiegel avait déjà tourné un film qui se déroulait pendant la période nazie et non des moindres. En effet, il s’agissait de "La Chute", qui s’intéressait aux dernières heures d’Adolf Hitler dans son bunker berlinois. Adapté du bestseller de Joachim Fest, ce long-métrage fut l’un des plus gros succès de l’histoire du box-office allemand, remporta de nombreux prix et fut nommé à l’Oscar du meilleur film étranger en 2005. C'est lors de la préparation "La Chute" qu'Oliver Hirschbiegel est tombé sur l’histoire de Georg Elser, qu’il avait trouvée incroyable. Après avoir lu le scénario pour le projet, le cinéaste s’est décidé à le tourner car il pensait que la vie du résistant bavarois pouvait donner un thriller palpitant. "Elser, un héros ordinaire" s’intéresse aux années 1930, période durant laquelle le mouvement nazi est en train d’émerger. Il est en quelque sorte une introduction à "La Chute" qui, lui, traite des dernières semaines du Troisième Reich.
Johann Georg Elser est une figure majeure mais longtemps méconnue de la résistance contre le nazisme. Il tenta d’éliminer les dirigeants nazis en 1939 pour « empêcher la guerre » déclenchée deux mois plus tôt par Hitler. Il était membre du Roter Frontkämpferbund (Union des combattants du Front rouge), l’organisation combattante du Parti communiste d’Allemagne dans les années 1928 et 29. Il a fait exploser une bombe artisanale destinée aux dirigeants du parti nazi le 8 novembre 1939 à Munich dans la grande salle de la brasserie Bürgerbräu. Contrairement à d’autres figures souvent plus connues de la résistance allemande au nazisme, dont certaines ont d’abord collaboré au régime avant de se décider à agir, cet ébéniste de profession rejette dès le départ l’hégémonie nazie, refusant par exemple de faire le salut hitlérien.
L’histoire de ce long-métrage se déroule dans une zone rurale de la région de Souabe, en Bavière, où régnait une forte tradition industrielle. Dans les années 1920, l’ensemble de la zone était communiste. Quasiment tous les travailleurs de l’époque étaient syndiqués et affrontaient régulièrement la SA, le service d’ordre du Parti nazi. Le fascisme s’est infiltré lentement dans la vie du village et a métamorphosé sa population : les enfants des Jeunesses Hitlériennes raillaient les dévots chrétiens, les femmes ayant eu des relations avec des juifs étaient humiliées sur la place publique, et la fête de la moisson devint une manifestation du Parti national-socialiste…
Déjà, je regrette le titre : en effet, Georg Elser est un homme à la vie certes ordinaire, mais un héros extraordinaire. Figurez-vous que s'il organise cet attentat, ce n'est pas pour venger son père, sa mère ou sa fille - ce qui serait la base de tout scénario étasunien - mais par conviction politique !
Ensuite, même si le film, à juste tire, est salué et honoré (et le sera encore), on peur regretter qui ne le soit pas (et ne le sera pas) parce qu'il n'aborde pas frontalement la Shoah.
Le "procédé" du film consiste en des allers-retours permanents, via la technique du flash-back, entre le temps où est Georg Elser est torturé, et le temps de ses souvenirs, sauf à la fin, quand il est enfermé dans un camp de concentration. Le réalisateur parvient brillamment à faire usage de ce procédé, alors qu'il peut être périlleux.
Georg Elser est incarné par le très troublant Christian Friedel, qui n'était autre que l'instituteur (le rôle principal) dans "Le Ruban Blanc" de Mickael Haneke (2009), excusez du peu. Je l'ai revu ensuite dans "Amour fou" de Jessica Hausner, film magnifique, que j'avais salué ici en février 2015.
Katharina Schüttler appréhende le difficile rôle d'Elsa avec beaucoup de finesse et d'intelligence. Enlisée dans son mariage avec un ivrogne violent qui adhère au parti nazi, elle est romantique, volubile, sensuelle, charnelle... Brillante actrice à la filmographie déjà étoffée, vous l'avez peut-être déjà vue dans "Carlos" d'Olivier Assayas (2010), "Oh boy" de Jan-Ole Gerster, une merveille de cinéma (2012), "Free Fall" de Stepan Lacant, un des plus beaux films "gay" de ces dernières années (2015), et comme son complice Christian Friedel dans "Amour fou" de Jessica Hausner.
Face à Georg Elser, les bourreaux. Arthur Nebe est incarné par Burghart Kraussner qui livre une interprétation de très haut vol, devant continuer de torturer Elser alors qu'il a toute les preuves qu'il a agit seul, et que l'attentat n'est le fruit d'aucun complot. Cela lui vaudra la pendaison (scène admirablement filmée). Quant à Johann von Bülow, incarne un Heinrich tout aussi troublant, plus détestable car plus déshumanisé, au jeu nécessairement plus glacial eu égard à sa supériorité hiérarchique sur Arthur Nebe.
Comme je l'ai annoncé plus haut, parce que le film n'aborde pas frontalement la Shoah, certains critiques ont fait la moue. Pour ma part, j'ai bien moins de réserves, considérant qu'on peut traiter de la résistance à Hitler, ici dès 1939, via l'attentat échoué du solitaire Georg Elser.
Donc, force est de constater qu’Oliver Hirschbiegel nous offre un biopic de grande qualité, en plus de mettre en lumière d’une façon très élégante un personnage essentiel de l’histoire allemande, dans un récit poignant où la fiction s’appuie sur un exposé minutieux des faits. Entre biopic, thriller historique, passion amoureuse, et vigilant clin d'oeil à la période actuelle, c'est passionnant. Et ce ne sont pas quelques maladresses ici ou là qui entament la très grande qualité du propos.
Juste la noblesse d'un homme debout, face à l'abjection, face à l'inacceptable. Et dans le rôle de Georg Elser, un Christian Friedel étonnant de complexité.

Critique de Elser un homme ordinaire de Oliver Hirschbiegel

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire