"Vers l'autre rive".
Au cœur du Japon, Yusuke (Tadanobu Asano) convie sa compagne Mizuki (Eri Fukatsu) à un périple à travers les villages et les rizières.
À la rencontre de ceux qu'il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s'est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort.
Pourquoi être revenu ?
À la rencontre de ceux qu'il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s'est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort.
Pourquoi être revenu ?
Depuis la fin des années 1980, Kiyoshi Kurosawa nous propose une filmographie passionnante (avec beaucoup de fantômes), qu'il construit avec patience, plutôt en marge de ce qu'il est commun de voir : notamment "Sweet Home" (1989), "Cure" (1997), "Eyes of the spider" (1998), "Kairo" (2001), "Jellyfish" (2002), ""Tokyo Sonata" (2008), "Shokuzai" (2012), "Real" (2013).
Notons qu'il prépare actuellement un film avec... Olivier Gourmet et Tahar Rahim !
Notons qu'il prépare actuellement un film avec... Olivier Gourmet et Tahar Rahim !
Pour la deuxième fois après "Jellyfish", alors qu'il entend rendre un hommage à Apichatpong Weerasethakul et à son univers autrement fantomatique, il recrute, pour incarner Yusube, l'immense Tadanobu Asano. Il faut s'attarder quelques instant sur la splendide carrière de cet acteur que j'ai découvet en 1989 dans "Tabou" de Nagisa Oshima. Vinrent ensuite "Distance" de Hirokazu Koreeda, "Zatoichi" de Takeshi Kitano, "The taste of tea" de Ishii Katsuhito, "Last life int the universe" de Pen-ek Ratanaruang, "Café Lumière" de Hou Hsiao Hsien... une filmographie qui lui a permis d'être retenu aussi par Martin Scorsese, Kenneth Branagh, Peter Berg, Alan Taylor...
Je clos ce long préambule en rappelant que "Vers l'autre rive" est une co-production franco-japonaise, et qu'il a reçu, à juste titre, le Prix de la Mise en cène à Cannes.
La photographie de Akiko Ashizawa est splendide, et la musique composée par Yoshihide Otomo & Naoko Eto sert merveilleusement le propos du film.
"Vers l'autre rive" n'est pas un scénario original. Kiyoshi Kurosawa a choisi d'adapter le roman "Kishibe no Tabi" de Kazumi Yumoto. Tout au long de l'écriture, il s'est entretenu avec l'auteure afin de se rapprocher au plus près de l'intrigue du livre. Il s'est d'ailleurs grandement inspiré de l'oeuvre, mais a quand même ajouté sa touche personnelle. Un retour dans le monde des vivants est une histoire qui a été racontée de nombreuses fois au cinéma, mais pour Kiyoshi Kurosawa, l'idée de la narrer sous forme de road movie est novateur. Le personnage de Yusuke ne se confronte pas avec son passé. Il redécouvre toutes les connexions qu'il a eues avec des vivants, comme les personnages de Apichatpong Weerasethakul ("Tropical Malady", "Oncle Boonmee", "Cemetery of Splendors") mais en étant déjà décédé et c'est ce qui a beaucoup plu au réalisateur.
Cette obsession de Weerasethakul pour le fait que chacune de nos vies est peuplée de fantômes personnels, qu'il peuvent revenir à nous, et surtout qu'on peut aller vers eux est à juste titre contagieuse, en ce sens que lesdits fantômes sont des intimes, et ne sont pas des personnes hostiles, comme on les voit généralement au cinéma. Nos âmes sont hantées, et c'est plus pertinent que les maisons hantées (à l'exception remarquable du chef d'oeuvre "Le fantôme de Madame Muir" de Joseph L. Mankiewicz) et autres morts-vivants qui polluent nos écrans sans réels propos ni idées.
"Vers l’autre rive" est un récit initiatique saisissant dans sa bouleversante étendue le mystère de la mort cohabitant avec la vie, et réciproquement le mystère même de celle-ci. Kiyoshi Kurosawa livre un film cosmique où s’exprime un rapport au monde entier, autant abstrait que sensible. L’impossible deuil, l’absolue nécessité pour les protagonistes de se résigner à la perte et à l’absence, Kurosawa les filme avec une simplicité et un naturel déconcertants.
Ce mélo poétique évolue sur un fil ténu entre réalisme et surnaturel, avec cet art de faire surgir l'extraordinaire sans écraser l'ordinaire par une mise en scène subtile. Le pouvoir de désordre et d’apaisement s’enracine dans la fiction du retour de celui qui ne peut pas, ne doit pas revenir, et c'est là que le film touche à l'universel.
Si le film brille dans la zone frontalière entre la réalité et l'inconscient, il impressionne aussi par l'entre-deux qu'il suggère entre la vie et la mort, ce que jusqu'à présent, seul Apichatpong Weerasethakul était parvenu à nous montrer.
Et l'infinie douceur de ce film hante longtemps après son ultime image...
C'est presque douloureux, mais je ne peux même pas conseiller ce film, alors que sans aucun doute, il est un chef d'oeuvre, ou presque. Voilà où va le monde, voilà pourquoi nous avons besoin de nos impossibles fantômes...
Critique de Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa
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