Vu le film Le Colonel Chabert de Yves Angelo (1994) avec Gérard Depardieu Fabrice Luchini Fanny Ardant André Dussolier Daniel Prevost Olivier Saladin Maxime Leroux Eric Elmosino
Paris, février 1817, trois ans
après la chute de l'Empire,
l'avoué Derville
reçoit la visite d'un vieillard misérablement vêtu. Il assure être le colonel
Chabert, laissé pour mort à la bataille d'Eylau en
1807. Il avait alors contribué à la victoire en conduisant une charge de cavalerie devenue
célèbre. Le vieil homme raconte comment, se réveillant dans un fossé entre des
cadavres, il a survécu à ses blessures. Il revient dix ans après et souhaite
réclamer son titre, faire valoir ses droits et revivre avec sa femme. Celle-ci,
durant son absence, s'est mariée avec le comte Ferraud.
Le comte cherche à acquérir le titre de pair de France,
ce qui lui permettrait de lancer sa carrière politique à la Chambre des pairs.
Mais son mariage avec une veuve
d'Empire crée des difficultés apparemment
insurmontables ; il lui vaudrait bien mieux se remarier avec la fille
d'une noblesse émigrée.
L’adaptation du roman d’Honoré de
Balzac par Yves Angelo, Le Colonel Chabert, est un film qui divise dans
l’analyse. Si l’on reconnaît immédiatement la virtuosité de son réalisateur en
tant que directeur de la photographie, le travail de mise en image semble
parfois prendre le pas sur l’essence dramatique et narrative de l’œuvre.
Visuellement, le film est une réussite
incontestable. Angelo capte les paysages hivernaux et les intérieurs feutrés
des salons de la Restauration avec une lumière qui évoque les peintures
classiques. Chaque plan est soigneusement composé, baigné dans une lumière
naturelle et des ombres travaillées qui rappellent Rembrandt ou Vermeer. Ces
images, accompagnées par une bande-son enchanteresse de morceaux classiques,
confèrent au film une élégance indéniable. Cependant, ce raffinement esthétique
peut paraître écrasant, voire envahissant, pour un récit qui, lui, exige une
austérité plus brute. Le contraste entre la somptuosité visuelle et la tragédie
poignante de Chabert finit par desservir l’intensité émotionnelle du propos.
Là où le bât blesse vraiment, c’est
dans la structure narrative. Le film, tiré d’une courte nouvelle, s’étire sur
plus de deux heures, et cette longueur dilue l’impact de l’histoire. Balzac
avait donné à Le Colonel Chabert une sobriété efficace, concentrée
autour du drame psychologique et social du retour d’un homme que l’on croyait
mort. Angelo, en revanche, cherche à étoffer cette intrigue minimaliste par des
scènes et des dialogues additionnels, souvent verbeux, qui alourdissent le
rythme. Passée la première heure, le spectateur peut ressentir une lassitude,
tant le récit semble stagner.
Du côté des interprètes, Gérard
Depardieu incarne un Chabert imposant et bouleversant. Son jeu, tout en retenue
et en intensité, traduit à merveille l’humiliation et la détermination d’un
homme en quête de justice. Il porte sur ses épaules l’essentiel du drame,
insufflant à son personnage une humanité poignante. À l’opposé, Fabrice Luchini
dans le rôle de l’avocat Derville offre une performance plus problématique.
Luchini, fidèle à son style, adopte une diction et une gestuelle qui frôlent
parfois la caricature. Sa prestation, trop théâtrale, détonne avec le
naturalisme recherché par Angelo. André Dussollier, en comte Ferraud, tombe
également dans ce travers. Son jeu, bien que techniquement impeccable, manque
de subtilité et nuit à la crédibilité de son personnage.
Quant à Fanny Ardant, qui incarne la
comtesse Ferraud, elle apporte une certaine froideur calculée à son rôle, mais
son personnage reste étrangement distant. Sa dynamique avec Chabert aurait pu
être un point fort du film, mais elle demeure sous-exploitée, réduite à des
confrontations glaciales sans réelle profondeur.
Le Colonel Chabert
est une œuvre paradoxale. Si Yves Angelo prouve ici son immense talent pour
magnifier l’image et la musique, il échoue à capturer pleinement la force
dramatique et sociale du texte de Balzac. Ce film, aussi beau soit-il à
regarder, pèche par sa longueur et son manque d’unité dans l’interprétation.
C’est une adaptation ambitieuse mais inégale, qui laisse un sentiment mitigé :
une esthétique sublime, mais une émotion qui ne parvient pas toujours à toucher
le spectateur.
NOTE : 13.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Yves Angelo, assisté de Frédéric Blum
- Scénario : Yves Angelo, Jean Cosmos et Véronique Lagrange, d'après le roman d'Honoré de Balzac
- Production : Jean-Louis Livi et Bernard Marescot
- Musiques : extraits d'œuvres de Mozart (Trio des Quilles), Beethoven (Trio des Esprits), Franz Schubert (Sonate pour piano en la majeur), Robert Schumann (Davidsbündlertänze, Études symphoniques), Domenico Scarlatti (deux sonates), François Rauber (Marche napoléonienne), choisis ou interprétés par Philippe Cassard, piano1. Avec un trio réuni autour de Régis Pasquier (violon, violoncelle, piano) et Pierre Hantaï au clavecin.
- Photographie : Bernard Lutic
- Montage : Thierry Derocles
- Décors : Bernard Vézat (certaines scènes d'intérieur furent tournées au château de Bizy à Vernon)
- Costumes : Franca Squarciapino
- Gérard Depardieu : Hyacinthe Chabert
- Fabrice Luchini : maître Derville
- Fanny Ardant : la comtesse Ferraud
- André Dussollier : le comte Ferraud
- Daniel Prévost : Boucard
- Olivier Saladin : Huré
- Maxime Leroux : Godeschal
- Éric Elmosnino : maître Desroches
- Guillaume Romain : Simonin
- Patrick Bordier : Boutin
- Claude Rich : Chamblin
- Jean Cosmos : Costaz
- Jacky Nercessian : Delbecq
- Albert Delpy : maître Roguin
- Romane Bohringer : Sophie
- Valérie Bettencourt : Julie
- Julie Depardieu : une domestique
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