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mardi 6 octobre 2015

MARYLAND de ALICE WINOCOUR par CRITIQUE CHONCHON

"Maryland"
De retour du combat, Vincent (Matthias Schoenaerts), victime de troubles de stress post-traumatique, est chargé d’assurer, sous l'autorité de Denis (Paul Hamy), la sécurité de Jessie (Diane Kruger), l'épouse d'un riche homme d'affaires libanais, et de leur fils Ali (Zaïed Errougui-Demonsant) dans sa propriété « Maryland ».
Tandis qu'il éprouve une étrange fascination pour la femme qu'il doit protéger, Vincent est sujet à des angoisses et des hallucinations. Malgré le calme apparent qui règne sur « Maryland », Vincent perçoit une menace extérieure... S'agit-t-il d'un risque réel ou le signe d'une paranoïa grandissante ?
Ce film franco-belge réalisé par Alice Winocour (39 ans, qui nous vient de la FÉMIS) est de bonne facture. Nous devons à cette jeune réalisatrice "Augustine" (2012) avec Vincent Lindo et Stéphanie Sokolinski (AKA Soko), ainsi que les scenarii de "Home" (2008) d'Ursula Meier avec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet, "Ordinary People" (2009) de Vladimir Perisic, et du superbe "Mustang" de Deniz Gamze Ergüven.
Si le film est de bonne facture, c'est pour plusieurs raisons. Cela n'est pas particulièrement du au scénario, mais à la mise en scène, à la distribution, à la direction des deux principaux comédiens, et à la très bonne musique de Mike Lévy "Gesaffelstein" qui signe une techno que je qualifierais de froide et tranchante.
Autant Matthias Schoenaerts que Diane Kruger ne sont pas filmés comme d'habitude. Bien que sublime, Diane Kruger, après la longue scène de la réception guindée à "Maryland", est filmée très simplement, sans artifices. Quant à Matthias Schoenaerts, la réalisatrice évite soigneusement de le filmé tel le sex-symbol de toute l'Europe féminine ménopausée. Ainsi n'est-il torse-nu que lorsqu'il est blessé et doit refaire son pansement. Dans l'un et l'autre cas, cela permet au film de s'intérsser aux ressorts psychologiques des protagonistes.
Il y a fort à parier que Matthias Schoenaerts puisse faire figure, à terme, d'une masculinité recouvrée, comme l'est Thomas Hardy, et ce dans le sillage non pas des acteurs très beaux, mais des acteurs dans la lignée des Gérard Depardieu, Olivier Gourmet, Viggo Mortensen, Grégory Gadebois... qui impriment la pellicule sans que l'on sache vraiment pourquoi. À la condition, toutefois, que ne lui soient attribués des rôles de taiseux, à moins qu'il n'améliore son jeu. Pour l'heure, selon moi, seul Michael R. Roskam avec "Bullhead" (2011) et "Quand bien la nuit" 2014) était parvenu à le filmer correctement, malgré les probables efforts de Paul Verhoeven, Dorothée Van den Berghe, Jacques Audiard, Guillaume Canet, Saul Dibb, Alan Rickman. J'attends avec impatience de le voir devant la caméra de Thomas Vinterberg puis de Lucas Guadognino face à la plus grande, à savoir Tilda Swinton.
Cadre spatial de l'intrigue du film, la maison est un personnage à part entière de Maryland. Dans cette optique, la réalisatrice a tenté de se rapprocher des codes du film d'horreur et plus particulièrement du "Home Invasion Movie". "Maryland" est un film représentant davantage l'atmosphère d’un monde de complicités où se mêlent l’argent et la politique qu'un film purement politique, même si le cadre reste cette somptueuse villa de la Côte d'Azur au sein d'un milieu qui se veut décadent. Les scènes de violence se veulent les plus réalistes possible : une violence crue, efficace, dans laquelle les gestes n’obéissent, selon la réalisatrice, à aucune chorégraphie, prenant ici ses désirs pour des réalités.
Calendrier du hasard, ou éminent sujet de réflexion proposé avec maestria par Apichatpong Weerasethakul, je ne saurais le dire, mais le film évoque aussi le fait d'être "hanté", à savoir être visité par des fantômes du passé, qui ne sont autres, pour le personnage de Vincent, que ses compagnons au combat à la guerre. Et ce qui est bien fait ici, c'est qu'on "devine" ce qui le torture, et que la réalisatrice évite judicieusement les flash-back, notamment grâce à une bande son qui équivaut protagoniste.
"Maryland" est un film de suspense (vous pouvez dire "thriller") incarné de froideur où, en bout de course, la tension explose dans un climat délétère de paranoïa. C'est assez fascinant de maîtrise et de beauté.
Il est important de souligner que la mise en scène d'Alice Vinocour ne cède jamais à la tentation du blockbuster made in USA. Sans rien perdre de son rythme ni de son efficacité le film reste tout à fait européen. Cela revient à dire qu'il existe bien d'autres façons de filmer l'angoisse, le suspense, les troubles post-traumatiques, la "hantise", le jeu sur la corde fragile d'où l'on peut sombrer dans la paranoïa que la seule - et imposante - façon étasunienne. Je dirais volontiers qu'Alice Winocour est un peu la fille de Kathryn Bigelow, la première - et la meilleure - à être parvenu à réinventer la façon de filmer ces thématiques.
Avec trois fois rien, un lieu, deux ou trois personnages, Alice Winocour tambouille un film aussi physique que mental, réduit à l'espace confiné d'une maison mais contaminé par les désordres géopolitiques planétaires, aussi bon dans la tension que diffuse dans l'action. Toutefois, et c'est selon moi fort regrettable, la réalisatrice ne s'encombre pas de détails, ce qui dessert le film.
Et même si je n'aime pas du tout le dernier plan du film - que je trouve attendu et très plan-plan même si la réinterprétation du thème de "King Kong" est judicieuse - même s'il faut bien constater que la progression du scénario s'arrête bien tôt dans le film (en gros, quand on apprend que Vincent n'est pas paranoïaque) je ne peux nier les qualités du film.

Critique de Maryland de Alice Winocour par Critique Chonchon

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