Le roman policier anglais aura donc perdu en quelques mois deux de ses reines: Phyllis Dorothy James dites P.D.James, le 27 novembre, et aujourd'hui 2 mai 2015 Ruth Rendell. Les deux siègeaient à la Chambre des Lords. Et avaient régné sur le polar britannique pendant un demi-siècle.
Née le 17 février 1930 à Londres de parents enseignants, l'un anglais, l'autre née en Suède et élevée au Danemark, Ruth Barbara Grasemann connaissait le Nord de l'Europe. Elle parlait d'ailleurs suédois et danois. Depuis son enfance, cette grande lectrice a pris l'habitude d'écrire des histoires. Ce qu'elle fit ensuite en tant que journaliste pour la feuille de choux locale, le Chigwell Times.
A 20 ans, elle épousa Don Rendell dont elle divorça en 1975 avant de l'épouser à nouveau en 1977 pour partager sa vie jusqu'à la mort de cet homme charmant en 1999. Il faut les avoir vu dans leur demeure de la campagne de l'Essex, à quelques encablures du pays de Constable, pour comprendre à quel point la disparition du petit homme discret mais efficace, s'occupant de tout dans la maison pour laisser Ruth écrire, a pu être difficile à surmonter. Elle vendit son cottage pour s'installer à Maida Vale, dans le Nord de Londres.
C'est en 1964 que la carrière de la romancière Ruth Rendell commence avec Un amour importun, qui marque la naissance de l'inspecteur chef Reginald Wexford, qui fut à la carrière de la romancière ce qu'Adam Dalgliesh fut à celle de P.D.James. Sa fidélité à Wexford, personnage qu'elle dira inspirée d'elle-même, ne se démentira jamais au cours des années et à ce jour on dénombre pas moins de 25 titres dans sa bibliographie. A coté de ces romans de procédure policière d'un classicisme réjouissant, Rendell a publié 28 titres sous le nom de Ruth Rendell et 14 sous le pseudonyme de Barbara Vine.
Ses éditeurs successifs en France ont préféré, à deux exceptions près, et pour des raisons commerciales sans doute, ne pas utiliser ce pseudonyme et tout publier sous le nom de Ruth Rendell. A la différence de la série des Wexford, ces livres étaient considérés par l'auteur comme des «romans psychologiques criminels». Rendell y disséquait les différentes facettes du crime, des perversions sexuelles, des secrets de famille avec une froideur aussi impressionnante que la dame faisant parfois penser à un oiseau de proie. Rien des travers de la société anglaise, de ses évolutions, n'échappait à l'œil acéré de Rendell. Engagée dans la lutte contre l'illettrisme et la protection des droits des femmes et des enfants, cette romancière dont les livres étaient traduits dans 32 langues, reçut la plupart des grands prix de littérature policière. L'Edgar 1975 pour la remarquable nouvelle, Le Rideau déchiré, quatre Gold Dagger Awards, et, consécration suprême, elle fut sacré Grand Maître en 1997 par la plus haute autorité du genre, les Mystery Writers of America.
A ces distinctions de la profession reconnaissante, il faut ajouter deux décorations qui ne sont pas qu'honorifiques: Rendell fut élevée au grade de Commandeur de l'Empire britannique en 1996 et Pair à vie l'année suivante, avec le statut de Baronne Rendell de Babergh. Cette œuvre assez remarquable qui connut peu de ratés a été souvent adaptée à la télévision et au cinéma.
Les Wexford, avec George Baxter dans le rôle-titre, tinrent pendant treize ans, de 1987 à 2000, sous le titre The Ruth Rendell Mysteries. Au cinéma, elle trouva en Claude Chabrol un grand fan de son œuvre. Il adapta en 1995 A Judgement in Stone qui devint La Cérémonie avec Sandrine Bonnaire. Puis, dix ans plus tard, il réalisé La Demoiselle d'honneur d'après The Bridesmaid. En 2001, c'était au tour de Claude Miller d'adapter The Tree of Hands sous le titre Alias Betty. Récemment, deux autres français, François Ozon avec Une nouvelle amie et Pascal Thomas avec La Maison du Lys tigré, ont prouvé les qualités visuelles de l'univers de cette grande dame qui aimait tant les chats qu'à la mort du dernier des siens, elle refusa d'en reprendre.
P.D.James a tout fait pour l'encourager à briser sa solitude avec des félins. Ce sujet de conversation faisait dire à certains chroniqueurs que les deux reines du crime se retrouvaient tous les après-midi aux séances non pas de la House of Lords mais de la «House of Cats»… En France, les livres de Rendell ont été successivement publiés au Masque, chez Calmann-Lévy et aux éditions des Deux Terres où est paru le 28 janvier, Une vie si convenable, l'un de ses derniers titres.
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