À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry (Vincent Lindon) commence un nouveau travail de vigile dans un supermarché qui se meut peu à peu en travail de surveillant, non seulement des clients, mais aussi de ses collègues, ce qui le met bientôt face à un dilemme moral (et ne peut que penser au "Surveiller et punir" de Michel Foucault).
Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?
Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?
J'ai vu "La loi du marché" avant qu'il ne soit honoré à Cannes via le Prix d'Interprétation Masculine qui fut attribué à Mathieu Lindon. Cela revêt une importance non négligeable, parce que, malgré les rumeurs positives à son entrait, je ne m'attendais pas particulièrement à une "performance" de l'acteur.
Je sais que ce genre de film peut être rédhibitoire à certains - jusqu'à la gerbe, je le sais - parce ses protagonistes appartiennent aux "classes populaires", celles-là même, sans que je sache pourquoi, qu'il ne faudrait pas montrer au cinéma au prétexte fallacieux que leur vie ne serait pas intéressantes. Ce que, notamment, les Frères Dardenne, Bruno Dumont comme Ken Loach on brillamment infirmé par la preuve.
Compte tenu de ce qu'avait déclaré Thierry Frémaux, de l'hommage rendu à Jean Zay et de la déclaration de la CGT, Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que "La loi du marché" s'inscrivait dans la philosophie générale de la sélection de cette année.
Nous devons à Stéphane Brizé des films tels que "Quelques heures de printemps", "Mademoiselle Chambon", "Entre adultes", "Je ne suis pas là pour être aimé" et "Le Bleu des villes", qui, s'ils ne s'inscrivent pas tous directement dans ce qui pourrait être appelé "cinéma social", rejoignent un peu, par exemple, ceux de Vincent Lioret, Pierre Jolivet et quelques autres. C'est un cinéma assez intéressant, et qu'il est de plus en plus, parce qu'il s'éloigne de cette "tradition" française qui a été, et qui est encore, de filmer la seule bourgeoisie.
Il faut souligner la maîtrise de Stéphane Brizé sur les plans-séquences. D'entrée, Thierry nous est montré à Pôle Emploi dans une scène de "fiction réaliste" particulièrement glaçante tant les dialogues sont justes. S'ensuivront quelques autres scènes de ce genre, toutes aussi brillantes les unes que les autres, à la banque, avec ses anciens puis nouveaux collègues, avec l'acheteur potentiel de son mobile-home… Techniquement, c'est brillant. Et ça l'est d'autant plus que jamais Vincent Lindon ne s'abandonne à une quelconque "performance", se permettant même un une interprétation presque en rentrait, d'homme taiseux.
L'ensemble des comédiens sont des non professionnels. Étrange impression que de constater à la fois que ça n'a pas d'importance, à la fois que c'est fondamental. Ces non professionnels "sont", et pourtant ils "jouent" aussi. Juste ce perceptible vibrato dans leurs voix, doux trémolo unique qu'on entend rarement au cinéma, porteur de tout ce que sont et représentent les "classes populaires".
Le film a une portée politique. Il raconte la vie d’un homme qui a tout donné à une entreprise avant d’être mis sur la touche parce que des patrons ont décidé d’aller fabriquer le même produit dans un autre pays à la main d’œuvre moins chère. "Thierry est la conséquence mécanique de l’enrichissement de quelques actionnaires invisibles. Il est un visage sur les chiffres du chômage que l’on entend tous les jours aux informations. C’est parfois juste une brève de deux lignes mais cela cache des drames absolus. Il ne s’agissait pas par contre de s’égarer dans le misérabilisme. Thierry est un homme normal dans une situation brutale", explique le réalisateur.
Oui, Vincent Lindon - à l'égal probablement de deux ou trois autres acteurs aux génériques des films de la sélection 2015 - nous propose une exceptionnelle interprétation. Mais aussi, il porte un film, il se fond dans une "réalité imaginée", emportant avec lui, ou les suivant, de modestes travailleurs admirables.
Thierry porte en lui se dilemme universel : "pour nous en sortir, ma famille et moi, devons-nous en sacrifier d'autres ?" Thierry, au final, considère qu'on peut sacrifier beaucoup de choses, mais pas la Fraternité. Il refuse ce jeu de dupes qu'on lui propose, ce jeu hyper-capitaliste qui ravage l'humanisme : ne penser qu'à soi.
Critique Chonchon
La Loi du Marché de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon
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