TITLI DE KANU BEHL par Critique Chonchon

Titli, une chronique indienne.

Dans la banlieue de Delhi, Titli (Shashank Arora), vit avec son père impassible (Lalit Behl) et ses deux frères Vikram (Ravir Shorey) particulièrement violent avec son épouse mais aussi avec tout le monde, et Pradeep (Amit Sial) célibataire très discret parce qu'homosexuel, tous deux officiellement épiciers, mais en réalité braqueurs de voitures.
Titli (qui signifie Papillon, un prénom féminin, parce que ses parents souhaitaient une fille après avoir eu deux fil) poursuit d’autres rêves que de participer aux magouilles familiales.Ses plans sont contrecarrés par ses frères, qui le marient de force à Neelu (Shivaji Raghuvanshi) pour sa dot, une jeune femme vive, intelligente, courageuse qui ne pense qu'à rejoindre son amoureux.
Mais Titli fera tout, absolument tout pour se libérer du poids familial…

Voilà un an que j'attends ce film, qui fut présenté à Cannes, et sur lequel j'avais lu à l'époque des chroniques qui m'avaient interpelé.

Tant de thèmes sont abordés dans ce film qu'il pourrait n'être qu'un survol de ce que cache la société indienne, derrière les superproductions de Bollywood. Oui mais voilà, le jeune réalisateur Kanu Behl (fils d'un réalisateur et d'une comédienne) nous livre un condensé aux confins du chef d'oeuvre.

Pauvreté, violence, trafic, corruption, misogynie, paternité, patriarcat, courage des femmes, opposition quartiers riches/quartiers pauvres... Émancipation d'un fils vis-à-vis de son père et de ses frères, non pas pour son amour, non pas pour son enfant - des ressorts hollywoodiens aussi vides que fréquents - mais pour conquérir la liberté qui permet de fuir sa condition, et de s'en sortir par le haut. Échapper au déterminisme, tant familial que social... comme une aspiration presque "philosophique" nécessaire à la survie.

Titli, le Papillon, symbole d'une des métamorphoses les plus rapides du monde animal. Mais, loin d'être un joli papillon, Titli est aussi un animal qui saura opprimer pour atteindre son but. C'est bien pensé, et tout le film est de cet acabit.

C'est assez crasseux et moite, c'est d'une violence physique et psychologique que je n'ai jamais vue auparavant, avec en ritournelle répétitive, d'étranges moments où les protagonistes se lavent les dents, en se raclant tellement la gorge que c'en est... dégueulasse.

Débutant comme un thriller efficace, bifurquant à deux ou trois reprises vers l'horreur pure, "Titli, une chronique indienne" prend progressivement la dimension d'un mélodrame sec, voire même aride. Le scénario est parfait de maîtrise ; le film est condensé jusqu'à l'essence ; le montage confine au sublime ne sacrifiant pas les moments de contemplation, ne tombant jamais dans la violence gratuite ; le sens du détail y est impressionnant ; la violence (physique comme psychologique) y est fulgurante. Uppercut sur uppercut.

Ce n'est que peu à peu au fil de l'histoire que les intérêts de Titli et Neelu vont se conjuguer, et va nous proposer un espoir tout en soif de liberté, voire davantage...

"Titli, une chronique indienne" n'a pas été fait pour plaire, mais pour balancer à la tête du spectateur un constat et une analyse aux antipodes des clichés récurrents. C'est une de ses immenses qualités.

Un film très bien écrit, sans "m'as-tu-vu derrière la caméra" virant à la prouesse et à l'esbroufe, d'une intensité rare, sans pathos, sans "héros", servie par une interprétation éblouissante, dont le cinéma "occidental" ne manquera pas de s'inspirer, je vous le parie avec certitude.

=> Notez bien que c'est davantage qu'un film, c'est du cinéma ! En conséquence, ça interpelle, ça interroge, ça secoue... et le réalisateur, tel un artiste, nous propose son point de vue. Vous serez comme devant un tableau, une sculpture, ou immergé dans une composition musicale. Ça pourrait donc gêner ou déplaire longtemps, comme l'art doit aussi le faire.

CRITIQUE CHONCHON

Titli de Kanu Behl avec Shashank Arora, Ravir Shorey et Lalit Behl