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mardi 9 février 2016

LA SEMAINE CINEMA DE CRITIQUE CHONCHON

Au cinéma cette semaine, dans le maquis des daubes et des sucreries...
Le cumul "Les Tuche", "Alvin", "Point Break", "Dirty Papy" et dans une moindre mesure, probablement, "Chocolat" est certainement très enrichissant pour l'industrie cinématographique, mais tant qu'elle ne me paie pas pour y aller, je m'abstiens... Je suis déjà bien assez bête comme ça... émoticône grin
- "La Terre et l'ombre" (Colombie), de Cesar Acevedo qui nous avait djà proposé le passionnant "Los Hongos" en mai 2015.
Alfonso (Haimer Leal) est un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade. Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme qui par attachement ne veut quitter cette terre hostile sous aucun prétexte, sa belle-fille et son petit-fils. Il découvre un paysage apocalyptique. Le foyer est cerné par d'immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque une pluie de cendres continue. 17 ans après avoir abandonné les siens, Alfonso va tenter de retrouver sa place et de sauver sa famille.
Le scénario est aussi sec que les champs de canne à sucre brûlés, les dialogues sont rares, douloureux, et presque poétiques, les cadrages et la photographie sont rien de moins que somptueux.
D'aucuns confondent Amérique avec USA dans une sémantique sciemment hégémonique, et pourtant, de plus en plus, nous viennent d'Amérique du Sud des films passionnants. Rien que l'an dernier, "Ixcanul", "Une seconde mère", "Gente de bien" comptaient parmi les meilleurs films de l'année...
"La Terre et l’ombre" est un émouvant long métrage à la grammaire sèche, multiplébiscité par la critique au dernier Festival de Cannes, d’où Acevedo est reparti avec la justifiée Caméra d’Or. Le son très travaillé parachève ce superbe ensemble de sensations et de réflexions qui entraînent à la compréhension humaine et nous relient. C'est un film "à mères" (selon l'expression de Guillaume Tion) sur l’enracinement et la lutte, sur la terre du sud. Bien que sinistre à raconter, l’histoire devient à l’écran magnifique, et c’est le miracle du cinéma. La dernière demi-heure est peut-être ce que vous verrez de plus impressionnant cette année.
- "Anomalisa" (USA) de Charlie Kaufman (scénariste des brillants "Dans la tête de John Malkovich" de Spike Jonze et "Eternal sunchine of the spotless mind" de Michel Gondry) et Duke Johnson, film de marionnettes avec les voix, notamment, de David Thewlis et Jennifer Jason Leigh. (Anomalie + Lisa = Anomalisa)
Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l’amour de sa vie…
Ne cherchez pas, vous n'avez jamais rien vu qui puisse s'apparenter à "Anomalisa". C'est un ovni visuellement incroyable, filmé en stop-motion (animation de marionnettes image par image), chef d'oeuvre d'émotion et de sensibilité.
Le film constate et dénonce l'uniformisation des gens comme de leurs idées. À de rares exceptions près, ils ont tous la même tête et la même voix. C'est le cas de Lisa, qui dissimule une cicatrice au coin de son oeil droit, et qui a encore - pour combien de temps ? je vous laisse le découvrir - une romantique âme de poète, raison pour laquelle Michael Stone la remarque et s'intéresse à elle.
Inutile de s'attarder sur la description du défi technique (vous pourrez lire à ce propos des pages entières) si ce n'est que le pari est brillamment tenu. Les réalisateurs parviennent même à proposer des scènes de nu et une scène de sexe, sans qu'un seul instant ce soit ridicule.
"Anomalisa" est une anomalie grandiose dont on n'a pas fini de parler.
Une des dizaines de prix cinématographiques balancés en janvier aux USA (entre les Awards et les Guild, on ne sait plus) est même allé à Jennifer Jason Leigh pour son admirable travail, tout en délicatesse.
J'en redemande !
- "Mad Love in New York" (USA, France) de Ben Safdie et Josh Safdie, avec notamment Arielle Holmes (Harley), Caleb Landry Jones (Ilya), Buddy Duress (Mike), Necro (Scully), Eleonore Hendricks (Erica), Yuri Pleskun (Tommy).
J'avais vu "Lenny and the Kids" des frères Safdie en 2010, magnifique film sur la paternité, et je m'en suis souvenu.
J'ai immédiatement pensé au cinéma de Paul Morissey, de Rainer Werner Fassbinder, de John Cassavetes, et bien sûr à celui d'Amos Kollek dont "Fiona" et "Sue perdue dans Manhattan", avec l'inoubliable Anna Thomson, restent gravés dans ma mémoire.
Harley, jeune SDF qui erre dans les rues de New York, fait la manche pour obtenir de quoi acheter sa dose quotidienne. Car Harley a une addiction à l’héroïne. Elle est tout autant dépendante de son amoureux Ilya, toxicomane lui aussi et qui exerce sur elle une attraction malsaine. Pour lui prouver son amour, Harley est prête à tout, même à s’ouvrir les veines. Après une tentative de suicide ratée, la jeune femme finit par s'éloigner de lui, reprend son quotidien tragique dans l'hostile mégalopole new-yorkaise et tente de survivre sans son grand amour destructeur...
Là, nos sommes très loin du formatage Hollywood, et ça fait mal. Les frères Safdie ressuscitent une New York que l'on croyait engloutie sous les effets de la gentrification et du tourisme triomphant. Une New York de la misère et de la défonce qui rappelle, tout aussi mélancolique, la description d'un Hubert Selby Jr., excusez du peu.
Admirablement, la fiction dépasse le documentaire. Le film des frères Safdie qui repose sur le récit d’Arielle Holmes, actrice principale dans le rôle de Harley, mais aussi écrivaine du récit au quotidien de sa vie de junkie et SDF à New-York.
Le rythme effréné de Harley et ses amis dans les rues de New-York transparait à l’image dans leurs multiples déplacements incessants, liés sans doute aussi à la forte consommation de drogues et la lutte contre le froid.
Le rêve étasunien est une bien jolie médaille attrape-couillons, mais elle a son revers, et celui que proposent Ben & Josh Safdie est aussi pertinent que particulièrement tranchant. Outre son interprète, la force du film doit beaucoup à son inspiration plastique, à la sensibilité du cadre, à la nervosité de la focale d’un téléobjectif qui saisit l’errance de ces personnages comme dans les interstices de la foule et de la vie cossue du quartier, tenues à l’écart, presque invisibles.
- "Steve Jobs" (USA) de Danny Boyle sur un scénario de Aaron Sorkin (déjà auteur de celui de "The Social Network" réalisé par David Fincher), avec Michael Fassbender (Steve Jobs), Kate Winslet (Joanna Hoffman), Seth Rogen (Steve Wozniak), Jeff Daniels (John Sculley), Michael Stuhlbarg (Andy Hertzfeld), Katherine Caterson (Chrisann Brennan), Perla Haney-Jardine (Lisa Brennan).
Dans les coulisses, quelques instants avant le lancement de trois produits emblématiques ayant ponctué la carrière de Steve Jobs, du Macintosh en 1984 à l’iMac en 1998, en passant par Next, le film nous entraîne dans les rouages de la révolution numérique pour dresser un portrait intime de l’homme de génie qui y a tenu une place centrale.
Je ne vais pas m'étendre sur la distribution et l'interprétation : elles sont admirables en tous points, avec selon moi, une prime à Kate Winslet.
Autant le scénario de "The Social Network" était admirable de sécheresse, autant celui de "Steve Jobs" contient du gras inutile. J'ai lu ici et là qu'il fallait en faire le reproche, non pas au scénariste, mais au réalisateur. Implacable logique, non ?
Trois fois, une scène, des coulisses, des loges... du théâtre donc. C'est probablement la raison pour laquelle c'est Danny Boyle qui a été appelé, puisque c'est sa formation initiale, et que ce fut son métier, exercé avec talent (et filmer les théâtres comme des églises évangéliques, c'est une excellente idée de mise en scène).
Ainsi séquence en trois actes, et intégralement situé dans les décors intérieurs de salles de spectacle, le film épouse une forme de théâtralité assumée et fait de Steve Jobs un pur personnage shakespearien… Danny Boyle ayant été un admirable metteur en scène de théâtre... pour la Royal Shakespeare Compagny. CQFD.
Un biopic qui est à la fois centré sur le côté intime d’un homme complexe et sur la révolution numérique dont il fut plus qu'un acteur majeur : un gourou.
À mon sens, le gras du scénario, c'est précisément sur l'intime : sa femme, sa fille, la paternité, la filiation, les disputes pour l'argent, tout ça en boucle... jusqu'à la grande réconciliation-guimauve du père et de sa fille Lisa (comme l'acronyme L.I.S.A. pour "Local Integrated Systems Architecture", ou l'inverse. Whaow ! ) c'est trop pour moi. "Noyau pourri de la pomme, qui polarise petit à petit l’enjeu du récit autour de la question de la paternité et de la filiation."
En revanche, les plans sur les foules venues voir Steve Jobs sur scène, les cris, les holas, etc... sont superbes d'ironie grinçante. Et les coulisses, car, comme dans la vie, tout est là, c'est très réussi, grâce aux admirables dialogues, toujours très tendus, et comme je l'ai déjà écrit, servis à la perfection.
La moitié du GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui désormais domine le monde, a désormais ses biopics, dans des "Citizen Kane" de pacotille, fort peu critiques, et j'attends la suite, non sans une certaine gourmandise.
Au-delà de ce film se posent donc des questions artistiques, politiques, philosophiques... Danny Boyle, habilement, les suggère, lui qui a mis-en-scène l'époustouflante cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 2012. Champ de réflexion passionnant, n'est-il pas ?

Par Critique Chonchon

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