C'est certainement le passage le plus surprenant du film Call Me By Your Name, l'un des plus bouleversants aussi, étrangement sensuel et délicat, et celui dont on parle le plus logiquement lorsqu'on débriefe le film entre amis. "La scène de la pêche", comme on l'appelle désormais, fait couler beaucoup... d'encre, et elle a des petits secrets qu'il est temps que vous découvriez.
Pour ceux qui ne l'ont pas encore vue, voici une petite description : un après-midi d'ennui au coeur de l'été italien, le jeune Elio (Timothée Chalamet) cueille deux pêches dans le jardin fruitier de la maison familiale, et les emmène dans sa chambre. Après en avoir dévoré une, il regarde la deuxième qui trône près de son lit et se rend compte qu'elle ressemble à s'y méprendre à une paire de fesses. Pour rappel, l'action se déroule dans les années 80, bien avant que l'émoji pêche ne dévoile au monde entier la vérité sur la forme suggestive du fruit ! C'est alors que lui vient une idée, un peu saugrenue, de l'utiliser pour se masturber. Il retire le noyau de la pêche, y insère son pénis et jouit à l'intérieur. Satisfait et éreinté, il laisse la pêche ravagée sur son bureau et s'endort. Il est plus tard réveillé par Oliver (Armie Hammer), avec qui il entretient une relation passionnelle qui n'en est alors qu'à ses balbutiements, lequel découvre ce qu'il a fait, s'en amuse, avant qu'Elio ne fonde en larmes dans ses bras.
cène pivot du film, elle est avant tout l'expression physique, quasi bestiale, du désir ressenti par Elio, un adolescent dont les hormones sont en ébullition et qui doit faire face, chaque jour, à la vision certes agréable mais surtout frustrante d'un Oliver à moitié nu, l'objet de son affection qui lui paraît tantôt distant et inatteignable, tantôt joueur et interessé. Cette pêche est le réceptacle de son plaisir mais aussi ce qui devient métaphoriquement un pont entre eux, le fruit défendu qu'il les unit dans leur désir commun, et leur permet de passer à l'étape supérieure. Les larmes d'Elio à ce moment précis, c'est le rempart qu'il a construit autour de lui pour se protéger de la souffrance qui s'effrondre; il rend les armes et confie ainsi ses sentiments à l'être aimé. C'est en cela que cette scène, au-delà de son aspect cocasse et coquin, est extrêmement forte et primordiale.
Ce passage était toutefois légèrement différent dans le roman dont le film est l'adaptation, du moins son aboutissement l'était, puisque de manière puissament significative, Oliver engloutissait la pêche avec gourmandise : "Je le regardais mettre la pêche dans sa bouche, puis la manger lentement en me fixant intensément au point où je me disais que même la relation sexuelle ne pouvait aller aussi loin." Elio pleurait quand même aussi à la suite de ce moment, subermergé par l'émotion.
L'auteur André Aciman allait donc plus loin et choisissait de marquer ce passage avec encore plus de force, puisque Elio et Oliver ne faisaient alors temporairement plus qu'un, l'un dans le corps de l'autre. Et cela renvoie d'ailleurs aux philosophes chers à Oliver et au père d'Elio, Platon notamment, qui considéraient que l'amour était la recherche de la moitié de soi, pour former un tout. Le narrateur explique alors, avec quelques années de recul : "Pour moi ce geste signifiait : 'Je crois au plus profond de moi qu'aucune cellule du ton corps ne doivent jamais mourir, et si elles doivent mourir, je veux que ce soit à l'intérieur du mien'."
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