Après un débat autour des nombreuses nominations pour ce gala à des films d’auteur peu vus, c’est, ironie du sort, l’oeuvre le plus grand public du lot, La passion d’Augustine de Léa Pool, qui sort conquérante du Gala du cinéma québécois, effaçant le nom de Jutra. Meilleur film, meilleure réalisation, meilleure actrice à Céline Bonnier pour un premier rôle, meilleure actrice de soutien pour Diane Lavallée en soeur Lise, meilleurs costumes, meilleures coiffures. Six statuettes en tout. L’Alléluia en trompette pour les religieuses musiciennes.
Une seule femme cinéaste avait remporté le prix de la meilleure réalisation auparavant : Lyne Charlebois pour Borderline en 2009, mais Léa Pool est la première lauréate du meilleur film en 18 éditions de ce gala rebaptisé. Ce qui suscita un tollé d’applaudissements.
Quant au sujet chaud, celui du cinéaste dont on n’ose dire le nom, il fut abordé en préambule à l’émission par Pénélope McQuade et Stéphane Bellavance le plus sobrement possible, nommé une fois seulement. « L’événement qui a ébranlé le cinéma québécois en ne laissant personne indifférent » s’est transformé en plaidoyer pour « les victimes enfermées dans le silence depuis longtemps ». Exit Claude Jutra. Même son fantôme s’effaçait du bal aux remerciements. Le gala est allé rondement, chaque lauréat minuté dans le remerciement.
Quant au trophée provisoire, sous une autre forme dès l’an prochain, il a des airs de bûche à moitié fendue.
« Pas évident d’animer un gala dans ces circonstances-ci », ironisait Pénélope McQuade. Mais le Monument National était plein, les gens endimanchés : le nouveau ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, au poste ainsi que Mélanie Joly, son pendant au Patrimoine canadien. L’animation fut allègre, à défaut de fracasser des sommets d’humour, sauf quand le désopilant Irdens Exantus y ajoutait son grain de sel. Et le prix hommage fut récolté par le compositeur François Dompierre, ému mais solide, sous témoignages d’amitié de Denys Arcand et la chanson IXE-13 chantée sur scène par Louise Forestier. Sa nièce, Catherine Major, interprétait Reste avec moi, et son fils Philippe Dompierre Ce soir j’ai l’âme à la tendresse.
D’excellents films comme le politique Corbo de Mathieu Denis, autant de fois cité que le film de Léa Pool (dix), l’émouvant Les êtres chers d’Anne Émond (sept citations), La chanson de l’éléphant de Charles Binamé (huit), et Les démons de Philippe Lesage, nommé à la fois pour le meilleur film et la meilleure réalisation, sont restés sur la touche. Félix et Meira, magnifique rencontre de deux solitudes de Maxime Giroux, repart du moins avec le prix du meilleur scénario coécrit avec Alexandre Laferrière, qu’ils n’ont pas volé. En plus de récolter la palme du film s’étant le plus illustré hors Québec.
En gros, c’est à croire que les votants des diverses associations professionnelles avaient voulu rectifier le tir, penchant d’abord pour les films d’auteur, au profit à l’heure du vote des oeuvres à portée populaire. Effet de pendule, à tout le moins.
Les films plus pointus par opposition aux productions commerciales ont fait l’objet de quelques gags amusants. Drôle aussi, le numéro servi à Xavier Dolan, qui s’est fait offrir par scène de La passion d’Augustine interposée, le titre «Son éminence!»
Peu cité au départ, Paul à Québec de François Bouvier, adapté de la BD de Michel Rabagliati, vaut à Gilbert Sicotte, bouleversant en patriarche en fin de vie, le laurier du meilleur acteur. Il avait déjà reçu le Jutra en 2012 pour un premier rôle dans Le vendeur et pour un rôle de soutien dans Continental, un film sans fusil en 2008.
La comédie Guibord s’en va-t-en-guerre de Philippe Falardeau, absente des catégories supérieures, est une des grandes lauréates de la soirée. Meilleur acteur de soutien au délicieux Irdens Exantus en conseiller politique de haut vol catapulté d’Haïti, meilleur montage à Richard Comeau, meilleure musique originale à Martin Léon.
Brooklyn de John Crowley, sur une immigrante irlandaise à New York, trois fois en nomination aux Oscars et primé ailleurs, coproduit ici, ne pouvait repartir les mains vides après sa reconnaissance planétaire. À Yves Bélanger (comme aux Écrans canadiens) la statuette de la meilleure photographie, assortie cette fois du prix de la meilleure direction artistique à François Séguin. Brooklyn et Montréal: même combat!
La post-apocalyptique romance Turbo Kid aux inquiétantes créatures abîmées et cernées, sinon déjà rigidifiées par l’hiver nucléaire et la malice des hommes, se voit primé à travers les maquillages d’Olivier Xavier, qui n’avait pas chômé.
armi une forte concurrence, le remarquable Ouïghours, prisonniers de l’absurde de Patricio Henriquez, sur des victimes collatérales de Guantanamo, s’est démarqué en récoltant le prix du meilleur documentaire. « Quelqu’un qui vient de la vieille France se promène à droite et dit des choses qui ne correspondent pas à la réalité », a-t-il lancé. En ciblant ainsi Marine Le Pen, Henriquez fut chaudement applaudi.
Maurice de François Jaros, abordant la lente préparation à la mort d’un homme malade, nourrissant les réflexions sur le choix de mourir dans la dignité, déjà primé à Fantasia, est couronné meilleur court ou moyen métrage de fiction, alors que le désopilant et grinçant Autos Portraits de Claude Cloutier (ONF) reçoit le laurier du court, versant animation.
Le Billet d’or revient à l’animation La guerre des tuques 3D de Jean-François Pouliot et François Brisson, qui a conquis le public avec son remake du célèbre conte pour tous d’André Melançon.
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