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mardi 29 mars 2016

LA LONGUE SEMAINE PASCALE DE CRITIQUE CHONCHON

Mon cinéma "pascal", par ordre de préférence, comme d'habitude.
- "Kaili Blues" (Chine) de Ban Gi, avec Feiyang Luo (superbe d'humanité), Lixun Xie, Yongzhong Chen...
Chen est médecin dans une petite clinique de Kaili, ville brumeuse et humide de la province subtropicale du Guizhou. Il a perdu sa femme lorsqu'il était en prison pour avoir servi dans les triades. Aujourd'hui, il s'occupe de Weiwei, son neveu, qu'il aimerait adopter. Lorsqu’il apprend que son frère a vendu Weiwei, Chen décide de partir à sa recherche. Sur la route, il traverse un village étrange nommé Dangmai, où le temps n’est plus linéaire. Là, il retrouve des fantômes du passé et aperçoit son futur... Il est difficile de savoir si ce monde est le produit de sa mémoire, ou s'il fait simplement partie du rêve de ce monde.
Pour décrire les ravages du monde actuel, Bang Gi a l'audace de nous proposer une sorte d'envoûtement magique, et tant d'n pont de vue humain que d'un point de vue technique, on est subjugué. La seconde partie du film est un plan-séquence somnambulique est la plus belle incise poétique que le cinéma ait à nous offrir ces temps-ci - avec "The Assassin" de Hou Hsiao Hsien - qui met définitivement KO debout la vulgarité hystérique d'Alejandro González Iñárritu. C'est un sortilège dont les effets perdurent bien après la projection. Une magnifique méditation sur le temps qui passe et sur ce que peut en faire le cinéma, comment il le tord et le malaxe, et semble toujours trouver de nouvelles manières de le remonter. Pratiquement au même niveau que "Cemetery of Splendors" de Apichatpong Weerasethakul. Grandiose.
- "Keeper" (Belgique, France) de Guillaume Senez avec Kacey Mottet Klein (subliment tragique), Galatéa Belluci (portant admirablement un rôle ô combien difficile), Catherine Salée, Sam Louwyck, Laetitia Dosch, Aaron Duquaine, etc...
Maxime et Mélanie ont 15 ans, ils s’aiment. Ensemble, ils explorent leur sexualité avec amour et maladresse. Un jour, Mélanie découvre qu’elle est enceinte. Maxime accepte mal la nouvelle, mais peu à peu se conforte dans l’idée de devenir père. C’est maintenant décidé : du haut de leurs quinze ans, Maxime et Mélanie vont devenir parents… Avorter, ne pas ? Garder l'enfant, ne pas ?
"Keeper" réussit le tour de force d'assumer autant le suspense - quelle sera la décision finale ? - que la chronique d'aujourd'hui. De jouer les codes de la fiction à l'intérieur d'un naturalisme pur et dur. Ce qui en fait une belle réussite. Un film subtil, illuminé par des comédiens au talent prometteur, qui fait la part belle aux paradoxes de cette époque particulière de la vie que l’on nomme adolescence. Cette âpreté du cinéma, qui se réclame clairement de Ken Loach, de Bruno Dumont, des Frères Dardenne, etc... est une absolue nécessité. Il y a là un talent, une maîtrise, une attention aux autres et une confiance dans le cinéma qui conduisent à penser que l’on reparlera de Guillaume Senez.
- "Chala, une enfance cubaine" (Cuba) de Ernesto Daranas, avec Armando Valdes Freire, Alina Rodriguez, Silvia Aguila, etc...
Chala, jeune cubain, malin et débrouillard, est livré à lui-même. Elevé par une mère défaillante qui lui témoigne peu d’amour, il prend soin d’elle et assume le foyer. Il rapporte de l’argent en élevant des chiens de combat. Ce serait un voyou des rues sans la protection de Carmela, son institutrice, et ses sentiments naissants pour sa camarade Yeni...
Variation cubaine des "Quatre cents coups" de François Truffaut, portée par de jeunes acteurs formidables, Ernesto Daranas propose un film au récit fluide et aux personnages attachants. Jamais ce film chaleureux ne cède aux pesanteurs du didactisme. Il livre à travers la fiction un témoignage touchant, remarquable de justesse, sur un pays à la charnière de son histoire. Le film fait preuve d'une grande maîtrise narrative dans ce qui est davantage une chronique qu'un drame, d'une grande sûreté de main dans la conduite des scènes, et d'une remarquable direction d'acteurs. "Chala" touche à quelque chose d'universel : le bouillonnement de l'enfance, ce torrent de promesses qui déborde des salles de classe jusque dans les rues.
- "Rosalie Blum" (France) de Julien Rappeneau avec Kyan Khojandi (Whaow !), Noémie Lvovsky, Alice Isaaz, Anémone, Sara Giraudeau (délicieuse), Camille Rutherford, Philippe Rebbot (toujours parfait), etc...
Vincent Machot connaît sa vie par cœur. Il la partage entre son salon de coiffure, son cousin, son chat, et sa mère bien trop envahissante. Mais la vie réserve parfois des surprises, même aux plus prudents... Il croise par hasard Rosalie Blum, une femme mystérieuse et solitaire, qu'il est convaincu d'avoir déjà rencontrée. Mais où ? Intrigué, il se décide à la suivre partout, dans l'espoir d'en savoir plus. Il ne se doute pas que cette filature va l’entraîner dans une aventure pleine d’imprévus où il découvrira des personnages aussi fantasques qu’attachants. Une chose est sûre : la vie de Vincent Machot va changer…
Entendons-nous bien : c'est un peu trop sucré et prévisible, un peu trop "propret" pour moi, mais je ne saurais nier les évidentes qualités de ce film français qui sort un peu du lot. D'après les BD de Camille Jourdy, Julien Rappeneau propose un film léger comme une petite mélodie qui met de bonne humeur. Pour faire le lien entre légèreté et sensibilité, une distribution astucieuse a été réunie, et elle est cohérente, les acteurs parvenant à jouer les uns avec les autres, sans se pousser du coude. On est là dans quelque chose comme un conte, mais dont rien n’est très féerique, quelque part entre le roman graphique et le cinéma, la fragilité touchante et quelque chose de convenu.
Je dois ajouter que comme je ne regarde jamais cette daube qu'est devenue Canal+ depuis plus de 10 ans, je connaissais très peu l'épatant comédien qu'est Kyan Khojandi, n'ayant jamais vu "Bref" dont tout le monde me cause. Il est si bon (il sait si bien jouer sans avoir beaucoup de texte, tout en retrait, qu'il en devient beau, et que dès que je suis rentré chez moi, j'ai acheté une place pour son spectacle "Pulsions" qui se joue actuellement à "L'Européen", pas loin de chez moi.
- "Remember" (Canada) de Atom Egoyan, avec Christopher Plummer, Martin Landau, Bruno Ganz, etc...
Un vieil homme atteint de "démence sénile" (il perd un peu la boule), qui vient de perdre sa femme dans la maison de retraite où il vit, survivant de l'Holocauste, parcourt les États-Unis, sur les instructions précises et écrites d'un autre survivant, lui aussi pensionnaire de cette même maison de retraite, mais invalide, pour se venger d'un passé qu'il ne cesse d'oublier.
Je ne vais évidemment pas critiquer le propos du film, pas plus que la qualité de la réalisation d'Atom Egoyan, ni surtout la très grande qualité de l'interprétation.
Toutefois, je ne suis pas de ceux qu'on enfume avec quatre grands noms au générique d'un film. Le magazine "Première" et moi, ça fait deux depuis toujours. "Remember" m'est apparu, comment dire... "téléphoné". Il y a une mécanique scénaristique qui m'a rappelé le sublime "Broken Flowers" de Jim Jarmush avec Bill Murray (sur un tout autre sujet, les amours perdues) qui ne fonctionne pas.
La traque des criminels nazis qui sont parvenus à se planquer est un passionnant "sujet" de cinéma, après être une nécessité historique, et même si Atom Egoyan reste subtile, notamment lorsqu'il filme un pommeau de douche, un haut-parleur sur un quai de gare, mais son film ne nous parvient-il pas avec 25 ans de retard ?
Je ne le blâme pas, car je mesure combien sur ces "sujets" difficiles, Claude Lanzmann aura, a sa façon, empêché le cinéma de faire son "travail de mémoire", considérant que seule son oeuvre - certes indispensable et magistrale - et qu'il aura fallu attendre "Le fils de Saul" de Laszlo Nemes pour se libérer pleinement de son joug.
- Je vous épargne les horreurs que sont "Batman vs Superman - L'aube de la justice" (franchement, l'aube de la Justice en 2016 !) et "Aux yeux de tous", ce sont des insultes aux spectateurs.

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