J'ai toujours considéré ce film, comme le meilleur des films sur l'oeuvre d'Agatha Christie, et Albert Finney comme le plus juste dans mon imaginaire (ou le contraire) de l'idée que je me faisais d'Hercule Poirot. Même si je trouve que David Suchet dans la série se débrouille pas mail du tout.
Agatha Christie a toujours été en colère suite aux précédentes adaptations cinématographiques de ses oeuvres. Elle ne veut plus donc entendre parler de cinéma, considérant qu'elle en a "assez".
En 1974, Lord Mountbatten parvient cependant à convaincre la romancière d'accepter que son beau-fils John Brabourne produise une adaptation de son roman : Le Crime de l'orient Express. Sidney Lumet de charge de la réalisation et un casting prestigieux est réuni autour d'Albert Finney, interprète d'Hercule Poirot.
Albert Finney a 38 ans, lors du tournage du film, et pour tenir le rôle de Poirot, il doit subir chaque jour deux heures de maquillage complexe destiné à lui donner l'apparence d'un homme de plus de cinquante ans. Les scènes à l'intérieur du train sont tournés dans des décors reconstitués, les scènes paysagères montrant le train de l'extérieur du train sont tournées en France dans le Doubs, sur la ligne Pontarlier-Gilley aux abords de l'ancienne gare de Montbenoît, et la scène initiale de la montée dans le train à Istanbul est reconstitué dans un grand hôtel de Londres. Quelques plans brefs au début du film sont tournés à Istanbul depuis la rive asiatique du Bosphore.
Agatha Christie se rend à la première du film au cinéma ABC sur la Shaftesbury Avenue de Londres, en présence de la Reine Elizabeth II du Royaume-Uni. Elle s'estime comblée, en dehors d'un détail, elle ne trouve pas la moustache d'Hercule Poirot aussi superbe de ce qu'elle avait imaginé.
Le film obtient un succès sans précédent pour un film britannique. Il est nominé 6 fois au Oscars de 1975, mais seul Ingrid Bergman s'est vue décerner la précieuse statuette.
On note une petite différence entre l'oeuvre originale et son adaptation : dans le roman, la comtesse Andrenyi, trop émotive ne participe pas au meurtre de Ratchett. Le nombre d'assassins est donc bien de 12, comme dans le nombre de jurés des tribunaux anglo-saxons. Dans l'adaptation cinématographique, ce nombre passe à treize, mais frappant 12 coups seulement, la comtesse joint ses mains à celles de son mari pour porter un seul coup commun.
SYNOPSIS
Hiver 193, à Bagdad. Le célèbre détective belge Hercule Poirot en visite en Turquie doit rentrer prématurément en France et ce retour imprévu lui pose un problème car rentrer de Turquie en France nécessite au début du 20ème siècle, une réservation préalable quelques jours à l'avance pour une traversée de la Méditerranée par bateau, l'avion n'étant pas encore un moyen de transport international très courant.
A la recherche d'une solution, il se rend à l'Hôtel de luxe de la gare d'Istanbul, où il espère que la chance pourra lui donner un coup de pouce. Et en effet, rencontrant dans le grand salon de l'hôtel M.Blanchet, qui est le directeur de la luxueuse ligne de l'Orient-Express, il obtient par son intermédiaire, une place dans la voiture du prochain train en partance pour Calais. Lui-même, le directeur de la ligne sera du voyage.
Le train prend son départ et commence la traversée des premiers pays de l'est européen sur l'itinéraire. En chemin, lors de la traversée de la Yougoslavie, un homme d'affaires un certain Samuel Ratchett, estimant sa vie en danger demande de l'aide de Poirot pour le protéger, que ce dernier refuse. Mais au matin suivant, Ratchett est retrouvé à l'aube dans sa couchette poignardé de 12 coups de couteau à la poitrine. Durant la même nuit, une coulée de neige imprévue à immobilisé le train dans cette région très montagneuse. Le soleil s'est levé sur une campagne totalement déserte aux alentours, il n'est pas tombé de nouvelle neige depuis la veille au soir, et l'état immaculé du manteau de neige autour du train montre que personne ne s'est éloigné du convoi. Le coupable est donc probablement encore dans le train Par ailleurs, l'attente devra durer de très longues heures avant l'arrivée du train chasse-neige se service pour le déblaiement de la voie.
Le Directeur de la ligne, propose alors à son ami Poirot de tenter de résoudre ce meurtre tant que la train est immobilisé car lorsqu'il repartira après le déblayage de la coulée de neige, il lui faudra s'en remettre aux autorités yougoslaves et il serait préférable pour tout le monde que le coupable soit déjà démasquée afin d'éviter une rétention des voyageurs innocents par les yougoslaves. Commence alors une des plus passionnantes enquêtes de l'histoire du roman policier.
Pour comprendre correctement le contexte dans lequel commence l'histoire, un préambule s'impose : 5 ans plus tôt, aux Etats-Unis, l'unique fillette de trois ans d'un couple richissime avait été kidnappée par des ravisseurs puis retrouvée assassinée après la remise d'une rançon colossale de 200 000 dollars. Le meurtre odieux de cette enfant avait entraîné d'autres décès. La père de la fillette n'avait pas supporté la mort de son enfant et s'était suicidé d'une balle de révolver. La mère de la fillette enceinte lors de l'enlèvement, était rapidement devenue dépressive en perdant à la fois sa fille et son mari et était morte en donnant naissance à un bébé mort-né. Par ailleurs le meurtre avait été suivi d'une affaire judiciaire très médiatisée et nébuleuse, dans laquelle la jeune bonne accusée à tort s'était suicidée, puis un homme avait été condamné puis exécuté sur la chaise électrique en ayant toujours clamé son innocence. Tout ce préambule à l'histoire est directement inspiré de l'affaire de l'enlèvement de l'enfant de l'aviateur Lindbergh.
SECRET DE TOURNAGES
Dans les années soixante, Agatha Christie refuse la proposition de la MGM de porter Le Crime de l’Orient-Express à l’écran. D’une part, parce que les versions cinématographiques de ses romans lui ont toujours déplu, d’autre part, parce qu’il serait question de remplacer Hercule Poirot par Miss Marple (alors interprétée parMargareth Rutherford dans une série de films reniée par la romancière). En 1973, les producteurs anglais John Brabourne et Richard Goodwin projettent à leur tour d’adapter le roman tout en connaissant les réticences de l’auteur. Aussi, Brabourne demande-t-il à son beau-père, Lord Mountbatten, d’user de son influence auprès d’elle. L’ex-vice-roi des Indes l’admire depuis toujours et lui assure que l’intention de son gendre et de son associé est d’être fidèle au récit publié en 1933. Agatha Christie accepte et Paul Dehn (Goldfinger et les suites de La Planète des singes) écrit le scénario.
Cette grosse production britannique est confiée au cinéaste américain Sidney Lumet. "Bien que ce soit un mélodrame, cela restait une pièce légère. J’étais en train relire "Il importe d’être constant" d’Oscar Wilde et j’ai vu : sa méthode consiste à se centrer sur ce qui n’a aucune importance et à jeter par la fenêtre tout ce qui est essentiel. L’important n’est pas que Constant soit un enfant trouvé, mais qu’il ait été trouvé dans un sac sur une ligne de banlieue. Ça a été pour moi une révélation." Dès lors, Lumet va mettre en chantier Le Crime de l’Orient Express en consacrant "toute (son) attention au visuel, à la beauté du visuel, au luxe et à la "gaieté" du visuel."
Il insiste également pour avoir une distribution prestigieuse et fait en premier appel à son ami et superstar Sean Connery (qu’il a dirigé dans Le Gang Anderson et The Offence), afin d’attirer d’autres acteurs. Suivent ainsi Richard Widmark, Vanessa Redgrave,Jacqueline Bisset, Michael York, John Gielguld, Jean-Pierre Cassel (dont le rôle fut un temps envisagé pourRobert Dhéry), Martin Balsam, Anthony Perkins, Lauren Bacall, Colin Blakely, Denis Quilley…
Lumet propose à Ingrid Bergman le rôle de la princesse Dragomiroff mais l’actrice préfère celui de Greta. "Je l’ai rappelé : "Pourquoi voulez-vous que je mette un masque pour jouer la princesse russe alors qu’il y a un excellent rôle fait pour moi ? Cette missionnaire suédoise, cette demeurée, c’est exactement ce qu’il me faut. Et je pourrai y mettre le bon accent. C’est ce rôle-là qui me plaît. (…) Sidney insistait sous prétexte que le rôle n’était pas assez bon, mais j’ai répliqué : "En dehors de celui d’Hercule Poirot, tous les rôles ont à peu près la même importance : ce sont de simples portraits. Cette missionnaire me plaît beaucoup, et je crois que je pourrais en faire quelque chose de très drôle. J’ai des tas d’idées. Rassurez-vous, je serai redoutable !" Lumet accepte et confie le personnage de la princesse à Wendy Hiller.
Le personnage du détective privé belge Hercule Poirot (qui n’a jusque là été interprété que par Alan Trevor et Tony Randall) est attribué à Albert Finney. "Il y avait plusieurs bonnes raisons pour refuser cette offre qui m’était faite. Je n’avais jamais été dans ce genre de film rempli de stars, et à l’époque j’étais parti pour de longs mois de représentations de la pièce "Chez nous" dans le West End. Comme les deux rôles nécessitaient ma présence pour quasiment chaque réplique, cela signifiait travailler jour et nuit. Finalement, le fait que Sidney Lumet, un cinéaste que j’ai toujours admiré, réalise le film m’a décidé."
À Londres, en janvier 1974, Lumet réunit son casting dans une pizzeria afin que tous fassent connaissance. Le lendemain, une lecture a lieu au Dorchester Hotel en présence des techniciens et du staff production. "La lecture commence, se souvient Jean-Pierre Cassel. Ce fut certainement une des plus mauvaises lectures à laquelle j’ai pu assister au cours de ma carrière. Tous ces splendides comédiens, sans doute impressionnés les uns par rapport aux autres, le nez enfoui dans leur brochure, ne donnèrent, mis à part John Gielguld peut-être, qu’une part infinitésimale de leur talent. Ils marmonnaient pour la plupart, déblayaient leur texte, donnant l’impression de vouloir s’en débarrasser au plus vite." Sidney Lumet fait ensuite sortir techniciens et producteurs avant de retravailler avec toute sa troupe. "Et là, ce fut autre chose. Et je me disais que le film allait être une belle démonstration de ce qu’on pouvait attendre de l’art des comédiens." Dix jours de répétition suivent aux studios de Elstree où les différentes parties du train sont dessinées sur le sol du plateau.
Le décorateur Tony Walton reconstitue avec soin les intérieurs de l’Orient-Express. Un wagon dont chaque panneau peut se démonter est construit, tandis que les cabines et les couloirs sont reproduits en deux modèles afin de pouvoir tourner d’un côté ou de l’autre sans perdre de temps. Parallèlement, une seconde équipe tourne en France les plans d’extérieur avec le train (tracté par une magnifique locomotive, la 230 G 353) sur la ligne Pontarlier-Gilley, aux abords de l’ancienne gare de Montbenoît. Si certains plans sont tournés à Istanbul, la gare d’où part le convoi est reconstituée aux ateliers SNCF du Landy à Saint-Denis. Lors du tournage de cette scène (où apparaissent les personnages principaux pour la première fois), Lumet repère un photographe caché sur le toit d’un des wagons et l’expulse manu militari, car l’exclusivité des photos a été donnée à Tony Armstrong Jones, le fiancé de la princesse Margaret.
Lumet prend un autre coup de sang mais cette fois… contre Richard Widmark ! Le restaurant de la gare d’Istanbul est reconstitué dans un grand hôtel de Londres, où comédiens et comédiennes n’ont pas le même confort qu’à Elstree. "Nous devions nous changer tous ensemble, raconte Jean-Pierre Cassel, hommes et femmes simplement séparés par une tenture tendue au milieu d’une grande salle de réception. Un seul eut le malheur de ne pas apprécier cette promiscuité et le fit savoir aussitôt : Richard Widmark. Il avait à peine terminé ses réflexions que l’on vit jaillir dans notre vestiaire, tel un diable sortant de sa boite, un Sidney Lumet écumant. Il se précipite sur Richard, l’attrape par le col de sa chemise et le tire violemment dehors. Il lui arrivait à peine sous le menton, mais cela ne l’empêcha pas de la bousculer et de lui crier dessus. "Il n’y a que des stars ici. Personne ne râle. Tu vas faire comme les autres ! Tu nous gonfles avec tes caprices…", etc. Je ne comprenais pas tout. Mais Richard, lui, avait compris et il se changea avec nous, sans mot dire."
Pour Albert Finney, interpréter Hercule Poirot est un vrai travail de composition basé sur l’accent français et son apparence. À 38 ans, il doit en effet apparaître beaucoup plus âgé et subir pour cela des séances de maquillage quotidiennes de deux heures. "La transformation était complète avec un faux nez et des joues rembourrées, qui achevaient de me faire ressembler à un œuf. Mais la partie la plus importante de ce maquillage était la chevelure noire luisante et la moustache méticuleusement taillée. " Pour modifier sa silhouette et l’alourdir, il rembourre ses vêtements avec du coton hydrophile.
Lors de la scène finale, où Poirot dévoile les coupables du crime, Sidney Lumet tourne sous deux angles. "Il fallait que chacun se souvienne de tel ou tel geste qu’il aurait fait sur tel et tel mot, indispensable pour les raccords, explique Jean-Pierre Cassel, et qu’on tournerait la scène dans la continuité. Long monologue d’Hercule Poirot, c’est une scène écrasante pour Albert Finney. À la fin de la scène spontanément, nous avons tous applaudi." Au mois de novembre, Agatha Christie se rend à la première du film et se dit très satisfaite de l’adaptation et de l’interprétation d’Albert Finney, à l’exception d’une chose : la moustache de Poirot n’est pas assez belle !
Philippe Lombard
FICHE TECHNIQUE /
Réalisation : Sidney Lumet
Scénario : Paul Dehn, Anthony Schaffer d'après le roman d'Agatha Christie
Direction Artistique : Jack Stephens
Décors : Tony Walton
Costumes : Tony Walton
Photographie : Geoffrey Unsworth
Montage : Anne V.Coates
Musique Originale : Richard Rodney Bennett
Production : John Bradbourne et Richard B.Goodwin
Durée : 128 minutes
Sortie : 24 Novembre 1974 (USA) et 16 Avril 1975 (France)
DISTRIBUTION
Albert Finney : Hercule POirot
Lauren Bacall (Mme Harriet Hubbard)
Jacqueline Bisset : La Comtesse Helena Andrenyi
Michael York : Le comte Rudolph Andreyni
Sean Connery : Le colonel Arbuthnot
Vanessa Redgrave : Mary Debenham
Wendy Hiller : La princesse Natalya Dragomiroff
Jean Pierre Cassel : Pierre Michel
Ingrid Bergman : Greta Ohlsson
Anthony Perkins : Hector McQueen
Martin Balsam Blanchet
John Gielgud : Beddoes
Richard Widmark : Samuel Ratchett
Rachel Roberts : Hildegarde
Denis Quiley : Gino Foscarelli
Colin Blakely : Cyrus Hardman
Georges Coulouris : Docteur Constantine
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