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samedi 25 juillet 2015

LA ISLA MINIMA DE ALBERTO RODRIGUEZ vu par Critique Chonchon

La Isla Minima.
Deux flics que tout oppose, Pedro (Raul Arevalo) et Juan (Javier Gutierrez), dans l'Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d'Andalousie pour enquêter sur l'assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu'à l'absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.
Alberto Rodriguez (dont j'avais beaucoup aimé "Les 7 vierges" en 2005) s'est librement inspiré du roman "2666" du Chilien Roberto Bolano. L'histoire en soi n'est guère importante, et ce genre de scénario figure dans à peu près toutes les séries policières qui existent. Oui mais. Le réalisateur, sachant qu'un film peut se dispenser d'une histoire originale pour être véritable une oeuvre de cinéma, a dégraissé le plus possible ses dialogues au profit d'une mise en forme aussi originale que somptueuse.
Raul Arevalo (en 2011 dans "Même la pluie" de Icia Bollain avec Gael Garcia Bernal, en 2013 dans "Les Amants Passagers" de Pedro Almodovar) incarne un Pedro dont nous ne savons presque rien, si ce n'est pas le truchement d'un coup de fil qu'il passe. Javier Gutierrez (en 2004 dans le jubilatoire "Le crime parfait" de Alex de la Iglesia, est tout aussi taiseux, mais plus "sociable", et surtout plus trouble. Dans le rôle de Quini, le jeune homme qui fait se pâmer toutes les jeunes filles de la région, Jesus Castro est, il faut le dire, particulièrement beau.
De cette histoire de pas grand chose - un double meurtre dans une bourgade - servie par deux comédiens bridés, Alberto Rodriguez nous propose une merveille formelle. La palette chromatique, les cadrages très inventifs, les plans "vus du ciel", etc… tout concourt à une image étouffante, dont on voudrait s'échapper comme l'Espagne voulait en finir avec le franquisme.
Car le film est bien une oeuvre d'art, au même titre que le serait une peinture de Max Beckmann, d'Otto Dix… dénonçant un régime politique avec vigueur. Avec ses dialogues au cordeau et son interprétation impeccable, ce récit maîtrisé louvoie entre les ambiguïtés jusqu’à la dernière minute, comme l’Espagne de l’après-Franco qui n’a jamais osé regarder ses démons en face et paie le prix de son aveuglement.
Car la mort de deux jeunes filles, dont on retrouve les cadavres violés et mutilés, lance deux inspecteurs sur les traces d’un tueur en série, histoire banale dans un thriller, vue et revue. Mais on est dans l’Espagne de 1980 et dans une Andalousie du sud fangeuse et glauque, où les crimes cachent les cadavres enfouis du franquisme, qui remontent à la surface.
Cet affrontement entre deux Espagne ne verse jamais dans la facilité manichéenne. Au contraire, l'ambiguïté règne en maître. Un mélange aussi dérangeant que prenant, d'autant plus qu'il est visuellement parfait.

La Isla Minima de Albert Rodriguez par CRITIQUE CHONHON

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