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lundi 14 avril 2025

9.20 - MON AVIS SUR LE FILM LE BONHEUR EST POUR DEMAIN DE BRIGITTE SY (2023)

 


Vu le film Le Bonheur est pour Demain de Brigitte Sy (2023) avec Laetitia Casta Damien Bonnard Béatrice Dalle Malik Tadj Sarah le Picard Coralie Lussier Karl Achard Guillaume Verdier  

Sophie a un enfant, un conjoint, mais son quotidien lui semble désespérément plat. Jusqu'au jour où elle rencontre Claude. Elle tombe immédiatement sous le charme. Cependant, Claude est un braqueur. Or, au cours d'une attaque de banque, un homme est tué. Claude est arrêté et condamné à une lourde peine de prison. Ce qui aurait dû être la fin devient alors le début d'une histoire passionnelle et sans limites. Soutenue par Lucie, la mère de Claude, Sophie ne renonce pas à son amour pour Claude. 

L'histoire est librement inspirée d'une histoire réelle, dont la protagoniste Sylvie est devenue Sophie. La réalisatrice est familière de l'univers carcéral, dans lequel elle est intervenue pour donner des cours de théâtre, et a elle-même été l'épouse d'un ex-détenu, ce qui avait l'inspiré L'innocent de son fils Louis Garrel[ 

Avec Le Bonheur est pour demain, Brigitte Sy poursuit son exploration du lien entre l’amour et l’univers carcéral, sujet qu’elle connaît intimement. Mais ici, elle ne parle pas d’elle, ni de son fils Louis Garrel — malgré ce que le casting pourrait laisser croire. Le film s’inspire de l’histoire vraie d’une femme prénommée Sylvie, rencontrée par la réalisatrice lors d’une visite en prison dans les années 90. Cette femme, tombée amoureuse d’un détenu, a nourri chez Sy un désir de récit. Un destin marginal, troublant, et intensément romanesque. 

Mais tirer d’une histoire vraie ne suffit pas toujours à faire un grand film. 

On suit donc une jeune femme — interprétée par Laetitia Casta — qui s’éprend d’un homme incarcéré. Leur relation épistolaire devient passionnelle, obsessionnelle. Le film tente d’en capter les vertiges : la solitude, l’attente, le manque, mais aussi la force d’un lien qui défie les barreaux. Sauf que la mise en scène, trop appliquée, manque cruellement d’élan. Il y a une sorte de survol permanent, comme si le film, fasciné par son propre sujet, n’osait pas s’y enfoncer pleinement. 

La reconstitution des années 1990 est correcte, mais trop sage. On sent le souci de précision — téléphones, fringues, papiers peints — mais cela ne suffit pas à donner vie à l’époque. Elle est là, en surface, sans chair ni âme. Tout comme les personnages secondaires, trop souvent réduits à des silhouettes. 

Surtout, le film hésite constamment sur son intention : veut-il dénoncer l’inhumanité du système carcéral ? Montrer la folie douce d’un amour impossible ? Interroger le déterminisme social, la marginalisation des femmes ? À vouloir embrasser tout cela, Le Bonheur est pour demain se dilue. Il reste en équilibre fragile entre le drame social, la chronique sentimentale et le manifeste discret. 

Laetitia Casta s’en sort honorablement : elle incarne cette femme paumée avec une retenue touchante, même si son personnage semble parfois trop écrit, trop guidé. Face à elle, Bonnard peine à convaincre : son jeu reste en retrait, jamais vraiment incarné. En revanche, Béatrice Dalle, solaire et imprévisible, irradie chacune de ses apparitions. Elle apporte un trouble, une vérité brute qui manquent souvent au reste du film. 

Quelques anecdotes : le tournage s’est déroulé en partie dans une ancienne prison désaffectée, avec des conditions volontairement austères pour rester fidèle à l’univers carcéral. Brigitte Sy, déjà auteure du très juste Les Mains libres, voulait ici faire entendre une autre voix féminine, celle d’une femme sans repères, mais pas sans amour. Elle dira en interview que le personnage de Sylvie l’a longtemps hantée. 

Mais malgré cette sincérité de départ, malgré la noblesse du sujet, le film n’atteint jamais la tension ni l’intensité qu’il promet. Il reste sur les rails d’un récit bien construit, mais trop illustratif, trop prudent. On sort du film avec un sentiment de respect… mais pas de bouleversement. 

Un film nécessaire, peut-être. Mais inégal. Et trop sage pour son propre sujet. 

NOTE : 9.20

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DISTRIBUTION

 

16.10 - MON AVIS SUR LE FILM BURIED DE RODRIGO CORTES (2010)


 Vu le film Buried de Rodrigo Cortes (2010) avec Ryan Reynolds et les voix de Stefan Tobolowsky Robert Paterson Anne Lockhart Samantha Mathis Erik Paladino José Luis García Pérez 

Paul Conroy, chauffeur de camion américain basé en Irak travaillant pour le compte de CRT, une société privée, se réveille enterré vivant dans un cercueil en bois, avec seulement une lampe, un couteau, deux tubes phosphorescents, un briquet et un téléphone à moitié rechargé en sa possession et un mot des terroristes qui l’ont enfermé. 

 Buried est de ces rares expériences cinématographiques qui marquent au fer rouge. Un huis clos intégral, total, radical : un homme seul, enfermé vivant dans un cercueil quelque part en Irak, sans savoir comment ni pourquoi il est là. Et nous, spectateurs, piégés avec lui. C’est en 2010, au Festival de Deauville, que beaucoup ont découvert ce film-choc, précédé par un avertissement étonnant : « les portes de la salle seront fermées pendant la projection ». Une anecdote qui prenait tout son sens dès les premières minutes : il n’était plus question de fuir. 

Le réalisateur Rodrigo Cortés, alors quasi-inconnu, frappe fort avec un budget microscopique (3 millions de dollars) mais une idée de génie : enfermer la narration et le spectateur dans un cercueil, littéralement. Le pari est osé, presque suicidaire. Et pourtant, il est miraculeusement réussi. La caméra ne sort jamais de la boîte. Pas de flashbacks, pas de tricherie. Juste Paul Conroy, chauffeur routier américain piégé vivant sous terre, un téléphone portable irakien (à la batterie très généreuse), une lampe, un briquet, un couteau... et, pour ajouter à la claustrophobie, un serpent. 

Mais ce qui fait tenir le film, au-delà de l’audace formelle, c’est la performance absolument renversante de Ryan Reynolds. L’acteur, alors connu surtout pour des comédies ou des blockbusters à muscles, y dévoile une palette insoupçonnée. Il joue avec une intensité rare, variant entre panique, rage, désespoir, espoir fragile, humour noir et terreur pure. Il tient littéralement le film sur ses seules épaules et transforme cette expérience minimaliste en un crescendo émotionnel étouffant. 

La tension est constante. Pas une minute de répit. La lumière vacille, la batterie baisse, la poussière tombe, l’oxygène manque. Le téléphone, seul lien au monde extérieur, devient un instrument d’angoisse. Les conversations sont kafkaïennes : l’employé d’assurance qui demande une signature par fax pour débloquer une indemnité, la voix d’un employeur qui semble plus préoccupé par sa réputation que par son employé disparu. C’est un cauchemar bureaucratique autant que physique. 

Rodrigo Cortés use intelligemment de la mise en scène : chaque plan est pensé pour renouveler visuellement l’espace, malgré l’exiguïté. Jeux d’ombres, mouvements de caméra impossibles, angles dérangeants : il parvient à faire du cercueil un monde en soi, vivant, suffocant, hostile. La musique d’Alberto Iglesias, discrète mais efficace, appuie encore la tension sans jamais la souligner à l’excès. 

Quant à la fin… elle est à l’image du film : brutale, implacable, sans échappatoire. Elle retourne les tripes. Pas de lumière au bout du tunnel, juste une dernière bouffée d’air et puis plus rien. Le public reste sans voix, lessivé, pris au piège jusqu’au bout. 

Le film a été tourné en seulement 17 jours en Espagne, avec plusieurs cercueils construits pour permettre les angles de caméra. Ryan Reynolds a failli perdre connaissance plusieurs fois à cause du manque d’air ou de la pression mentale du tournage. Il dira plus tard que c’est le rôle le plus éprouvant de sa carrière. Rodrigo Cortés, lui, dira que c’est un film « de lumière » plus que d’ombre, jouant sur les sources lumineuses internes au cercueil pour définir l’état mental du personnage. 

Avec Buried, le cinéma prouve une fois de plus qu’il n’a besoin ni d’effets spéciaux tapageurs ni de décors somptueux pour frapper fort. Il suffit d’un acteur, d’une idée, et d’un réalisateur qui ose. On peut ne jamais oublier Buried. Parce que ce n’est pas seulement un film. C’est une descente en apnée. Une crise d’angoisse de 95 minutes. Un master class de tension pure. 

NOTE : 16.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

samedi 12 avril 2025

7.30 - MON AVIS SUR LE FILM CHATEAU EN SUEDE DE ROGER VADIM (1963)


 Vu le film Château En Suède de Roger Vadim (1963) avec Monica Vitti Jean Louis Trintignant Jean Claude Brialy Curd Jurgens Françoise Hardy Suzanne Flon Daniel Emilfork Sylvie Michel Le Royer Henri Attal Dominique Zardi 

Par suite d'un duel mondain, Eric doit se faire oublier à Stockholm. On l'envoie chez des cousins, les Falsen, qui habitent un château isolé. Hugo Falsen y vit avec sa deuxième femme, Eléonore, et le frère de celle-ci, un charmant paresseux. 

Un château, quelques nobles détraqués, des morts dans le placard, une ambiance qui se veut cocasse et décalée… et au final, un de ces naufrages esthétiques dont Roger Vadim a le secret. Château en Suède, adaptation de la pièce de Françoise Sagan, aurait pu être une comédie douce-amère sur la vacuité de l’aristocratie décadente. Mais entre les mains de Vadim, le château devient surtout un théâtre de l’ennui. 

Le scénario, pourtant signé Sagan elle-même, tourne à vide. On s’y perd dans une galerie de personnages affectés, en rupture de ton, et qui semblent constamment jouer à "qui sera le plus maniéré". Vadim filme tout cela comme une publicité pour un parfum suranné, avec les rideaux qui flottent au vent, les gros plans sur des regards vides, et les dialogues qui s’écrasent comme des feuilles mortes sur le dallage froid de l’ennui. 

Jean-Louis Trintignant, l’un des plus subtils acteurs français, semble ici totalement déphasé. Il minaude, bredouille, traîne son personnage comme un fardeau. Rarement l’aura-t-on vu aussi mal dirigé. Jean-Claude Brialy, qui pouvait être si juste dans les films de Chabrol ou d’Autant-Lara, cabotine avec une emphase désarmante. Curd Jurgens, quant à lui, reste fidèle à sa réputation d’acteur aussi charismatique qu’un meuble suédois mal monté. 

Heureusement, il y a les femmes. Suzanne Flon et Sylvie s’en tirent avec un peu de dignité. Et surtout, Monica Vitti. Même prisonnière de ce cirque mondain sans magie, elle impose sa silhouette, son accent, sa mélancolie étrange. Elle est comme un éclat de vérité dans un monde d’artifice. Qu’importe si son jeu est un peu désaccordé — elle EST là, souveraine, hypnotique. Et puis Françoise Hardy, apparition diaphane et presque irréelle, apporte une touche de fraîcheur, une brise légère dans ce château moisi. 

Le tournage aurait été tendu : Vitti, qui venait tout juste de conquérir l’Europe dans les films d’Antonioni, ne se sentait pas à sa place dans cette comédie creuse. Vadim, lui, n’écoutait que ses impulsions esthétiques, plus intéressé par les robes et les voilages que par le texte ou les intentions. On raconte que Hardy, alors âgée de 19 ans, se disait flattée mais un peu perdue dans cet univers compassé. 

Le film sort en 1963, dans un climat où la Nouvelle Vague a déjà secoué le cinéma français. Vadim, qui avait été à la mode quelques années plus tôt (Et Dieu… créa la femme, 1956), se cherche une nouvelle légitimité. Il croit la trouver dans l’adaptation de Sagan, mais confond profondeur et pose, légèreté et inconsistance. 

Esthétiquement, Château en Suède n’est pas totalement déplaisant. Vadim soigne ses cadres, aime ses actrices (trop), et tente de construire une atmosphère. Mais c’est une coquille vide. Un bel emballage pour un film sans cœur. 

À la fin, on n’a rien appris, on n’a pas ri, on n’a pas été ému. On a juste vu Monica Vitti traverser le cadre comme un fantôme sublime, et cela suffit — peut-être — à sauver une poignée de plans. 

Mais à l’échelle de la filmographie de Vadim, ce Château rejoint plutôt la catégorie des ruines. Une façade clinquante, mais le toit fuit, les fondations craquent, et les meubles sont bancals. 

Un film pour les inconditionnels de Monica Vitti… et pour les amateurs d’échecs élégants. 

NOTE : 7.30

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Monica Vitti : Éléonore
Jean-Claude Brialy : Sébastien
Curd Jürgens : Hugo Falsen
Jean-Louis Trintignant : Éric
Daniel Emilfork : Gunther
Suzanne Flon : Agathe
Françoise Hardy : Ophélie
Michel Le Royer : Gosta
Sylvie : La grand-mère
Henri Attal : Le policier #1
Dominique Zardi : Le policier #2
Loulou Daguerre : Kikki