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mardi 28 mars 2017

ICI LE DOCUMENTAIRE DE NOAH BAUMBACH ET JAKE PALTROW SUR BRIAN DE PALMA

Brian de Palma est hilare. Il se marre tout au long de l’heure cinquante que dure le documentaire que lui ont consacré Noah Baumbach et Jake Paltrow. Les yeux bleus pétillants, le sourire irrésistiblement carnassier. Tous les journalistes de la planète ayant approché le réalisateur de Pulsions et Scarface l’ont immanquablement décrit en théoricien réticent, ours mal léché, mauvais client. Mais là, il a enfin l’air de passer un bon moment. Est-ce le fait d’être cuisiné par des copains (on sait que Baumbach et De Palma sont amis et boivent régulièrement des coups ensemble à New York) ? Ou juste le plaisir de pouvoir consigner sa propre légende pour la postérité, contemplant avec satisfaction toutes les batailles qu’il a menées, tous les chefs-d’œuvre qu’il a tournés, tous les fantasmes qu’il a assouvis ?
Quoi qu’il en soit, voici De Palma. Uncut. En long, en large et dans le détail. Le dispositif de ce film-entretien peut d’abord rebuter : l’homme est assis face caméra, saisi en plan moyen, et commente ses films un à un. Ça paraît rébarbatif au début, un brin scolaire, mais les extraits sont tellement jouissifs, les anecdotes égrenées tellement cool (la première audition de Robert De Niro pour Greetings, Sean Penn sadisant Michael J. Fox sur le tournage d’Outrages …) qu’on finit par regarder ça la langue pendante et les yeux exorbités. Les longs-métrages défilent comme à la parade. Bizarrement, cette accumulation strictement chronologique, sans aucune hiérarchie esthétique (un classique comme Blow Out a droit à autant d’attention que l’incunable Get to know your rabbit) permet de faire apparaître de façon totalement limpide les différentes phases de la carrière du maître. Il y a, d’abord, les années psyché-expérimentales, où le jeune Brian se cherche pendant que le Nouvel Hollywood explose ; ensuite, son âge d’or (de Obsession à Body Double), où il forge ce style unique, régurgitation maboule et perverse de la grammaire hitchcockienne ; puis les décennies 80 et 90, quand il s’impose en artisan de blockbusters orgasmiques, des Incorruptibles à Mission : Impossible ; et l’exil européen, enfin, qui le voit signer Femme Fatale à Paris, Passion à Berlin… Une dernière période louée par certains de ses thuriféraires les plus idolâtres, mais dont il n’est pas interdit de penser qu’elle a marqué le déclin d’un des créateurs de formes les plus excitants de sa génération.
Surprise : l’intéressé himself valide ici cette lecture « décliniste » de son œuvre, expliquant très sereinement que tous les cinéastes, passés la cinquantaine, sont condamnés à faire moins bien qu’avant. Pour appuyer sa démonstration, il en revient, encore et toujours, à Hitchcock : « On me dira ce qu’on veut sur Les Oiseaux, mais les films qu’il a réalisés à partir de là sont beaucoup moins intéressants que ceux qu’il a fait quand il avait 30, 40, 50 ans. ». Un constat qui ne déprime pas pour autant le géant barbu, qui rappelle que ce coup de mou artistique correspond, pour Hitch comme pour lui, au moment où la critique s’est emparé de leurs œuvres respectives pour les porter au pinacle (le fameux livre d’entretiens du cinéaste avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud – son « Hitchbook » à lui – est effectivement sorti au début des années 2000, soit juste après qu’il a claqué la porte des studios). De Palma sait qu’il ne tourne plus de chefs-d’œuvre… et il s’en porte très bien, merci pour lui. Alors, à ce moment-là, une fois établie sa part de vérité, une fois la boucle hitchcockienne bouclée (le documentaire s’ouvre sur un extrait de Vertigo), il peut mettre fin à la conversation et aller promener son imposante carrure d’ogre dans les rues de New York. Où l’on constate que, même physiquement, il aura comme modelé sa silhouette sur celle du maître du suspense. De Palma ? Un éternel body double. Et un géant du cinéma en liberté.

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