Vu le Film Documentaire Gérard Blain Adulte Je Vous Hais (2023) Avec Paul Blain
Portrait de Gérard Blain, acteur et cinéaste, artiste entier et inclassable, tête de lard et esprit libre. Ce documentaire riche en témoignages et en archives revient sur sa brève carrière d'acteur, ses rapports houleux avec la Nouvelle Vague et sur son œuvre de cinéaste, sans concession. Il brosse surtout le portrait d'un homme au caractère irréductible qui affirme avoir toujours détesté les adultes et leur cynisme, depuis son enfance blessée avec le témoignage de son fils Paul.
Il y a chez Gérard Blain quelque chose d’un bloc, un homme qui ne plie pas, ne transige pas, quitte à devenir infréquentable. Acteur fétiche d’une Nouvelle Vague qu’il rejettera très vite, cinéaste solitaire hanté par l’obsession d’une pureté virile, Blain est l’une des figures les plus radicales, blessées et ambiguës du cinéma français.
Né en 1930 à Paris, Blain connaît très tôt la dureté du monde. Enfant d’un milieu modeste, il vit une jeunesse difficile, marquée par l’abandon paternel et la survie. Il entre dans le cinéma presque par hasard, filmé pour sa beauté froide, sa silhouette de jeune voyou taciturne. Très vite, il devient l’incarnation d’un idéal de jeunesse tourmentée, notamment sous la caméra de Claude Chabrol dans Le Beau Serge et Les Cousins. Mais l’homme derrière le masque se méfie de cette image. Blain déteste les poses, les compromis, le vernis mondain.
Au fil des années, il se détourne du métier d’acteur pour devenir un cinéaste à part entière. À partir de Un enfant dans la foule (1976), il signe des œuvres exigeantes, épurées, souvent austères, obsédées par la transmission, la loyauté, l’intégrité. Il filme des hommes en lutte contre un monde corrompu, des figures paternelles faillibles, des jeunes garçons en quête d’un modèle – ou en fuite devant lui. Le regard qu’il porte sur ses personnages, comme sur lui-même, est dur, implacable. Son cinéma est un cri étouffé, une prière sans Dieu.
Le documentaire Gérard Blain, adultes je vous hais explore cette figure complexe avec sobriété et justesse. Il y dévoile, sans jamais forcer le trait, un homme profondément marqué par la souffrance intime, par des blessures tues : une jeunesse où il évoque avoir été violé, possiblement dans les marges du métier, des humiliations silencieuses qui alimenteront sa rage contre tout ce qu’il juge avilissant – en premier lieu le pouvoir, la compromission, et certaines formes d’ambiguïté qu’il rejette tout en les filmant.
Blain a en effet tenu, dans certaines interviews, des propos homophobes violents, parlant de sa haine des homosexuels et de leur représentation dans le cinéma. Cette haine, inexplicable à première vue, devient plus troublante quand on regarde son œuvre : les rapports entre hommes y sont souvent tendus, chargés, parfois presque amoureux – comme s’il luttait contre une part de lui-même. Cette tension traverse notamment Ainsi soit-il (2000), où Paul Blain, son fils, joue un rôle qui pourrait être une projection directe du père, dans une relation presque mystique à la figure masculine.
Blain détestait aussi certains cinéastes qu’il jugeait vides ou corrompus, à commencer par Chabrol. Il rejetait la Nouvelle Vague, dont il fut pourtant une icône, accusant ses anciens amis d’avoir trahi leur jeunesse. Lui ne cédera jamais, quitte à s’enfermer dans un cinéma minoritaire, sans spectateurs ou presque. Il rêvait d’un cinéma de morale, d’élévation, d’absolu. Et tant pis s’il fallait pour cela se couper du monde, haïr les adultes, refuser toute tendresse.
Il est mort en 2000, en tournant Ainsi soit-il, un film-testament, d’une rigueur presque suicidaire. Blain n’aura jamais cherché à plaire, ni à comprendre. Il a vécu en luttant contre l’époque, contre les compromis, contre lui-même. À la fois victime et juge, homme brisé et prophète en colère.

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