Vu le film Primitifs de David Zellner et Nathan Zellner (2024) avec Riley Keough Jesse Eisenberg Nathan Zellner Christophe Zajac-Denek
Au cœur de la forêt, vit une famille de bigfoot. Ces créatures atypiques, peut-être les dernières de leur espèce, se lancent dans un voyage absurde, hilarant et émouvant. Dans cette quête semée d'embûches, échapperont-ils à la civilisation moderne ?
Voilà un film qui déboule comme une météorite poilue sur le paysage cinématographique indépendant : Primitif (ou Sasquatch Sunset en version originale), œuvre signée des frères Zellner, est un véritable ovni, un projet qui ne ressemble à rien d’autre et qui s’assume à 100 % dans sa bizarrerie radicale. Le genre d’expérience sensorielle et narrative que seul le cinéma indé ose encore proposer à une époque où la moindre étrangeté est souvent diluée pour mieux rassurer le spectateur moyen. Ici, aucune dilution, aucun compromis : juste quatre Bigfoots dans les bois pendant une année entière. Quatre créatures anthropomorphes, muettes, velues, drôles, grotesques, pathétiques, parfois sublimes — et profondément humaines.
L’histoire ? Elle tient sur un post-it, mais elle est d’une richesse symbolique inattendue : une année de la vie d’un clan de Sasquatchs à travers les quatre saisons d’une forêt nord-américaine. Pas un mot n’est prononcé, seulement des grognements, des cris, des soupirs et des flatulences. Et pourtant, tout passe par là : les rapports familiaux, les conflits de générations, les désirs, les frustrations, la survie, la naissance, la mort. Cette famille de Bigfoots devient, sous nos yeux, un miroir déformant et troublant de notre propre humanité. On pense parfois à une version forestière et bestiale de La Guerre du feu, mâtinée d’un humour absurde à la Monty Python ou Saturday Night Live, dans ses passages les plus scato, les plus osés, les plus bêtement drôles. Oui, ça pète, ça pisse, ça se masturbe, ça pleure, ça se bat, ça meurt — et c’est précisément ce qui rend l’objet aussi viscéralement vivant.
Les maquillages sont un tour de force à eux seuls : jamais ridicules, toujours expressifs, ils permettent à des acteurs parfaitement camouflés — dont Jesse Eisenberg, Riley Keough, et les Zellner eux-mêmes — de livrer des performances stupéfiantes d’engagement physique. Le film, qui prolonge plusieurs courts-métrages des réalisateurs autour de la figure du Bigfoot, réussit l’exploit de ne jamais céder à la parodie pure. Il y a dans ce bestiaire velu quelque chose de tragique, presque métaphysique. Le mâle alpha, tyrannique et drogué, incarne une forme d’autorité destructrice ; son rival plus jeune, maladroit mais curieux, tente une émancipation difficile. La femelle, solide, attentive, souvent reléguée à la marge, se révèle pourtant centrale dans la dynamique du groupe. Et puis il y a le plus jeune, qui découvre la cruauté et la beauté du monde avec la même intensité. Ce quadriptyque familial se transforme peu à peu en fable darwinienne, en méditation absurde sur la survie et la transmission.
Visuellement, Primitif est une merveille : chaque saison est rendue avec une précision presque picturale, de la forêt luxuriante de l’été aux paysages enneigés et désolés de l’hiver. La caméra, patiente, presque documentaire, capte la beauté sauvage des grands espaces, mais aussi les moindres gestes des créatures. La bande sonore, minimaliste mais évocatrice, participe à cette immersion totale. On rit souvent, on est gêné parfois, ému à l’improviste, déstabilisé la plupart du temps. L’expérience est sensorielle, frontale, un peu punk, et surtout inclassable.
Ce n’est évidemment pas Docteur Jivago, et ce n’est pas le but. Ici, pas de lyrisme convenu, pas de grandes envolées romantiques. Juste une bouffée d’air primitif, une parenthèse burlesque et touchante, comme arrachée à un monde parallèle. Et pourtant, on en sort un peu sonner, comme après une fable à la fois grotesque et philosophique. Le film touche à quelque chose d’universel à travers sa forme résolument marginale : la famille, la violence, la solitude, la nature qui ignore les règles humaines, et cette drôle de pulsion de vie qui pousse même les êtres les plus poilus à chercher un sens à ce qu’ils traversent.
Et la scène ou les vautours reçoivent sur la tête les crottes du BigFoot vont vous faire éclater la rate
Primitif est une bouffée d’oxygène, une anomalie bienfaisante, un conte absurde et viscéral qui rappelle que le cinéma, parfois, peut se permettre toutes les audaces. Ce genre d’errance poético-fécale n’est pas faite pour tous les spectateurs, mais elle ravira ceux qui cherchent encore dans une salle obscure quelque chose qu’ils n’ont jamais vu ailleurs. Une utopie poilue, drôle, cruelle et — contre toute attente — profondément humaine.
NOTE : 12;20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : David Zellner et Nathan Zellner
- Scénario : David Zellner
- Musique : The Octopus Project
- Photographie : Mike Gioulakis
- Montage : Nathan Zellner, David Zellner et Daniel Tarr
- Costumes : Steve Newburn
- Production : Tyler Campellone, Jesse Eisenberg, David Harrari, Lars Knudsen, David Zellner, Nathan Zellner
- Riley Keough : la femelle bigfoot
- Jesse Eisenberg : le mâle bigfoot
- Nathan Zellner : le mâle alpha
- Christophe Zajac-Denek : l'enfant bigfoot

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