Vu le film Les Enfants d’après eux de Ludovic et Zoran Boukherma (2024) avec Paul Kircher Gilles Lellouche Angelina Woreth Sayyid El Alami Ludivine Sagnier Louis Memmi Anouck Villemin Lounès Tazaïrt Barbara Buch Raphael Quenard Anna Biolay Brice Fournier
Dans l'Est de la France, en ce mois d'août 1992, c'est l'été et il fait chaud. Anthony Casati, quatorze ans, partage son ennui avec son cousin. Ils décident d'aller au lac, où ils rencontrent Clémence et Stéphanie. Le cœur d'Anthony va s'accélérer pour cette dernière. Stéphanie les invite à une fête qui a lieu le soir-même. Pour s'y rendre avec son cousin, Anthony emprunte la moto qui appartient à son père, sans avoir eu son autorisation. Lorsque le soleil se lève, le deux-roues n'est plus là. Il soupçonne Hacine, un adolescent d'origine marocaine habitant dans une cité. Mis au courant du vol, le père d'Hacine lui brûle la main et lui impose de rentrer au Maroc. La moto est retrouvée en feu devant le domicile des Casati, ce qui entraînera une crise de colère du père d'Anthony et le divorce de ses parents. On retrouve ensuite Anthony et sa mère deux ans plus tard, en août 1994, avec les mêmes protagonistes.
Leurs enfants après eux, des frères Boukherma, ambitionne la fresque générationnelle, celle qui traverse le temps et capte une jeunesse en déshérence. Adapté du roman de Nicolas Mathieu, le film suit Anthony, 14 ans, et son cousin, deux adolescents paumés dans une vallée de l'Est de la France, entre usines qui ferment, lacs stagnants et lotissements mornes. Le récit s’étale de 1992 à 1998, six années d’errance où tout semble figé, où l’avenir n’a pas de forme, où l’ennui ronge.
Les deux garçons traînent, fument, boivent, s’échappent à mobylette pour des road trips sans but. Ils n’ont rien à faire, alors ils font n’importe quoi : la violence comme jeu, la drogue comme passe-temps, la cigarette comme rite, l’alcool comme moteur. Puis Anthony rencontre Stéphanie. Elle a ce truc en plus, cette allure, cette distance. Il croit qu’il va l’aimer, qu’elle va le sauver, qu’il va changer. Et le film tente de nous faire croire que cette rencontre va tout bouleverser. Mais rien ne bouge vraiment. Pas dans le film. Pas en nous.
Car malgré son sujet prometteur, Leurs enfants après eux reste sur le seuil. La mise en scène est appliquée, les cadres sont soignés, la lumière dorée, presque pastorale. Mais tout est trop poli, trop esthétisé pour qu’on sente la rage sourde de cette jeunesse invisible. Là où on attendait de la boue, du béton, des cris et des larmes, on a des silences bien captés et des corps lents.
Paul Kircher, immense talent au demeurant, peine ici à nous convaincre. Le choix de lui faire incarner un adolescent de 14 ans alors qu’il en a 23 se retourne contre le film. Son jeu est précis, mais son corps trahit l’illusion. On ne le croit pas. Et comme c’est lui qu’on doit suivre sur six ans, c’est toute la narration qui vacille. Il est devenu le chouchou du cinéma d’auteur queer, c’est vrai, mais ici son aura parasite plus qu’elle ne sert.
Autour de lui, les personnages secondaires peinent à exister, à l’exception notable de Gilles Lellouche. Il incarne le père d’Anthony, un homme rustre, aimant malgré lui, protecteur malgré la colère. Il apporte enfin un peu de chair, une trace de conflit générationnel qu’on aurait aimé voir creuser. Là où le cinéma français des années 60/70 savait provoquer la tension entre les générations, ici tout reste larvé, à peine esquissé.
Autre écueil, la sexualisation des corps adolescents. Les Boukherma filment leurs jeunes personnages avec une insistance trouble, sans que cela serve de discours clair. Ce n’est ni un regard critique, ni une réelle célébration du désir. Juste une présence, insistante, parfois gênante.
Et puis, il y a cette scène de boîte de nuit, improbable, où tout s’arrête sur un slow de Cabrel pendant quatre interminables minutes. Ce qui aurait pu être un moment de grâce devient un supplice. Déjà que le film frôle les deux heures vingt, ce ralenti final nous achève.
Leurs enfants après eux avait tout pour devenir un film fort, générationnel, inscrit dans une mémoire collective. Il avait les thèmes, le matériau romanesque, une toile de fond sociale puissante. Mais il manque l’énergie, la colère, l’élan. Il manque ce "je ne sais quoi" qui rend un film nécessaire. Ici, tout est trop lisse, trop beau, trop long. Et finalement, ce sont les spectateurs qui, comme les héros, finissent par s’ennuyer.
NOTE : 11.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Ludovic et Zoran Boukherma
- Scénario : Ludovic et Zoran Boukherma, d'après le roman Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu
- Musique : Amaury Chabauty
- Costumes : Clara René
- Photographie : Augustin Barbaroux
- Montage : Géraldine Mangenot
- Production : Alain Attal et Hugo Sélignac
- Sociétés de production : Chi-Fou-Mi Productions et Trésor Films
- Société de distribution : Warner Bros France (France)
- Budget : 12 millions d'euros
- Paul Kircher : Anthony Casati
- Angelina Woreth : Stéphanie Chaussoy
- Sayyid El Alami : Hacine Bouali
- Ludivine Sagnier : Hélène Casati, la mère d'Anthony
- Gilles Lellouche : Patrick Casati, le père d'Anthony
- Louis Memmi : le cousin d'Anthony
- Christine Gautier : Vanessa
- Anouk Villemin : Clémence Durupt, la copine de Stéphanie
- Lounès Tazaïrt : Malek Bouali, le père de Hacine
- Victor Kervern : Romain Rotier
- Thibault Bonenfant : Simon Rotier
- Bilel Chegrani : Kader
- Barbara Butch : Irène, la tante d'Anthony et la sœur d'Hélène
- Raphaël Quenard : Manu, le mec au chien
- Brice Fournier : Pierre Chaussoy
- Anna Biolay : la cousine d'Anthony
- Anaïs Tellenne : Cyrille
- Amaury Chabauty : Christophe, le nouveau compagnon d'Hélène
- Louise Lehry : Nath, la femme du cousin