« Deug » est mort. Alain De Greef, ancien directeur des programmes emblématique de Canal+ de 1986 à 2000, s’est éteint lundi 29 juin en fin d’après-midi dans sa maison de Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). Il avait 68 ans. Depuis deux ans, il luttait contre un cancer des poumons et d’un cancer de la mâchoire qui l’avaient obligé à suspendre ses activités professionnelles, mais pas de s’indigner.
Malgré la maladie, Alain De Greef était très actif sur Facebook où il postait régulièrement ses colères et ses commentaires contre la télévision dont il avait été un des plus grands dynamiteurs. « Il avait conservé une capacité d’indignation très rare pour une personnalité audiovisuelle de ce niveau », souligne Bernard Zékri, ancien du magazine Actuel qu’Alain De Greef fit venir à Canal+ pour s’occuper du Vrai Journal de Karl Zéro, puis de la rédaction de I-Télé lancée par De Greef en 1999.
« Nulle part ailleurs », « Les Guignols de l’info » ….
Dans un entretien au Monde publié en novembre 2014, à l’occasion des trente ans de Canal+, Alain De Greef avait eu des commentaires très durs contre les dirigeants de son ancienne chaîne. Avec ses mots bien pesés, il y dénonçait « les experts en marketing » et pointait férocement « les dérives » de Canal en s’indignant, par exemple, de voir Nadine Morano ou Eric Zemmour sur le plateau du Grand Journal, l’ancêtre de « Nulle Part Ailleurs », un de ses bébés favoris. « C’est comme voir un odieux graffiti sur une toile de Vermeer ! », s’était-il énervé.
Ancien élève de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) aujourd’hui devenu la Fémis, Alain De Greef a démarré sa carrière dans l’audiovisuel comme chef-monteur à l’ORTF en 1971 avant d’émigrer sur Antenne 2, tout juste créée en 1974. C’est là qu’il y rencontre Pierre Lescure avec qui, en avril 1982, il concocte le magazine de pop culture « Les Enfants du rock », devenue une émission de référence. Lescure et De Greef, tous deux biberonnés à la culture américaine des années cinquante, y font travailler de jeunes journalistes experts en musique rock et underground. Parmi eux, Bernard Lenoir, Philippe Manœuvre, Jean-Pierre Dionnet ou Antoine de Caunes qui font découvrir Madonna, The Cure ou Indochine aux jeunes téléspectateurs coincés, à l’époque, entre seulement trois chaînes de télévisions. Tout un petit monde que le tandem Lescure-De Greef embarque dans l’aventure Canal+ qui démarre le 4 novembre 1984 sous la présidence d’André Rousselet, l’ex-directeur de cabinet de François Mitterrand.
De Greef y travaille d’abord comme directeur de production. Après avoir manqué de couler faute d’abonnés, la chaîne cryptée prend véritablement son essor en 1986, année où Alain De Greef est nommé par Lescure à la direction des programmes. En toute liberté, il peut enfin donner libre cours à sa conception de la télévision où les émissions ne sont pas formatées et soumises à la sanction de l’audience. Il est ainsi à l’origine des émissions qui ont fait la notoriété de la chaîne : « Nulle part ailleurs », « Les Guignols de l’info », « Groland », « Les Deschiens » et c’est lui qui en lorgnant de près dans le laboratoire de Radio Nova repère Jamel Debbouze et lance, entre autres, Jules-Edouard Moustic, Benoît Delépine ou Benoît Poelvoorde.
« Il vomissait les tièdes »
Car, par-dessous tout, Alain de Greef aimait déranger. « Il vomissait les tièdes » rappelle le journaliste Paul Moreira qui avec l’appui de De Greef lança le magazine « Spécial Investigation ». Adepte de l’écrivain Guy Debord dont il diffusa un documentaire sur Canal en première partie de soirée (!), Alain de Greef avait compris depuis longtemps que la société avait besoin de sa part de chaos et qu’il était nécessaire de bousculer ses règles à travers la télévision. Une posture qui lui valut plusieurs rappels à l’ordre de la part du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) que « Les Guignols de l’Info » ont immortalisé dans un sketche devenu célèbre où la marionnette d’Alain De Greef tente d’expliquer aux Sages sa démarche éditoriale dans son phrasé tout personnel composé de « Caaa vaaa ! », « Caaa vaaa paas ! ».
Viré en 2001 de Canal+ après les changements d’actionnaires, Alain De Greef n’avait pas abandonné son envie de télévision. Il étudiait toujours de près des projets de chaînes sur le Net notamment avec Jamel et Alain Chabat, l’un des Nuls qui contribua fortement au succès de Canal. Il consacrait également beaucoup de son temps à écouter du jazz et, en fin connaisseur d’art, il fréquentait beaucoup les musées. « Je suis un paisible retraité provincial », avait-il expliqué au Monde, l’œil vif et toujours rieur.