Vu le film Pendant ce Temps sur Terre de Jérémy Clapain (2024) avec Megan Northam Sabine Timoteo Sofia Lessafre Wim Willaert Sébastien Pouderoux Sam Louwyck Arcadi Radeff Nicolas Avinée Yoann Thibaut Mathias Catherine Salée Roman Williams Dimitri Doré (voix dans la tête de Elsa)
Elsa, 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck, spationaute disparu mystérieusement 3 ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre. Mais il y a un prix à payer…
Après l’original et remarqué J’ai perdu mon corps, Jérémy Clapin revient avec un second long-métrage ambitieux, hybride et plus risqué, mêlant drame social, science-fiction intimiste et échappées animées à la Roland Topor. Le résultat, formellement maîtrisé, est pourtant un film qui frôle la transcendance sans jamais réellement l’atteindre, comme s’il se sabotait à l’approche du décollage.
L’histoire suit Elsa, jeune femme endeuillée, hantée par la disparition inexpliquée de son frère, parti sans laisser de traces. Elle vit avec sa mère dans une cité au bord de l'effondrement, entre les grincements du quotidien et l’attente silencieuse. Elsa, dessinatrice, tente de donner forme à l'absence, au vide, en peuplant son monde d’images mentales et d’univers parallèles — certains animés, d'autres suggérés, tous marqués par un appel de l’espace. Bientôt, des phénomènes étranges apparaissent. Des inconnus, figés dans le silence, semblent désignés par une force invisible pour partir. Vers où ? Pourquoi ? Le film, plutôt que de répondre, préfère installer une inquiétude sourde, entre le réalisme bétonné d’un quartier périphérique et la rêverie cosmique.
Visuellement, Pendant ce temps sur Terre est une réussite. La photographie de Joakim Chardonnens enveloppe le film d’un voile cotonneux et minéral, les effets spéciaux — discrets mais évocateurs — soutiennent l’ambiguïté du récit, et le design sonore est d’une richesse rare. La musique atmosphérique épouse parfaitement les états d’âme d’Elsa, rendant les silences aussi pesants que les paroles. Les séquences animées, quant à elles, sont brèves mais fulgurantes, et convoquent un imaginaire intime, presque enfantin, qui rend encore plus criante la douleur du deuil.
Et pourtant, à mesure que l’on avance, quelque chose se dérobe. Le scénario, qui pose des bases puissantes (une inspiration revendiquée de Contact, L’Invasion des profanateurs, mais aussi de la mélancolie d’un Tarkovski), ne décolle jamais vraiment. Le film évite toute dramatisation excessive, mais à force de retenue, il en devient distant, voire abstrait. L’émotion, censée jaillir de l’intime, se dissout dans une mise en scène trop pensée comme si Clapin se refusait à aller au bout de sa propre audace. L’intensité dramatique retombe, et certaines scènes peinent à faire vibrer, en partie à cause de dialogues un peu plats ou trop explicites.
L’interprétation, portée par des visages relativement inconnus, reste honnête sans être transcendante. L'actrice principale (Elsa) offre une présence fragile et opaque, parfois difficile à décrypter. Une belle trouvaille en soi, mais qui aurait mérité un contrepoint plus puissant. On reconnaît cependant la voix de Dimitri Doré, acteur prometteur de Bruno Reidal, dont le timbre éthéré apporte une étrange chaleur dans les scènes intérieures — voix intérieure, voix fantôme, voix d’un frère qu’on n’oublie pas.
On sent que Pendant ce temps sur Terre voulait être un film de passage, entre ciel et sol, entre douleur enfouie et échappée métaphysique. Mais à force de suggérer sans incarner, de retenir au lieu d’embrasser, le film finit par frustrer. C’est une œuvre belle mais incomplète, sensorielle mais un peu creuse, hantée mais pas habitée.
Demeure une expérience visuelle singulière, une tentative louable de cinéma de genre à la française, qui assume ses influences tout en cherchant sa propre voix. Mais une tentative qui, pour moi, reste à la surface d’un gouffre qu’elle n’ose pas vraiment explorer. Une œuvre suspendue, comme ses personnages, mais qui manque, au fond, de gravité.
NOTE : 7.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Jérémy Clapin
- Costumes : Ariane Daurat
- Décors : Marion Burger
- Photographie : Robrecht Heyvaert
- Montage : Jean-Christophe Bouzy
- Musique : Dan Levy
- Son : Vincent Piponnier
- Production : Marc du Pontavice
- Société de production : One World Films, en association avec 5 SOFICA
- Société de distribution : Diaphana Distribution (France)
- Pays de production :
France

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