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vendredi 25 juillet 2025

13.10 - MON AVIS SIR LE FILM L'AFFAIRE BEN BARKA DE JEAN PIERRE SINAPI (2007)


 Vu le film L’Affaire Ben Barka de Jean Pierre Sinapi (2007) avec Olivier Gourmet Bernard Le Coq Atmen Kélif Simon Abkarian Grégori Dérangère Hippolyte Girardot Jean François Stévenin Antoine Duléry Nadia Kaci Abdelhafid Metalsi Lyes Salem Bruno Lochet 

Le téléfilm montre comment, en octobre 1965, est décidée et exécutée l'élimination de Ben Barka par Mohamed Oufkir au moment où l'opposant marocain d'Hassan II doit prendre la tête de la Tricontinentale. 

Le journaliste Philippe Bernier, sympathisant de Ben Barka, doit servir de « chèvre ». Le film montre l'implication des États-Unis auxquels s'oppose de Gaulle. Ben Barka est enlevé par des policiers français (abusés par Antoine Lopez, dit « Savonnette »), alors qu'il rejoint ses amis à la brasserie Lipp pour déjeuner. Il devait ensuite assister à la représentation d'une pièce de Boris VianJacques Foccart est désigné comme la personne qui aurait favorisé l'enlèvement, Antoine Lopez comme le complice actif d'Oufkir. Ben Barka est d'abord séquestré à Fontenay-le-Vicomte dans la villa de Georges Boucheseiche, un barbouze. 

Revenir sur l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka, c’est s’attaquer à l’un des plus grands mystères politico-diplomatiques de la Ve République. C’est aussi réveiller une plaie restée béante dans l’histoire des relations franco-marocaines. Avec son téléfilm L’Affaire Ben Barka, Jean-Pierre Sinapi s’aventure sur ce terrain glissant, mêlant fiction rigoureuse, suspense de thriller, et tentative d’éclaircissement d’une vérité que l’Histoire elle-même n’a jamais pu entièrement formuler. 

Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, intellectuel et leader de l’opposition marocaine en exil, est enlevé en plein Paris, devant la Brasserie Lipp, à deux pas de Saint-Germain-des-Prés. Ce qui ressemble à une interpellation de routine se transforme en disparition d’État. Le corps ne sera jamais retrouvé. Le scandale secoue la République. Les diplomates s’agitent. Et très vite, les zones d’ombre s’accumulent : implication de la police française ? Services secrets marocains ? Règlements de comptes internes ou manipulation à grande échelle ? Tout le monde semble coupable, et personne ne parlera. 

Dans ce contexte, Jean-Pierre Sinapi et ses scénaristes ont choisi de raconter l’affaire comme un polar politique nerveux, précis et cinégénique. On sent qu’ils ont dû jongler avec les faits établis, les silences judiciaires, les documents classés et les multiples hypothèses. Et si le récit prend parfois ses libertés, il garde une ambition louable : rendre intelligible une affaire embrouillée, sans tomber dans la reconstitution figée ou l’exposé universitaire. 

Le résultat ? Un thriller tendu, très bien rythmé, où les faits historiques s’enchaînent avec une tension dramatique réelle, même si l’on connaît déjà la fin — ou plutôt l’absence de fin. Le film ne nous révèle pas la vérité ultime (elle reste introuvable), mais reconstitue avec une habileté narrative les circonstances de la disparition, les manœuvres des différents services (DST, RG, Mossad, police marocaine), et l’engrenage fatal des trahisons, des manipulations, des compromissions. 

Le casting, remarquable, porte en grande partie cette réussite. Hippolyte Girardot est excellent en barbouze mythomane, menteur pathologique, tour à tour ridicule et inquiétant. Olivier Gourmet, plus ambigu que jamais, incarne un agent trouble, triple jeu incarné, qui semble manœuvrer sans toujours savoir pour qui il travaille. Quant à Bernard Le Coq, il est glaçant en Maurice Papon, préfet aux dents longues, obséquieux et odieux, symbole parfait des compromissions de l’État. 

Mais c’est sans doute Simon Abkarian, dans le rôle du général Oufkir, qui impressionne le plus. Sadique, autoritaire, froid, il campe un militaire tout-puissant, bras armé d’un roi inquiet de sa couronne, et probable commanditaire de l’opération. Rarement l’histoire marocaine aura été filmée avec un tel sentiment d’inéluctabilité et de cynisme. 

La mise en scène, sans esbroufe, fait confiance aux faits et aux personnages. L’image est sobre, tendue, jamais illustrative. Sinapi filme les intérieurs sombres, les bureaux feutrés et les hôtels parisiens avec une ambiance presque oppressante, comme si l’on assistait à une partie d’échecs dont les règles nous échappent. Une atmosphère de paranoïa d’autant plus réussie qu’elle ne cherche pas à forcer l’effet. 

Mais le film n’est pas exempt de réserves. La principale tient dans le choix narratif d’innocenter les plus hauts niveaux de l’État français. Selon la version adoptée ici, seuls quelques « sous-fifres vénaux »  auraient trempé dans l’enlèvement, sans que les responsables politiques ou les services secrets centraux ne soient véritablement informés du projet. Une lecture contestable, car même si les preuves manquent, les complicités passives ou tacites sont très sérieusement documentées par plusieurs historiens. On aurait préféré que Sinapi laisse davantage planer le doute, au lieu de refermer un peu trop vite la porte des responsabilités d’État. 

Ce choix scénaristique, sans doute motivé par la prudence (voire par des contraintes de production), empêche le film d’atteindre toute sa portée politique. On est ici plus proche du récit policier maîtrisé que du réquisitoire politique, et c’est un peu dommage. Car l’affaire Ben Barka, avec son parfum de guerre froide, de néo-colonialisme et d’ambitions écrasées, méritait peut-être un traitement plus implacable. 

Mais cela n’enlève rien à la réussite formelle de ce téléfilm, ni à sa volonté de transmission. En traitant cette affaire avec sérieux, vivacité et précision, Sinapi a fait œuvre de mémoire, dans un pays qui préfère parfois l’oubli au questionnement. 

NOTE : 13.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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