Vu le Film L’Espion qui Venait du Froid de Martin Ritt (1966) avec Richard Burton Oskar Werner Claire Bloom Michael Hordem Bernard Lee Sam Wanamaker Cyril Cusack Robert Hardy
Pendant la guerre froide, un agent secret britannique, Leamas, se met en retraite après avoir été officiellement démis de ses fonctions. Les services secrets de l'Est le contactent et il passe le rideau de fer, apparemment prêt à fournir des renseignements sur les réseaux britanniques en Allemagne de l'Est.
L’Espion qui venait du froid (1965) de Martin Ritt, adapté du roman de John le Carré, se pose en contre-modèle absolu de l’espionnage glamour à la sauce James Bond. Oubliez les poursuites en Aston Martin, les gadgets de Q et les conquêtes faciles : ici, la guerre froide se décline en nuances de gris, de mensonges, de trahisons feutrées et d’idéaux piétinés. Ce n’est pas l’action qui prime, mais la manipulation, la duplicité, le verbe. Et surtout : le doute.
Le film suit Alec Leamas (interprété par un Richard Burton exceptionnel de retenue), agent britannique usé, fatigué, qui semble être au bout de la ligne. Après avoir échoué à protéger un dernier agent infiltré à Berlin-Est, Leamas est rappelé à Londres et ostensiblement mis au placard. En réalité, il accepte une ultime mission : se faire passer pour un espion déchu, devenu alcoolique et désabusé, afin d’être recruté par les services secrets est-allemands. L’objectif : faire tomber un haut responsable de la Stasi, en lui tendant un piège aussi complexe que perfide.
Ce qui pourrait ressembler à un simple retournement d’agent se mue progressivement en pièce d’échecs vénéneuse, où chaque parole, chaque silence, chaque faux aveu devient une pièce que l’on pousse lentement vers la chute. Leamas, plus pion que stratège, se rend vite compte qu’il est sans doute lui-même manipulé par ses supérieurs. Mais qui manipule qui ? Est-il un traître ou un patriote ? Et jusqu’où ira le MI6 pour piéger ses adversaires ?
Ritt, cinéaste engagé, filme cette spirale paranoïaque avec une froideur clinique et une rigueur presque documentaire. Sa mise en scène, volontairement sobre, épurée, fait corps avec la grisaille morale du récit. Les décors dépouillés, la photographie noir et blanc austère (signée Oswald Morris) et le jeu sec des acteurs renforcent ce sentiment d’étouffement idéologique, où l’Ouest et l’Est finissent par se ressembler dans leur cynisme.
Richard Burton, tout en regards lourds et silences pesants, incarne à merveille cet espion brisé, à la fois lucide et résigné. Peu de mots, certes, mais une intensité rare, presque tragique. Il campe un homme qui sait que la vérité, dans ce monde, n’existe plus. Il est flanqué d’un personnage féminin bouleversant, Nan Perry (incarnée par Claire Bloom), jeune bibliothécaire idéaliste, témoin sacrifiée d’un jeu qui la dépasse.
Le film a certes quelques longueurs, notamment dans sa première moitié où les dialogues dominent largement l’action, mais cela fait partie de sa force : il nous oblige à réfléchir, à recomposer le puzzle, à douter de tout. C’est un thriller cérébral, lent mais dense, tendu sans être spectaculaire. Une œuvre d’espionnage à hauteur d’homme, où les convictions politiques se fracassent contre la realpolitik la plus sordide.
Contrairement aux codes du genre qui exploseront dans les décennies suivantes, L’Espion qui venait du froid choisit l’amertume plutôt que l’excitation, la désillusion plutôt que l’héroïsme. C’est un film politique, profondément nihiliste, où les idéologies se salissent mutuellement et où la ligne entre le Bien et le Mal est floue, mouvante, sans repère.
Un classique ? Oui, mais pas un classique réconfortant. Plutôt une descente glaciale dans les coulisses du pouvoir, un anti-James Bond où la véritable arme est la manipulation et le véritable champ de bataille, la conscience des hommes.
Un très grand film d’espionnage — lucide, amer, essentiel — comme on n’en fait presque plus.
NOTE : 14.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Martin Ritt
- Scénario : Paul Dehn, Guy Trosper, d'après le roman de John le Carré
- Décors : Tambi Larsen, Hal Pereira
- Photographie : Oswald Morris
- Montage : Anthony Harvey
- Musique : Sol Kaplan
- Production : Martin Ritt (Producteur)
- Société de production : Salem Films Limited
- Société de distribution : Paramount Pictures
- Richard Burton (VF : André Falcon) : Alec Leamas
- Claire Bloom (VF : Nelly Benedetti) : Nan Perry
- Oskar Werner (VF : lui-même) : Fiedler
- Sam Wanamaker (VF : Jean-Claude Michel) : Peters
- George Voskovec (VF : Louis Arbessier) : l'avocat de la défense est-allemand
- Rupert Davies (VF : Lucien Bryonne) : George Smiley
- Cyril Cusack (VF : Maurice Dorléac) : Control
- Peter van Eyck (VF : Howard Vernon) : Hans-Dieter Mundt
- Michael Hordern (VF : Henry Djanik) : Ashe
- Robert Hardy (VF : Gabriel Cattand) : Dick Carlton
- Bernard Lee : Patmore
- Beatrix Lehmann : le président du tribunal
- Esmond Knight : le vieux juge
- Tom Stern : l'agent de la CIA
- Philip Madoc : l'officier allemand
- Niall MacGinnis, George Mikell : gardes allemands

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