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jeudi 10 juillet 2025

13.40 - MON AVIS SUR LE FILM SHOSHANA DE MICHAEL WINTERBOTTOM


 Vu le film Shoshana de Michael Winterbotom(2024) avec Irina Starchenbaum Douglas Booth Harry Melling Daniel Donskoy Aury Alby Rony Herman 

Sous le mandat britannique dans les années 1930, Tel Aviv et Jérusalem sont secouées par les violences du groupe Irun. Soshana, journaliste engagée, rencontre Thomas, un policier britannique ayant pour mission de protéger les intérêts de la Couronne. 

Shoshana n’est pas un film historique au sens poussiéreux du terme. Il s’agit d’un thriller politique vibrant, situé dans un des nœuds les plus tendus du XXe siècle : la Palestine sous mandat britannique dans les années 1930, quand s’entrechoquent les destins des colonisateurs britanniques, des nationalistes juifs et des Palestiniens arabes. Peu d’œuvres de fiction avaient jusqu'ici osé s’aventurer sur ce territoire brûlant avec une telle clarté, sans tomber dans les stéréotypes. Et c’est bien là ce que réussit Michael Winterbottom, avec une tension morale et émotionnelle palpable. 

Le film se centre sur Shoshana Borochov, figure réelle du mouvement sioniste travailliste, fille du penseur marxiste Ber Borochov. Elle est mise en scène dans sa relation amoureuse avec Tom Wilkin, officier britannique de l’unité spéciale chargée de traquer les groupes extrémistes. Autour d’eux gravite un trio de forces contradictoires : l’administration britannique, fatiguée, autoritaire, mais dépassée ; les groupes paramilitaires sionistes radicaux comme l’Irgun, désireux de libérer la terre juive par la violence ; et les Palestiniens arabes confrontés à une dépossession croissante, eux aussi tentés par la révolte. 

La grande réussite du film, c’est d'incarner le politique dans l’intime. Le couple Shoshana/Wilkin devient le prisme à travers lequel les conflits prennent chair : amour impossible, dilemmes de loyauté, culpabilité. Aucun personnage n’est un "héros" au sens classique. Tous sont hantés par la complexité du réel, souvent coincés dans des positions qu’ils n’ont pas totalement choisies. Shoshana, farouchement engagée mais pacifiste, assiste impuissante à la radicalisation de ses proches. Wilkin, d’abord paternaliste, comprend peu à peu l’impasse de l’Empire britannique et les souffrances qu’il administre. 

Le travail de reconstitution est un autre point fort. Winterbottom filme Tel Aviv, Jérusalem, Haïfa, les marchés, les arrière-cours, les cellules de prison, avec un souci documentaire et une lumière jamais décorative. On entend de l’anglais, de l’hébreu, de l’arabe, du yiddish — preuve que la multiplicité des voix est ici respectée, et non réduite à une lecture binaire. Le film se veut universel dans ce qu’il dit de la colonisation, de l’idéologie, de l'engrenage de la violence, tout en étant très précis dans sa chronologie : on y voit la montée en puissance de l’Irgun, les attentats contre les officiers anglais, la répression féroce des manifestations arabes, les débats au sein du sionisme lui-même. 

Visuellement, la mise en scène privilégie une forme de réalisme nerveux, avec caméra portée et plans rapprochés. Mais loin de verser dans le sensationnalisme, Winterbottom reste pudique dans les moments d’horreur. Le film préfère les silences, les regards, les tensions accumulées, à une surenchère dramatique. Il fait davantage penser à Munich de Spielberg, ou à The Constant Gardener, qu’à un pur biopic ou une fresque épique. 

Il faut également saluer la performance tout en finesse de Irina Starshenbaum dans le rôle de Shoshana : elle incarne une femme à la fois solide et fragile, politisée mais humaine, passionnée mais lucide. Face à elle, Douglas Booth (Tom Wilkin) donne à son personnage l’épaisseur d’un homme divisé, au service d’un ordre qu’il finit par contester de l’intérieur. 

Enfin, le film, sans donner de solution ni de discours simplificateur, rappelle à quel point la question israélo-palestinienne s’est nouée dans une histoire coloniale où tous les camps ont connu l’oppression, la peur et la tentation du repli identitaire. En cela, Shoshana agit comme un film-miroir, qui résonne avec notre actualité tout en refusant les raccourcis. 

 

Shoshana est une œuvre rare, courageuse et éclairante, qui choisit l’humanité dans la complexité, et l’amour dans la tempête. Un film nécessaire, qui rappelle que l’Histoire, même lointaine, reste vivante et profondément ambivalente

NOTE : 13.40

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