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vendredi 11 juillet 2025

13.20 - MON AVIS SUR LE FILM LA MAIN DU DIABLE DE MAURICE TOURNEUR (1943)

 


Vu le film La Main du Diable de Maurice Tourneur (1943) avec Pierre Fresnay Pierre Larquey Josseline Gael Noel Roquevert Guillaume de Sax Pierre Palau André Gabriello Georges Chamarat Henri Vilbert Gabrielle Dorziat Gabrielle Fontan Antoine Balpêtré 

Le film commence dans une auberge des Alpes. Des clients sont rassemblés dans la salle du restaurant et discutent. Tout d'un coup, un étrange individu fait irruption. Il porte sous le bras un objet empaqueté qui a la forme d'un coffret, n'a pas de main gauche et paraît avoir le diable à ses trousses. À la suite d'une coupure de courant, le paquet disparaît. Les clients le pressent de raconter son histoire. 

Dans le cinéma français tourné sous l’Occupation, La Main du Diable occupe une place très singulière : celle d’une œuvre fantastique qui parle de malédiction sans jamais fuir la réalité. En 1943, alors que le pays vit sous la chape de plomb nazie, Maurice Tourneur signe une parabole d’une noirceur rare, presque insoutenable. Sous couvert d’un mythe connu — celui du pacte faustien —, il déploie un récit d’une pureté tragique, où l’homme qui vend son âme ne le fait pas par orgueil prométhéen, mais par faiblesse, par misère, par appât du gain immédiat. 

Pierre Fresnay incarne Roland Brissot, un petit peintre raté, pathétique, qui accepte ce qu’il croit être une aubaine : une main gauche mystérieuse, censée lui apporter talent et gloire. Il y gagne tout, sauf la paix intérieure. Le pacte, ici, est limpide dans ses termes mais imparable dans ses conséquences : pour échapper à la damnation, il faut refiler le “cadeau” à quelqu’un d’encore plus désespéré que soi. À perte, bien sûr. Et cette règle simple suffit à tisser une angoisse qui va crescendo. 

Tourneur, en homme revenu du cinéma muet et passé par Hollywood, filme cela avec une rigueur impressionnante. Pas de démonstration, pas de tape-à-l’œil : tout passe par la texture du noir et blanc, les ombres épaisses, les silences lourds. Le film, produit par la Continental, est paradoxalement d’une liberté morale absolue. Il ne cherche pas à rassurer, il ne promet aucune rédemption. Il regarde l’homme seul face à ses choix, face à ses trahisons — et ce regard est glacial. 

Fresnay, souvent jugé ici un peu théâtral, incarne pourtant à merveille cette tension intérieure. Son jeu n’est pas sobre, mais il est tendu, fissuré. Ce n’est pas un héros, c’est un pantin désespéré, lucide mais impuissant. Et ce qui fascine, c’est que La Main du Diable n’essaie jamais de le sauver. Il ne s’agit pas d’une chute suivie d’un relèvement. Il s’agit d’un engrenage. Ce film, c’est la logique de la compromission jusqu’au bout. 

Il faut saluer Noël Roquevert en aubergiste méridional, roublard et angoissé, qui donne au récit une tonalité presque carnavalesque dans sa première partie. Mais très vite, tout se resserre. Le diable, incarné sans effets par Pierre Palau, est d’une banalité effrayante. Le Mal n’est pas spectaculaire, il est administratif, presque lassé. Et c’est encore plus angoissant. 

On peut lire ce film comme une allégorie de la collaboration — le succès facile en échange d’un renoncement fondamental. Ou comme une fable sur la société du paraître. Ou tout simplement comme une tragédie humaine, dans laquelle la vraie malédiction, c’est de croire qu’on pourra toujours s’en tirer. Mais la beauté du film tient aussi à sa limpidité : on comprend tout, on voit tout venir — et pourtant, on y croit. Jusqu’à la fin, glaciale, sans issue. 

Dans le cadre du cinéma français de l’Occupation, La Main du Diable fait écho à Le Corbeau ou Les Visiteurs du soir : des films qui parlent d’autre chose pour dire exactement ce qui se passe. Mais chez Tourneur, il n’y a ni ironie (comme chez Clouzot), ni enchantement triste (comme chez Carné). Il n’y a que la peur nue. Le pacte ne sera pas rompu. La main ne sera pas rendue. Et c’est à cette vérité sans échappatoire que le film nous confronte. 

 NOTE : 13.20

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